L’intellectuel britannique d’origine pakistanaise vient de publier en français son Histoire de La Mecque : de la naissance d’Abraham au XXIe siècle (éditions Payot, septembre 2015). Il répond en « musulman critique » aux questions sur son livre et sa conception de l'islam.
Ziauddin Sardar, intellectuel britannique d'origine pakistanaise, historien de La Mecque, est aussi l'un des penseurs de l'islam les plus reconnus, et des plus critiques. Crédits : © Rehan Jamil
Ecrire une histoire de La Mecque, n’était-ce pas aller au-devant de difficultés particulières ?
En effet. Il m’a fallu d’abord distinguer La Mecque en tant que ville, du hadj (pèlerinage) en tant que rituel. Il existe beaucoup de livres sur le hadj. Si j’avais voulu en écrire un de plus, je l’aurais fait sans problème. Mais je voulais faire une biographie de La Mecque.
Une autre difficulté venait des sources : celles qui sont fiables sont rares et la plupart concernent le pèlerinage. Sans compter que je craignais de bouleverser les musulmans qui ont une vision romantique de La Mecque et ne réalisent pas que son histoire est plutôt sanglante. Bien qu’ils vivent dans la « Cité de Dieu », les Mecquois ne sont pas des anges. Ils sont comme tous les êtres humains, soumis au désir, à l’avidité et à l’ambition politique.
En effet. Il m’a fallu d’abord distinguer La Mecque en tant que ville, du hadj (pèlerinage) en tant que rituel. Il existe beaucoup de livres sur le hadj. Si j’avais voulu en écrire un de plus, je l’aurais fait sans problème. Mais je voulais faire une biographie de La Mecque.
Une autre difficulté venait des sources : celles qui sont fiables sont rares et la plupart concernent le pèlerinage. Sans compter que je craignais de bouleverser les musulmans qui ont une vision romantique de La Mecque et ne réalisent pas que son histoire est plutôt sanglante. Bien qu’ils vivent dans la « Cité de Dieu », les Mecquois ne sont pas des anges. Ils sont comme tous les êtres humains, soumis au désir, à l’avidité et à l’ambition politique.
Dans votre livre, vous avez fait œuvre d’historien mais vous vous êtes impliqué personnellement en tant que musulman.
Bien sûr, j’avais moi aussi une vision romantique de La Mecque. Même après y avoir séjourné plusieurs fois et avoir appris à la connaître, cette image restait tenace. Il ne m’a pas été facile d’en faire totalement abstraction. J’avais conscience que l’historien que j’étais risquait d’en pâtir, mais mon implication personnelle l’a parfois emporté. C’est évident dans les deux derniers chapitres. Je n’ai pas pu retenir ma colère en pensant à la destruction du patrimoine irremplaçable de cette ville au cours des dernières décennies. La Mecque a un passé qui doit être préservé. Eradiquer toute trace de ce passé n’est que vandalisme barbare.
A vous lire, on est tenté d’emprunter les mots de Churchill et de dire que l’histoire de La Mecque n’a « à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ».
Hélas, le fait est là. Toute sacrée qu’elle est, La Mecque a une histoire largement profane. Les dynasties qui s’y sont succédé n’ont pas hésité à se massacrer les unes les autres. Certaines tribus, considérant les pèlerins comme un simple butin, leur ont fait subir les pires sévices.
Pourquoi, sur un objet qui vous tient tant à cœur et qui, pour certains, ne prête pas à plaisanterie, avez-vous adopté un ton presque voltairien ?
Cela n’est pas inhabituel chez moi. Je suis critique à propos de tout – y compris de Voltaire. Le premier volume de mon autobiographie a pour titre Desperatly Seeking Paradise : Journeys of a Sceptical Muslim (A la recherche désespérée du Paradis : pérégrinations d’un musulman sceptique). Certains de mes lecteurs musulmans me demandent : comment pouvez-vous être sceptique et musulman ? Je réponds que le Coran nous enseigne à tout remettre en question. C’est ainsi que je vis et que j’écris. Je n’ai pas changé de position dans mon histoire de La Mecque.
Votre expérience de cinq années en Arabie saoudite a-t-elle modifié votre rapport personnel à l’islam ?
Oui. Les Saoudiens ont une interprétation intégriste et littéraliste de l’islam, connue sous le nom de wahhabisme. Je me souviens avoir souvent pensé : si c’est ça l’islam, alors je ne veux rien avoir à faire avec cette religion-là. Pour moi, quiconque croit aveuglément à un dogme est anathème. La voie du littéralisme est une impasse. Croire, c’est être dans un état perpétuel de doute ; et donc admettre que d’autres conceptions de la vérité, d’autres confessions et religions, d’autres façons d’être et de penser peuvent être également valables. Mais les wahhabites pensent qu’ils détiennent la vérité pleine et entière sur l’islam. Le pire, c’est qu’ils sont persuadés que leur version de la vérité doit être imposée à l’ensemble des musulmans. C’est dans cette idéologie que s’enracinent le sectarisme, la bigoterie, l’intolérance et la violence qui se manifestent en terres d’islam et en dehors. Lire la suite.
Bien sûr, j’avais moi aussi une vision romantique de La Mecque. Même après y avoir séjourné plusieurs fois et avoir appris à la connaître, cette image restait tenace. Il ne m’a pas été facile d’en faire totalement abstraction. J’avais conscience que l’historien que j’étais risquait d’en pâtir, mais mon implication personnelle l’a parfois emporté. C’est évident dans les deux derniers chapitres. Je n’ai pas pu retenir ma colère en pensant à la destruction du patrimoine irremplaçable de cette ville au cours des dernières décennies. La Mecque a un passé qui doit être préservé. Eradiquer toute trace de ce passé n’est que vandalisme barbare.
A vous lire, on est tenté d’emprunter les mots de Churchill et de dire que l’histoire de La Mecque n’a « à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ».
Hélas, le fait est là. Toute sacrée qu’elle est, La Mecque a une histoire largement profane. Les dynasties qui s’y sont succédé n’ont pas hésité à se massacrer les unes les autres. Certaines tribus, considérant les pèlerins comme un simple butin, leur ont fait subir les pires sévices.
Pourquoi, sur un objet qui vous tient tant à cœur et qui, pour certains, ne prête pas à plaisanterie, avez-vous adopté un ton presque voltairien ?
Cela n’est pas inhabituel chez moi. Je suis critique à propos de tout – y compris de Voltaire. Le premier volume de mon autobiographie a pour titre Desperatly Seeking Paradise : Journeys of a Sceptical Muslim (A la recherche désespérée du Paradis : pérégrinations d’un musulman sceptique). Certains de mes lecteurs musulmans me demandent : comment pouvez-vous être sceptique et musulman ? Je réponds que le Coran nous enseigne à tout remettre en question. C’est ainsi que je vis et que j’écris. Je n’ai pas changé de position dans mon histoire de La Mecque.
Votre expérience de cinq années en Arabie saoudite a-t-elle modifié votre rapport personnel à l’islam ?
Oui. Les Saoudiens ont une interprétation intégriste et littéraliste de l’islam, connue sous le nom de wahhabisme. Je me souviens avoir souvent pensé : si c’est ça l’islam, alors je ne veux rien avoir à faire avec cette religion-là. Pour moi, quiconque croit aveuglément à un dogme est anathème. La voie du littéralisme est une impasse. Croire, c’est être dans un état perpétuel de doute ; et donc admettre que d’autres conceptions de la vérité, d’autres confessions et religions, d’autres façons d’être et de penser peuvent être également valables. Mais les wahhabites pensent qu’ils détiennent la vérité pleine et entière sur l’islam. Le pire, c’est qu’ils sont persuadés que leur version de la vérité doit être imposée à l’ensemble des musulmans. C’est dans cette idéologie que s’enracinent le sectarisme, la bigoterie, l’intolérance et la violence qui se manifestent en terres d’islam et en dehors. Lire la suite.