Les cahiers de l'Islam
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Lundi 25 Janvier 2016

Rencontre avec Mohamed Louizi : "Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, retour éclairé vers un islam apolitique"



Mohamed Louizi
Mohamed Louizi

Je m’appelle Mohamed Louizi. J’ai 37 ans, marié et père de trois enfants. Diplômé en électrotechnique de la faculté des sciences et techniques de Mohammedia et aussi de l’université de Lille I. J’ai enseigné dans des collèges et lycées de la métropole lilloise. Depuis 2012, je suis cadre-ingénieur dans le domaine de l’énergie électrique haute tension. En parallèle, je suis chercheur indépendant et passionné des études sur l’islamisme, la critique des sources scripturaires de l’islam et la non-violence. Je publie, depuis 2007, les résultats de mes recherches sur mon premier blog : Ecrire sans censures ! (ici) Et depuis 2014, sur mon autre blog Mediapart : Sous-sol obscur de l’islamisme : Art & Déco (ici). En 2006, j’ai autoédité mon premier livre : Mollahs de la consommation. Sur mon premier blog, en plus de dizaines d’articles, j’ai publié en 2008 le texte intégral de ma recherche intitulée : Il était une fois un inféodé sur le chemin de Damas : Histoire d’Abou Hourayra (ici). En 2009, j’ai publié mon étude : Le juste prix de la terre promise, réflexions autour de la circoncision (ici). En 2014, j’ai publié en langue arabe mon étude : Questions embarrassantes sur la circoncision (ici). Mon essai autobiographique : Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, retour éclairé vers un islam apolitique est sorti le 7 janvier 2016, aux éditions Michalon.

Déjà à partir de 2004, des questions profondes avaient commencé à encombrer mon esprit : Le rapport à la violence et à la non-violence dans l’action islamiste et particulièrement chez les Frères Musulmans ; le sens des libertés, de la liberté de conscience et d’expression ; le sens de l’apostasie et son incompatibilité avec l’absence de contrainte en religion ; le poids énorme donné à ladite sunna du Prophète, la deuxième source scripturaire de l’islam sunnite, et aux hadiths qui lui ont été attribués plus d’un siècle et demi après sa mort ; le recours abusif aux fatwas pour régler des questions d’ordre économique, social voire sociétal...

Les Cahiers de l’Islam : Avant de nous donner quelques éléments sur ce qui a motivé votre départ des « Frères musulmans/UOIF », à quand remonte votre adhésion à ce mouvement ? S’agissait-il d’une adhésion volontaire ?   

Mohamed Louizi : Mon rapport avec l’islamisme, celui des Frères Musulmans, comme doctrine politique s’appuyant sur un « récit de la foi » musulmane pour atteindre le pouvoir suprême et rétablir, à terme, le califat islamique, remonte au moins à mon adolescence. D’abord, ma famille à Casablanca fut très marquée et influencée par le wahhabisme de conquête et l’idéologie frériste jusqu’au milieu des années 90. Dès 1991, lorsque j’étais en 6ème, à mes 13 ans, j’ai intégré les cercles éducatifs (halaquates) de certains mouvements islamistes marocains.
Mon initiation a commencé au sein de la confrérie Justice et Bienfaisance d’Abdessalam Yassine et puis, un an plus tard, au sein du Mouvement Réforme et Renouveau (MRR) issu de la Chabiba Islamiya des années 70. Ce mouvement est connu, depuis 1996, sous le nom de Mouvement Réforme et Unicité (MUR). Il est très marqué par l’idéologie d’Hassan Al-Banna et par la pensée politique de ses successeurs. Naturellement le MUR s’en défend de toute adhésion organique, pour des raisons liées à la nature politico-religieuse de la monarchie alaouite. Mais le déni de ce lien organique est gravement fragilisé par l’activité de ses responsables nationaux, qui ne ratent aucune occasion pour se mettre à l’ombre de la guidance-suprême des Frères Musulmans au Caire, à Istanbul ou à Doha. Dans mon essai, je cite, preuve à l’appuie, la présence d’une représentation MUR au congrès du Caire de juin 2013 organisé par les Frères Musulmans et des sommités salafistes pour appeler au jihad armé en Syrie.
Ainsi, durant une quinzaine d’années, j’ai acquis les constances de l’idéologie frériste et y juré allégeance, et suis devenu très vite un vecteur hyperactif de la diffusion de l’islamisme dans les milieux scolaires et universitaires. J’ai participé aux premières élections législatives du Parti Justice et Développement (PJD) en 1997. Ce parti qui est le bras politique du MUR et est à la tête du gouvernement marocain depuis 2012.  A mon arrivée en France en 1999, j’ai rejoint le Tanzim international des Frères Musulmans, sous la bannière de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF).
J’ai occupé plusieurs postes de responsabilité et suis devenu président des Etudiants Musulmans de France de la section de Lille et membre des instances nationales de ce syndicat confessionnel. Localement, en métropole lilloise, j’ai cumulé plusieurs responsabilités, à la mosquée de Villeneuve d’Ascq et à la mosquée de Lille-Sud qui sont, toutes les deux gérées et dominées par les Frères Musulmans.
Il est évident qu’à l’âge de 13 ans, je n’étais pas en mesure de choisir ni de donner un sens à mon engagement. Dans un quartier populaire très pauvre, exposé à la délinquance et au décrochage scolaire, où rien ne se faisait pour la jeunesse, lorsque des islamistes proposaient des activités de soutien scolaire et d’autres animations religieuses et sportives, mes parents appréciaient l’encadrement et considéraient les frères comme une chance. Je le pensais aussi.

Mohamed Louizi sur Grand Lille TV


Les Cahiers de l’Islam :  Vous parlez de 2006 comme année où vous avez commencé à adopter une distance critique vis-à-vis de ce mouvement. Qu’est-ce qui a motivé cette posture ? S’agissait-il d’être critique tout en restant à l’intérieur du mouvement ?

Mohamed Louizi : Déjà à partir de 2004, des questions profondes avaient commencé à encombrer mon esprit : Le rapport à la violence et à la non-violence dans l’action islamiste et particulièrement chez les Frères Musulmans ; le sens des libertés, de la liberté de conscience et d’expression ; le sens de l’apostasie et son incompatibilité avec l’absence de contrainte en religion ; le poids énorme donné à ladite sunna du Prophète, la deuxième source scripturaire de l’islam sunnite, et aux hadiths qui lui ont été attribués plus d’un siècle et demi après sa mort ; le recours abusif aux fatwas pour régler des questions d’ordre économique, social voire sociétal - l’on se rappelle de cette étrange fatwa anti-casseur de l’UOIF au moment des émeutes de 2005, etc. Se rajoute à cela, les découvertes surprenantes que j’ai faites, en marge de mes responsabilités, au sein de la Ligue Islamique du Nord et de l’association qui gère la mosquée de Villeneuve d’Ascq, s’agissant de la volonté des Frères Musulmans de se servir des lieux de culte musulmans à des fins politiques au lieu de servir le culte et la communauté des fidèles ; la course folle à la représentativité ; le désintérêt symptomatique pour la question philosophique et culturelle au sens d’engager une réforme structurelle de l’objet/récit « islam » des Frères Musulmans … et j’en passe et des meilleurs.
Ainsi, de 2004 à 2006, je suis resté très actif à l’intérieur mais tout en adoptant une démarche très critique à l’égard de la pensée (et de l’impensé) et des modes de fonctionnement. En 2005, j’avais fait venir le penseur syrien de la non-violence Khales Jalabi pour animer une conférence-débat à Villeneuve d’Ascq. L’actuel président de l’UOIF était présent tout comme le recteur du Centre Islamique de Villeneuve d’Ascq. Cet échange m’a permis de cerner la ligne idéologique des Frères Musulmans et donc celle de l’UOIF, qui est diamétralement opposée à celle de Khales Jalabi, la même que celle de l’apôtre musulman de la non-violence, le syrien Jawdat Saïd que j’ai découvert par chance, presque une décennie auparavant ! La ligne idéologique de l’UOIF au sujet du rapport à la violence et au jihad armé est parfaitement en phase avec le contenu textuel et jurisprudentiel de « l’Epître du Jihad », écrite de la main droite d’Hassan Al-Banna, que j’ai traduite intégralement dans mon essai.
Depuis cette rencontre-débat, quelque chose avait changé dans mon rapport avec la mouvance, ne serait ce que sur les plans intellectuel et affectif. J’ai continué malgré tout jusqu’en octobre 2006 quand j’ai fini par comprendre, enfin, deux choses majeurs : Premièrement, la dépendance de l’UOIF à un agenda stratégique supranational, en plus de sa dépendance idéologique, dépassant les frontières de la France et de l’Europe, et comment, par exemple, une décision politique de Youssef Al-Qaradawi depuis Doha impacte négativement notre action dans l’interreligieux à Villeneuve d’Ascq. J’en parle dans mon essai. Et deuxièmement, l’opacité et le manque de transparence s’agissant de la gestion administrative et financière des lieux de culte. Je ne pouvais plus continuer à apporter ma pierre à l’édifice politique de l’UOIF. J’ai préféré tirer ma révérence au lieu d’accomplir le rôle de témoin passif et complice d’un Tamkine islamiste à l’échelle locale. 

Les Cahiers de l’Islam :  Pour quel(s) motif(s) êtes-vous passez d’une posture critique (de l’intérieur) à une dénonciation public du mouvement ? Y a-t-il un événement en particulier qui a motivé ou précipité cette évolution ?


Mohamed Louizi : J’avais 28 ans lorsque j’ai quitté les Frères Musulmans. Quelques mois après mon départ réfléchi, j’ai cofondé avec des amis une association portant le nom de l’Univers-Cité Pluriel. A titre personnel, j’ai poursuivi mon travail de témoignage critique. Mon blog était ma seule tribune. J’y avais donc publié une série de 12 articles intitulée : Mosquée dans la Cité, réalité et espoirs, analysant mon propre activisme islamiste à la lumière de mes engagements passés, critiquant les modes de fonctionnement et proposant des alternatives pour que « la mosquée réformée », telle que je la veux et je l’imagine, puisse exister et observer quatre principes fondamentaux : 1)- Faire parler la diversité au lieu d’imposer le discours essentialisant d’une idéologie ; 2)- encourager le volontariat au lieu de favoriser le salariat religieux et les carriéristes de la prédication ; 3)- Oser briser les tabous, avec pédagogie, et amorcer les débats de fond et les réformes structurelles indispensables ; 4)- mieux répartir le temps de parole entre l’imam et le public des fidèles, car si l’imam peut orienter, le rôle des fidèles ne doit pas se résumer à dire : Amen ! Les trois derniers volets de cette série, contenant des propositions claires, sont téléchargeables ici

En même temps, j’ai continué à apporter des éclairages documentés au sujet d’autres questions relatives à la réforme et à ses différents courants dans le monde arabo-musulman. Mon objectif était surtout d’apporter aux lecteurs francophones autre chose que ce que propose la propagande idéologique des Frères Musulmans et leurs relais associatifs et médiatiques. Aussi, je voulais expliquer que les Frères Musulmans est une doctrine idéologique et politique, comme il y en avait par le passé, et comme il y en a par dizaines de doctrines islamiques et islamistes, ici ou ailleurs. Je tentais d’expliquer que l’islam, au pluriel, est une chose et que l’islamisme en est une autre ; que « islam » et « islamisme » ne sont pas synonymes ; que « religion » et « religiosités » n’étaient pareilles, etc.
Pendant ce temps-là, l’UOIF poursuivait sa progression islamiste et posait ses jalons à mesure qu’elle avançait dans son processus stratégique d’islamisation globale. Je constatais, presque impuissant, comment elle s’accapare des lieux de culte, l’un après l’autre, en les annexant définitivement au patrimoine immobilier de l’UOIF. Comment elle réussit à duper les fidèles en leur faisant croire, lors des soirées ramadanèsques de collectes des fonds, qu’ils ont construit une maison pour Dieu alors qu’il n’en est rien. Pour exemples, en cas de dissolution des associations « Grande Mosquée de Lille » ou du « Centre Islamique de Villeneuve d’Ascq », l’actif mobilier et immobilier, serait attribué, selon les statuts rédigés en catimini par les frères, à l’UOIF. Et aussi, comment elle développe son réseau d’établissements scolaires privés, dopée par l’argent venant des pays du Golfe et particulièrement de la Qatar Charity pour, essentiellement, islamiser la jeunesse scolarisée en vue de préparer les cadres islamistes de demain, en rupture totale ou partiale, avec le récit républicain et laïque, pour infiltrer les différentes sphères du pouvoir.
Les attentats de janvier 2015 à Paris m’avaient convaincu que quelque chose se passait en France. Les attentats du 13 novembre, l’hypothèse est devenue une certitude. Face à ces drames abjects, l’UOIF, malgré ses structures et ses moyens, ne propose strictement rien qui puisse remettre de l’ordre dans ce chaos terrifiant. Hormis les slogans creux, rien n’a été fait depuis 1983, l’année de sa création. Au contraire, ses tribuns continuent à semer, durant les prêches de vendredis entre autres, dans les têtes de jeunes français, les graines de la haine, du sectarisme, de la division, de la rupture et de la radicalisation, à petites doses régulières. Lorsqu’en plus du déni et des mensonges, l’UOIF s’est attaqué à un professeur de philosophie en février 2015, ma conscience ne pouvait rester sans rien faire. Il fallait mettre à jour mon logiciel de lutte pacifique contre l’islamisme et contre l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. J’ai donc décidé en âme et conscience des risques et périls réels à poursuivre autrement et passer de « la distanciation critique » à « la dénonciation citoyenne et publique ».
Je sais que chaque critique serait vaine si elle n’est pas appuyée par des éléments de preuves matérielles solides. Mes archives cumulées me sont d’une aide inestimable. Je comprends mieux maintenant le sens du dicton : « Les paroles s’envolent et les écrits restent » surtout lorsque l’on prend soin à les protéger. Depuis, j’ai engagé ce travail : pour éclairer la nature du projet stratégique islamiste, le projet Tamkine, mené par l’UOIF ; pour alerter des dangers de ce projet d’abord à l’encontre de la communauté française de foi musulmane (et surtout des plus vulnérables) et aussi à l’encontre de la communauté nationale dans sa diversité et dans sa cohésion ; et pour proposer des pistes de réflexions ainsi que quelques mesures concrètes pour espérer freiner et stopper, à terme, pourquoi pas, cette marche folle des frères vers le Tamkine global, instrumentalisant une foi, la mienne, et ses récits pour imposer une loi et ses menaces.
L’islamisme, je le sais car j’y étais, est très stratège. Il faut en prendre conscience. Son projet Tamkine à quatre marches avance, pas à pas, étape par étape, depuis 1983. Après l’étape de la construction des mosquées est venue l’étape de la construction des établissements scolaires privés, disait le président de l’UOIF à une journaliste. Pour masquer sa vision stratégique et éviter tout débat de société au sujet de ses vraies intentions totalitaires, il fait diversion par l’instrumentalisation des phobies, de part et d’autres. Il se fait l’égal de l’islam et sa magie fonctionne, hélas ! Des faits divers condamnables, animés par des penchants racistes et islamophobes, lui permettent de grimper les échelons sur le dos des victimes. Il veut que l’on ne parle que de l’islamophobie pour ne pas parler ce qu’il est, de ce qu’il représente, et des menaces qu’il fait planer sur l’ensemble de la communauté nationale. Mon essai autobiographique explique aussi comment et pourquoi l’islamisme des Frères Musulmans ne peut être la solution car il est l’un des problèmes de cette crise nationale et planétaire.




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