Les cahiers de l'Islam
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Omar Merzoug
Omar Merzoug est journaliste et collabore régulièrement avec Le Quotidien d'Oran pour lequel il... En savoir plus sur cet auteur
Mardi 4 Septembre 2018

Ludovico Di Varthéma. Premier visiteur européen de La Mecque.



Ce voyageur, né à Bologne, est le premier Européen à avoir effectué le voyage à La Mecque et à Médine et surtout à en avoir laissé un témoignage. Ses dates de naissance et de mort sont également incertaines, mais on le donne pour étant né vers 1470 ; il se serait éteint vers 1517.

Par Omar Merzoug
Omar Merzoug est notamment l'auteur de l'ouvrage Existe-t-il une philosophie islamique ? publié aux éditions Les cahiers de l'Islam .

Cet article publié dans un premier temps dans le quotidien Reporters et repris ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.

A la suite de cet article, le lecteur intéressé pourra écouter l'émission Questions d'islam de France Culture dans laquelle Ghaleb Bencheikh interroge Omar Merzoug sur Ludovico Di Varthéma.  

A coté de Shiraz, rencontre entre Varthèma et le Khoa Zianor
A coté de Shiraz, rencontre entre Varthèma et le Khoa Zianor


Son nom de famille connaît dans les diverses éditions européennes de son voyage une orthographe capricieuse. En français, on a longtemps écrit Louis de Barthème avant de se rallier, au XXe siècle, à Varthéma. Dans la version latine qui fut faite de son voyage, le traducteur épelle son nom «Ludovicus Patricius Romanus» Wartemanus, Wartomanus, ou encore Warthemanus» et il arrive qu’on le trouve nommé tout simplement le «Bolonais» par référence à la ville dont il serait originaire. Il s’est de surcroît toujours donné lui-même pour «Gentilhomme de Rome». De cette diversité d’orthographes sont nées des hypothèses touchant ses origines et le mystère dont le sieur Varthéma reste enveloppé. En 1878, un chercheur italien, M. Amat di San Filippo fait observer qu’aucune famille de Bologne n’a jamais porté le nom de Varthéma. Il en conclut que le « Gentilhomme de Rome » comme il se présentait n’en était pas originaire, qu’il s’agirait somme toute d’un pseudonyme. Opinion partagée par P.J. Lafitau, lequel remarque, dans son « Histoire des découvertes et des conquêtes du Nouveau-Monde », que Louis Barthéma a « déguisé son nom, son état et sa patrie ». Pour quelles raisons ? On l’ignore. M. Schefer, savant éditeur de la relation de voyage de Varthéma (Ernest Leroux, Paris, 1888) émet l’hypothèse que le nom de Varthéma ne serait pas autre chose que «la corruption du nom allemand Wartman ou celui de Wertheim» : « Un individu originaire de la ville de ce nom se serait peut-être établi à Bologne où lui et son fils, en leur qualité d’étrangers, n’auront laissé aucune trace ». Enfin, M. Amat di San Filippo croit judicieux de conjecturer, en 1885, que le nom de Varthéma serait « celui de Varthémate, localité du district de Côme ». Ce ne sont là que des conjectures qui valent ce qu’elles valent en l’absence de toute preuve formelle. Au reste, de sa famille, nous ne savons rien. Dans les écrits qui nous sont parvenus de lui, Varthéma ne fait rien pour dissiper les ombres épaisses qui couvrent sa carrière et ses origines.

Que savons-nous au juste de lui ? On admet qu’il est vraiment né à Bologne, même si on le soupçonne de n’être pas d’origine italienne. Il est certain qu’il connaissait les villes de Venise, de Naples et la Sicile. Qu’il ait longtemps habité Rome ne semble pas faire de doute, car il ne cesse de se dire «gentilhomme romain». A-t-il, comme on le subodore, entamé une carrière militaire ? Il semble qu’il a bien embrassé l’état militaire et qu’il ait eu un goût marqué pour l’aventure et le risque. A-t-il été vendu comme esclave après avoir été capturé ? Il ne serait pas le seul Européen dans ce cas ! Il semble certain que ses itinéraires aventureux l’aient bien mené en Arabie, à La Mecque et à Médine, sur lesquels il donne des éléments d’information d’inégale valeur. Nous savons qu’il s’est embarqué de Venise pour Alexandrie dans le courant de l’an 1503 un jour où les vents étaient favorables, qu’il visita respectivement le Caire, Beyrouth, Tripoli et Alep. Il dit de Beyrouth qu’elle est une « ville fort peuplée de maures et qui regorge de marchandises ». Le Caire l’émerveilla à première vue, puis le déçut quelque peu. Il ne le trouva point si extraordinaire qu’il en avait d’abord eu l’air. Pourtant, il s’agit de l’une des villes où les œuvres artistiques et architecturales foisonnent. A l’époque où notre voyageur fait connaissance avec le Caire, au début du XVIe siècle, il ne peut lui échapper que les Mamelouks ont redoublé de créativité pour doter le Caire d’édifices religieux tout à fait remarquables encore dignes d’être aujourd’hui admirés. Il lui suffi sait au demeurant de gravir le Moqattam pour voir se dérouler à ses yeux un magnifique panorama. Touchant le Caire, la paucité des détails que Varthéma fournit surprend le lecteur mais, le pressentant, il tient à préciser à l’adresse de son lecteur : « Touchant les richesses et la beauté dudit Caire et de l’orgueil desdits mameluks, nous n’en parlerons pas… car la chose est assez notoire » écrit-il. Mais lorsqu’il atteint Damas, son récit devient plus circonstancié, probablement parce qu’il considère qu’à Damas il voit et assiste à des choses qui ne sont pas connues ou qui le sont moins et, par conséquent, conformément à son projet, dignes d’être rapportées. Il est tout admiration devant Damas qu’il trouve «fort populeuse et bien riche» et Damas, précise- t-il, n’est habitée que « de Maures, de Mameluks et de nombreux Chrétiens grecs (...) On ne saurait estimer la noblesse et les richesse des beaux ouvrages que l’on y fait ». Les mosquées qu’il compare à des églises, le frappent : « En la dite cité [Damas] y a plusieurs mosquées, églises en notre langage. Entre les autres, il y en une principale qui est de la grandeur de Saint Pierre de Rome ».

La mystérieuse capitale enflamme les imaginations

À Damas, Varthéma demeura assez longtemps pour dit-il «pour apprendre le langage des Maures» Varthéma entreprit d’apprendre la «langue mauresque» ; le projet du voyage à la Mecque fermentait déjà dans son esprit. Le 4 avril 1503, comme on était en plein préparatifs pour le voyage à La Mecque, Varthéma, qui brûlait de voir comme il l’écrit «des choses nouvelles » prit langue avec le capitaine des Mameluks, qui était, dit-il «un chrétien renégat». Dans la soldatesque Mamelouke, nombreux étaient de surcroît les Européens convertis pour une raison ou pour une autre à l’Islam. Les captifs des pirates, les prisonniers ramassés sur les champs de bataille en Europe par les Turcs vainqueurs, la masse des Européens, Allemands, Hongrois, Serbes, Italiens qui avaient rallié la bannière de l’islam, était considérable. Ce capitaine mameluk fournit à Varthéma l’équipage vestimentaire adéquat, moyennant une forte somme d’argent et des cadeaux. Ainsi travesti en mameluk et sachant assez d’arabe, Varthéma pouvait sans grande difficulté passer pour un authentique rallié à la foi musulmane. On ne saurait trop admirer la discrétion avec laquelle Varthéma signale sa conversion à l’islam. Car sans conversion, il était impossible pour un non-musulman de pénétrer dans les territoires sacrés de l’Arable et par là même interdits à tout non-musulman, le capitaine des mameluks ne pouvant l’ignorer. Ce qui semble confirmer sa conversion, c’est ce que Varthéma raconte lui-même la scène où il est interpellé par un maure qui ne s’en laisse pas conter par les protestations d’islamité que lui prodigue Varthéma. Le Maure l’assure l’avoir aperçu en Italie, à Gênes et à Venise et lui en fournit moult indices. A quoi Varthéma répond qu’il s’était fait musulman au Caire, ce qui tranquillise son inquisiteur qui lui fait alors «très grand honneur». Il fallait compter plus d’un mois pour atteindre La Mecque : « De Damas, il y a quarante jours et quarante nuits à cheminer en cette manière » [à dos de monture]

" La très noble cité de la Mecque "

Après avoir visité Médine, la caravane à laquelle Varthéma avait pris part parvient, le 18 mai de l’an 1503, devant «La très noble cité de La Mecque» qui est «belle et bien peuplée». Ils y entrent par le nord et descendirent « à bas à la plaine du côté du midi ». Pourtant Varthéma précise qu’« il est à présupposer que ladite cité ait été maudite de Dieu, car le pays ne produit ni herbes ni arbres, et souffre beaucoup de la pénurie d’eau. » La population de la Mecque reçoit provisions et vivres «en partie du Caire par la mer Rouge où il y a un port qui s’appelle Gida (Djeddah) et est loin de ladite cité de quarante milles» et d’autre part du Yémen et de l’Ethiopie. Les Indiens exportent vers l’Arabie nombre de joyaux et de bagues, une grande quantité d’épices, du Bengale leur parvient de la soie «en sorte que dans la dite cité on y fait grand commerce de marchandise de joyaux, de toutes sortes d’épices, de toutes sortes de soie et de coton en grande quantité et de toutes sortes de choses odoriférantes» Varthéma se montre étonné de voir un peuple de pèlerins aussi nombreux rassemblés en un seul endroit : «Nous trouvâmes quantité de pèlerins, les uns venaient d’Ethiopie, les autres d’Inde la majeure, les autres d’Inde la mineure, les autres de Perse et les autres de Syrie et, ajoute-t-il «vraiment, jamais je ne vis en une ville si grand peuple dans le laps de temps de 8 jours que j’y ai passés.» Varthéma décrit ensuite les rites du pèlerinage, description qui laisse à désirer, Varthéma n’accordant pas un intérêt majeur au culte et aux cérémonies religieuses ; pourtant, nous tenons là la toute première description faite par un Européen des rites du pèlerinage et de la Mecque. Songeant sans doute aux Chrétiens qui le liront, Varthéma procède à d’assez hasardeuses comparaisons avec les monuments de Rome. Ainsi, quelques malencontreux parallèles, la Kaaba est une «petite tour», le Haram serait semblable au Colisée («au milieu de la cité, il y a un temple très beau, construit à la semblance du Colisée de Rome, fait de pierres cuites et aussi rond que le Colisée»). A côté de descriptions intéressantes et parfois exactes, le récit de Varthéma contient des vues inexactes, partielles et même défi cientes. D’autres voyageurs, comme Joseph Pitts, au XVIIe siècle, ou Richard Burton, au XIXe siècle, feront montre de plus d’attention. Se prétendant artilleur et nourrissant dit-il à son ami renégat des sentiments fort peu amènes envers les Chrétiens, surtout les Portugais, qui par leur expéditions, tarissent le fl ot des marchandises qui parvenait à la Mecque, Varthéma révèle au renégat qu’il est artilleur et que s’il pouvait mettre ses compétences au service des souverains musulmans, il en serait ravi. Pour cela, il faudrait qu’il puisse quitter la Mecque au plus vite. Le renégat le seconde dans son projet et c’est ainsi que Varthéma s’embarque à Djeddah, d’où il gagne Aden. Démasqué à Aden comme chrétien, il est arrêté et incarcéré. Devant le sultan de Sanaâ, il refuse de prononcer la profession de foi qui lui aurait valu la liberté et demeure, de ce fait, emprisonné. Par bonheur, l’une des femmes du sultan, éprise de son teint blanc, tombe amoureuse de Varthéma. Celui-ci exploite cette passion de la sultane et manoeuvre habilement pour recouvrer la liberté. Au reste, l’Arabie n’a pas été l’alpha et l’oméga des voyages de Varthéma. Après l’Arabie, il se rendit au Yémen, en Perse, aux Indes et il prit du service dans les armées du Portugal, puis rentra, sain et sauf, à Rome en 1508. La soif de connaissance qui poussait Varthéma à d’aussi aventureuses expériences en s’inscrivant du reste dans le sillage d’autres tentatives : «Le désir qui a incité plusieurs autres de voir la diversité des monarchies mondaines m’a semblablement conduit à la même entreprise. Et à cause que tous autres pays et provinces ont été assez décrits par plusieurs autres, j’ai résolu en mon coeur de voir des provinces par nos prédécesseurs moins fréquentées. ». N’ayant que peu de goût pour l’exploration livresque, Varthéma déclare qu’il voulait tenter l’expérience directe et voir des contrées dont on parlait beaucoup autour de lui. Il ne faut pas oublier que Varthéma est le contemporain d’une période historique, la Renaissance, où le monde s’agrandit et où les horizons s’élargissent.

Faire l'expérience des pays exotiques

Varthéma a été le premier Européen à écrire et publier sa relation. Mû par un « ardent désir de connaissance », il a donc rédigé ses impressions, les choses vues et entendues, c’est ce que voulait Varthéma, constater les choses de visu, ce qui montre que Varthéma est assez bien représentatif de son temps. Il ne veut pas se contenter de copies, de on-dit, de racontars, de légendes controuvées, il veut faire par lui-même l’expérience des pays exotiques dont on lui rebat les oreilles. Et en effet, Varthéma corrige quelques erreurs, notamment la plus célèbre celle qui place le tombeau du Prophète à la Mecque, lors que nous savons que le Prophète de l’islam est enterré à Médine où, du reste, il mourut en juin 632. En revanche, Varthéma commet une erreur d’un assez gros calibre quand il écrit que les califes ‘Uthmân et ‘Alî sont enterrés aux côtés du Prophète, mais il rectifie la légende selon laquelle le tombeau du Prophète aurait été suspendu en l’air par l’effet d’un aimant et celle touchant une lumière qui sortirait du tombeau du Prophète. Varthéma ne tient pas en haute estime les musulmans et les Bédouins. Des tentes de «soldats» forment leur logis, tentes «faites de grosse laine, noirâtres et laides», A la Mosquée de Médine, il y des livres où sont recueillies des récits touchant « la vie de Mohammed et de ses compagnons». Des dissensions et de multiples sectes sont nées parmi cette «canaille» dont les uns veulent faire prévaloir telle tradition aux dépens de telle autre provoquant ainsi des guerres intestines : «Ils s’entretuent comme des bêtes» à propos d’hérésies qui toutes sont fausses (lesdites heresies qui rien ne vaillent»). Au reste, le pays où se trouve Médine semble maudit par Dieu, car les terres y sont arides, à l’exception d’une soixantaine de palmiers. Les sentiments que Varthéma professe à l’endroit des Musulmans sont au contraire assez représentatifs des préjugés européens de son temps, préjugés du reste non questionnés, idées reçues du Moyen âge qui ne fut guère tendre avec l’Orient et le monde musulman. Aux yeux de Varthéma, les Musulmans ne sont que des «païens». N’oublions pas que Varthéma écrit au moment où l’Europe subit la poussée turque, il y a donc chez lui un mélange d’émerveillement, d’admiration pour l’Orient et en même temps de crainte. Sentiments qu’on retrouve par exemple auparavant chez Pierre Le Vénérable, abbé de Cluny qui est saisi d’admiration en visitant l’Espagne musulmane en même temps que frappé de terreur par un adversaire aussi puissant et prospère. Pour combattre cette civilisation brillante, il incite Robert de Rétines à traduire le Coran, livre censé contenir les secrets de la puissance musulmane.
 

Mélanges d'émerveillement, d'admiration et de crainte pour l'Orient

Nous ne sommes pas plus renseignés sur les dernières années de Ludovico de Varthéma. La date de son décès, 1517, n’est qu’une conjecture, puisque certains spécialistes donnent une fourchette allant de 1512 à 1517 : «On n’a réussi à découvrir aucun document qui puisse nous fixer ni sur la date de sa naissance ni sur celle de sa mort, ni sur le lieu où il fut inhumé» note l’éditeur de son voyage. Les seules informations sur notre voyageur, c’est lui-même qui les fournit et cette maigre moisson s’épuise en 1510, date à laquelle parut son itinéraire, à Rome. Le livre de Varthéma connut un succès durable et indéniable, et il connut plusieurs rééditions. Il fut traduit en latin et dans les principales langues européennes. Dès 1511, il est traduit en latin par les soins de Archangelo Madrignano. Une version allemande vit le jour en 1515 et la première traduction espagnole parut en 1520. Ces traductions qui se succédèrent rapidement sont le signe du succès que connut l’itinéraire de L. de Varthéma. Pendant un demi-siècle, le succès fut au rendez-vous et l’intérêt des lecteurs ne connut pas de répit. A quoi donc était-il dû ? D’abord à l’atmosphère de la Renaissance, au changement de repères auquel on assistait à ce moment-là, à la curiosité universelle qui s’attachait aux figures de l’altérité. L’Amérique venait d’être découverte, on voyait apparaître des choses inouïes, des êtres dont rien ne laissait supposer l’existence, aux modes de vie, aux langues tout à fait inconnues. L’Arabie, par le caractère tabou qu’elle opposait à la curiosité européenne excitait l’ardeur et le zèle des voyageurs et des aventuriers. Elle suscitait tout autant l’intérêt des savants et des humanistes.
 






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