Les cahiers de l'Islam
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Étudiante à la Sorbonne - Paris IV, slaviste et spécialisée en médiation interculturelle En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 2 Mai 2014

Musa Ćazim Ćatić (1878-1915), poète bosniaque




note de prononciation du BCMS (serbo-croate) :
le « c » se prononce « ts »
le « ć » se prononce « tch » avec la langue sur le devant du palais
le « č » se prononce « tch » avec la langue sur l’arrière du palais
le « j » se prononce « y »
le « s » se prononce toujours « s »
le « š » se prononce « ch » comme dans « chat »
le « u » se prononce « ou »
le « ž » se prononce « jeu »
Musa Ćazim Ćatić (1878-1915)
Musa Ćazim Ćatić (1878-1915)

Musa Ćazim Ćatić est un poète bosniaque (comprendre musulman de Bosnie) du début du XXe siècle ; par « bosniaque », il faut comprendre « musulman de Bosnie », c’est-à-dire que Ćatić appartient à une communauté musulmane qui a vu progressivement le jour à partir de 1463, avec la conquête ottomane et l’islamisation de la population locale.
Au cours de sa vie, Ćatić verra progressivement « sa » Bosnie passer aux mains des Austro-hongrois entre 1878 et 1908, date de son annexion définitive. L’État habsbourgeois est très bienveillant envers la population musulmane, qui a notamment accès à toutes les infrastructures éducatives mises en place par les nouvelles autorités à partir de 1878.

M. Ć. Ćatić est donc un enfant de cette Bosnie érudite et multiculturelle. Né en 1878, au nord de la province, il apprend le métier de barbier et suit des cours de turc, d’arabe et de persan à la madrasa de Tešanj. Lors de son premier séjour à Istanbul, en 1898, il rencontre des poètes bosniaques et turcs. Appelé à effectuer son service militaire de trois ans, dans l'armée austro-hongroise, (d'abord à Tuzla puis à Budapest) il rentre en Bosnie l’année suivante. Son service militaire terminé, il retourne à Istanbul afin de suivre les cours de la madrasa Numune-i Terakki Mektebi puis d'entrer au lycée. En 1904, en mal d'argent, il retourne en Bosnie et s’inscrit à l'école islamique de Sarajevo, de l’internat de laquelle il sera exclu pour « vie de bohème ». Durant ces années sarajeviennes, M. Ć. Ćatić écrit pour de nombreux journaux, principalement destinés à ses coreligionnaires et compatriotes : notamment Bošnjak [Le Bosniaque], Behar [Le Printemps] — dont il sera rédacteur en chef en 1908. Il collabore également dans divers journaux croates. Une fois diplômé, il part vivre à Zagreb où il s'inscrit à la Faculté de droit. Il rencontre alors les poètes croates Antun Gustav Matoš et Tin Ujević.
En 1910, M. Ć. Ćatić retourne en Bosnie et y travaille dans diverses villes : Bijeljina, Tešanj, Sarajevo, avant de prendre la direction du magazine Biser [La Perle] à Mostar, édité par Muhamed Bekir Kalajdžić. Il se consacre alors pleinement à l'écriture de poèmes, d'essais, de critiques, de traductions que Kalajdžić publie dans sa collection « La Bibliothèque musulmane ».
Durant cette période, avec les autres auteurs bosniaques de sa génération, il élabore une expression littéraire qui fonde, encore aujourd’hui, l’identité bosniaque. Il s’agit de s’approprier des formes poétiques standards européennes (comme le sonnet) dans une langue slave émaillée de turcismes alors que l’expression poétique se cantonnait jusqu’alors au persan ou au turc. Ils prennent ainsi modèles sur les poètes modernisants croates et serbes.
Mobilisé en 1914, M. Ć. Ćatić est envoyé en Autriche-Hongrie où il contracte la tuberculose peu de temps après son arrivée. Rapatrié à Tešanj, à la fin du mois de mars 1915, il y meurt le 6 avril. Sa tombe y porte l'épitaphe suivante « Ovdje leži pjesnik odličnoga dara, koji nije tražio časti ni šićara, već boemski živio i čuvenstveno pjevo, dok ga smrt ne doprati do ovog mezara. » [Ici repose un poète de grand talent qui ne chercha ni les honneurs, ni le profit, mais vécu de manière bohème et chanta sans égal, jusqu'à ce que la mort l'escorte à cette tombe.]
 

La poésie de M. Ć. Ćatić chante la vie et la recherche d’un sens à l’existence dans une atmosphère, entre réalité et imagination, où la pensée erre librement. Son œuvre oscille entre deux thèmes principaux : l’érotisme (qui n’est pas a entendre au sens sensuel du terme) et le mysticisme. Ćatić est écartelé entre ses passions humaines et un amour ardent pour Dieu et sa création. On retrouve, déjà, cette dialectique au XIVe siècle, dans la tradition soufi et l’œuvre du poète persan Hafez.
Cette dualité l’entraine M. Ć. Ćatić soit vers l’épicurisme (au sens premier du terme), soit vers une aporie philosophique, peuplée de repentir et de douleur. Cette douleur peut être comparée au mal du siècle de Lamartine, ou au spleen baudelairien. Bien que M. Ć. Ćatić semble toujours espérer, grâce à la nature, l’amour et le souvenir, il universalise également ses sentiments en leur donnant un style symboliste. 
Dans sa poésie, M. Ć. Ćatić explore de nombreux sujets : l’islam, les femmes, l’amour, les paysages bosniens…
 
Je présente, ici, un sonnet intitulé Mystique, traduit par Philippe Gelez, maître de conférences en littérature, langue et civilisation BCMS à la Sorbonne (Paris IV).
À la faveur de la nuit, l’auteur s’appuie sur une figure mythologique (Gaïa) pour chanter la création et le mystère qui s’en dégage, propice à la méditation mystique.

Mystika

Ponoć. Olovna tmina ko tjeskoba
Geji djevičanskoj pala je na grudi;
U njoj se — regbi — stere grob do groba
I strašnim mirom drhtaj srca budi.
 
Zamišljen mjesec tek katkada sine
I s blijede usne prospe biser-priče,
Po kadifnoj rijeci. Sred sjetne tišine
Međ’ lišćem lipe ćuk se, plačuć, miče.
 
Ko duh kakova griješna mrtvaca,
Misterij kroz mrak lagan korak baca,
Svileni skut mu ko talas šumori.
 
Usna je neba ukočena, tupa —
Misterij krajem osamljenim stupa,
I Geji nešto nijemom riječi zbori…
 
 
Mystique

Minuit. Les ténèbres de plomb, comme une angoisse,
Sur le sein virginal de Gaïa sont tombées ;
On dirait que les tombes s’y alignent
Et de leur paix terrible suscitent le frisson du cœur.
 
La lune pensive parfois seulement luit
Et de sa lèvre pâle déverse des contes de perle
Dans la rivière de velours. Au milieu du silence triste
Parmi le feuillage du tilleul, une chouette, pleurant, se déplace.
 
Comme l’esprit d’un quelconque mort pécheur,
Le mystère s’avance dans l’obscurité d’un pas léger,
Sa traîne de soie bruit comme la vague.
 
La lèvre du ciel est immobile, obtuse, —
Le mystère passe dans une région désolée,
Et à Gaïa dit quelque chose d’une voix muette…
 
 
Je vous propose également un extrait du long poème intitulé Islam, traduit par mes soins, où M. Ć. Ćatić chante son amour pour l’Islam. Daté de 1902, il est probable qu’il l’ait rédigé lors de ses études à Istanbul.
 
(…)
 
Ti si knjiga svenauke svijetle,
Ti si djelo vječitoga Boga,     
Kojime je nav'jestio sjajni      
Preporođaj svijeta cijeloga!  
 
Ti me učiš svim djelima dobrim,       
Ti me učiš časti i ljubavi,       
Ti me učiš da za narod živim,
Čovječanstvu da član budem pravi.  
 
(…)     
 
Tvojih misli božanstvenih ja ću         
Bit sljedbenik uvijek valjani,  
Tvoju svetu zapovijed ću slušat.        
A prezirat što Tvoj propis brani.       
 
Oj Islamu, vjero moja sveta, 
Spasu duše griješničke moje, 
Velike su svete tvoje misli,     
Tvoje ime veličanstveno je!
 
(…)
 
Tu es le livre de l’omniscience lumineuse,
Tu es l’œuvre du Dieu éternel,
Par laquelle il a annoncé la brillante
Renaissance du monde entier !
 
Tu m’enseignes toutes les bonnes actions,
Tu m’enseignes l’honneur et l’amour,
Tu m’enseignes à vivre pour le peuple,
À être un véritable membre de l’humanité.
 
(…)
 
De Tes pensées divines je serai
Toujours le fidèle observateur,
Je suivrai Tes saints commandements.
Je mépriserai ce qu’interdisent tes lois.
 
Ô Islam, ma sainte foi,
Salut de mon âme pécheresse,
Grandes sont Tes saintes pensées,
Ton nom est grandiose !






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