Les cahiers de l'Islam
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Lundi 21 Septembre 2015

Ibn Battûta, Voyages (Extrait)



En cette fin de pèlerinage, nous vous proposons un extrait du récit de l’arrivée à la Mecque du "voyageur Musulman" Ibn Battûta. Ce voyage qu'il effectua au début du XIVe siècle fut l'objet d'un récit rédigé par un certain Ibn Djuzay sous la dictée du voyageur.

Le texte, traduit de l’arabe par deux orientalistes C. Defremery et B.R. Sanguinetti au milieu du XIXe siècle, sera édité à plusieurs reprises, en particulier par les éditions "La Découverte" .

L'iconographie accompagnant l'extrait présenté ici est tirée de l'ouvrage Mémoires du Hajj, Le pèlerinage à La Mecque vu à travers les Arts de l’Islam, la production intellectuelle et matérielle de l’époque médiévale à l’époque contemporaine. " paru aux éditions " Cahiers de l'Islam " et dont le lecteur pourra retrouver un extrait ici.

 

Vue générale de la Ka‘ba. Peinture par Mahmud Malik. Datée de 1293 H (1876-1877 EC). Aquarelle sur papier. 49.2 cm x 59.2 cm. Museum of Islamic Art, Doha. MS.801.2011. © Museum of Islamic Art, Doha.
Vue générale de la Ka‘ba. Peinture par Mahmud Malik. Datée de 1293 H (1876-1877 EC). Aquarelle sur papier. 49.2 cm x 59.2 cm. Museum of Islamic Art, Doha. MS.801.2011. © Museum of Islamic Art, Doha.

 

[...] Or nous arrivâmes vers le matin à la ville sûre, La Mecque (puisse Dieu très haut l‟illustrer !), et nous y descendîmes près du sanctuaire de Dieu (qu‟il soit exalté !), demeure de son ami Ibrâhîm, et lieu de la mission de son élu Mohammed ; que la bénédiction de Dieu et la paix soient sur lui ! Nous entrâmes dans la maison sainte et noble (où quiconque y est entré se trouve en sûreté) [1], par la porte des Bénou Cheïbah [2], et nous vîmes la sublime ca‟bah ; que Dieu augmente sa vénération ! Elle est comme une jeune mariée qui brille sur le trône de l‟illustration, et se balance dans les manteaux rayés de la beauté. Les foules du miséricordieux l‟entourent, et elle conduit au jardin du paradis. Nous fîmes autour d‟elle les tournées (prescrites) de l‟arrivée [3], et nous baisâmes la noble pierre. Nous récitâmes une prière de deux rec'ahs dans la place d‟Abraham [4], et nous nous suspendîmes aux voiles de la ca‟bah, à côté du Moltazem, lieu situé entre la porte et la pierre noire, et près duquel les prières sont exaucées. Ensuite nous bûmes de l‟eau du puits de Zamzam ; et quand on la boit, on lui trouve [les qualités qu‟on connaît] d‟après les paroles du Prophète.

Nous courûmes entre Assafâ et Almarouah, et nous descendîmes dans une habitation située en ce lieu, près de la porte d‟Ibrâhîm. Louange à Dieu qui nous a ennoblis par notre présence dans cette ILLUSTRE MAISON, et qui nous a mis au nombre de ceux que l‟invocation d‟Abraham (sur le-quel soient la bénédiction et le salut !) [5] a conduits au but ; qui a réjoui nos yeux par la vue de la noble ca‟bah et de la mosquée sublime, de la pierre illustre, de Zamzam et du hathîm [6].

Parmi les œuvres merveilleuses de Dieu, il est à remarquer qu‟il a imprimé dans les cœurs des hommes le désir de se rendre auprès de ces illustres lieux, et la passion de se trouver dans leurs nobles places de réunion. Il a rendu leur amour tout-puissant dans les âmes ; car personne ne s‟y arrête, qu‟ils ne s‟emparent aussitôt de tout son cœur ; et nul ne les quitte qu‟il ne soit triste de s‟en séparer, troublé de s‟en éloigner, plein d‟affection pour eux, et ayant la ferme intention de renouveler sa venue dans ces saints lieux. En effet, leur sol béni est le but des yeux, et leur amour remplit les cœurs, par suite de l‟éminente sagesse de Dieu, et en confirmation de la prière de son ami. Le désir rend présents ces lieux, tandis qu‟ils sont éloignés, et il les représente à l‟esprit, quoique absents. Celui qui s‟y rend ne tient nul compte des peines qu‟il éprouve et des contrariétés qu‟il endure. Com-bien d‟infirmes n‟ont-ils pas vu distinctement la mort avant d‟atteindre ces nobles sanctuaires, ou éprouvé le néant du-rant le voyage ! Et, lorsque Dieu y a rassemblé ses hôtes, ils s‟y trouvent contents et heureux, comme s‟ils n‟avaient goûté, pour y arriver, aucune amertume, ni enduré de malheurs ni de tourments. C‟est, certes, là un ordre divin, une oeuvre céleste ! C‟est un argument qui n‟est mélangé d‟aucun doute, ni couvert d‟aucune obscurité, ni envahi par aucune fausseté. Il est en grand honneur dans l‟esprit des hommes intelligents, et il dissipe les soucis des gens préoccupés [7]. Celui au-quel Dieu a fait la grâce de pouvoir descendre dans ces contrées et d‟être présent dans ces demeures, il l‟a favorisé du plus grand bienfait, et l‟a mis en possession de la meilleure part des deux habitations ; savoir celle de ce monde et l‟autre. Or il est de son devoir d‟être très reconnaissant des dons qu‟il a reçus, et de persévérer dans la louange de Dieu, à cause de ce qu‟il lui a départi. Que Dieu très haut, par suite de sa bonté et de sa générosité, nous mette au nombre de ceux dont la visite est agréée, et dont le commerce fait à cette occasion a prospéré ; dont les gestes sont écrits dans la voie de Dieu, et dont les péchés sont effacés par l‟acceptation [du repentir].
[...]

De la mosquée vénérable (que Dieu l’ennoblisse et l’exalte !)

Elle est située dans le milieu de la ville, et très vaste, ayant en longueur, du levant au couchant, plus de quatre cents coudées, suivant ce que rapporte Alazraky [8] ; sa largeur est à peu près d‟autant. La ca‟bah magnifique se trouve au milieu du temple. Il est d‟une forme si admirable, et sa vue est si jolie, que la langue s‟efforcerait vainement de décrire ses merveilles, et aucune description ne pourrait donner l‟idée de sa parfaite beauté. La hauteur de ses mu-railles est d‟environ vingt coudées ; son toit est supporté par de longues colonnes, rangées sur trois files, solidement et admirablement travaillées. La disposition de ses trois nefs est aussi fort belle, et il semble qu‟elles n‟en fassent qu‟une seule. Le nombre de ses colonnes de marbre blanc est de quatre cent quatre-vingt-onze [9], sans compter les piliers de plâtre qui se trouvent dans l‟Hôtel de l‟assemblée [10], lequel est ajouté à la mosquée. Il est dans l‟intérieur de la nef située au nord [11], et il a vis-à-vis la place [d‟Abraham] et l‟angle babylonien. On entre par cette nef dans sa cour, qui est contiguë. Cette même nef a, le long de sa paroi, des bancs surmontés d‟arcades, où s‟asseyent les maîtres de lecture coranique, les copistes et les tailleurs. Dans la paroi de la nef qui lui fait face sont aussi des bancs pareils. Les autres nefs en ont également au bas de leurs murs, mais sans arcades. Près de la porte d‟Abraham [12] se trouve une entrée de la nef occidentale qui a des colonnes de plâtre.

De nobles actes ont été exécutés par le khalife Almahdy Mohammed, fils du khalife Abou Dja‟far almansoûr (que Dieu soit satisfait d‟eux !) ; savoir : l‟élargissement du temple de La Mecque et le raffermissement de sa construction. Il est, en effet, écrit, à la partie supérieure du mur de la nef occidentale : « Le serviteur de Dieu, Mohammed almahdy, commandant des croyants (puisse Dieu le favoriser !), a ordonné d‟agrandir la sainte mosquée, en faveur des pèlerins de la maison de Dieu. Cette construction a eu lieu dans l‟année cent soixante-sept de l‟hégire [13] ».

Description de la ca’bah vénérée et noble (que Dieu augmente sa considération et sa noblesse !)

La ca’bah est située au milieu de la mosquée. C‟est un édifice carré, dont l‟élévation, sur trois de ses côtés, est de vingt-huit coudées, et sur le quatrième, de vingt-neuf. Ce dernier est celui qui se trouve entre la pierre noire et l‟angle du Yaman. La longueur de sa face, depuis l‟angle de l‟Irâk jusqu‟à la pierre noire, est de cinquante-quatre empans. Il en est de même pour celle de la façade qui lui fait vis-à-vis, et qui s‟étend depuis l‟angle du Yaman jusqu‟à l‟angle de la Syrie.La longueur du côté qui va de l‟angle de l‟Irâk à celui de la Syrie, à l‟intérieur du hidjr [14], est de quarante-huit empans. Il en est ainsi de celui qui lui fait face [15], de l‟angle de la Syrie à celui de l‟Irâk. Mais le dehors du hidjr est de cent vingt empans, et les tournées se font à l‟extérieur de ce pan de mur septentrional. La ca’bah est construite avec des pierres très dures et brunes, jointes ensemble de la manière la plus admirable, la plus élégante et la plus solide ; de sorte que le temps ne les change pas, et les siècles n‟y laissent aucune trace.

La porte de la ca’bah vénérée se trouve dans le côté situé entre la pierre noire et l‟angle babylonien. La distance qui la sépare de la pierre noire est de dix empans, et ce lieu est nomme Almoltazam. C‟est là que les prières sont exaucées. L‟élévation de la porte au-dessus du sol est de onze empans et demi, sa largeur de huit empans, et sa hauteur, de treize. L‟épaisseur du mur sur lequel elle est placée est de cinq empans. Elle est recouverte de lames d‟argent d‟un travail admirable ; ses deux montants et son linteau sont également revêtus de lames d‟argent [16]. Elle a aussi deux crampons du même métal, fort grands, et sur lesquels est appliqué un verrou.

On ouvre la noble porte tous les vendredis, après la prière ; on l‟ouvre aussi le jour anniversaire de la naissance du Prophète [17]. La règle qu‟on suit pour l‟ouverture de la porte, c‟est de prendre une estrade semblable à une chaire, ayant des marches et des pieds de bois, où sont adaptées quatre poulies sur lesquelles roule l‟estrade. On la place contre le mur de la ca‟bah vénérée, de façon que son degré supérieur se trouve de niveau avec le noble seuil. Le chef des Benou Chaïbah [18] y monte, tenant dans sa main la clé illustre ; il est accompagné par les huissiers, qui saisissent le rideau couvrant la porte de la ca‟bah, appelé albarka‟ [19], pendant que leur supérieur ouvre la porte. Après cela, il baise l‟illustre seuil, et entre tout seul dans le sanctuaire, en fermant la porte. Il reste ainsi le temps de faire une prière de deux rec‟ahs ; après quoi entrent les autres chaïbites, en fermant aussi la porte. Ils font à leur tour les prières et les prosternations. On ouvre alors la porte, et le peuple s‟empresse d‟entrer [20]. Mais, pendant les cérémonies ci-dessus, il se tient en face de la noble porte, avec des regards soumis, des coeurs humbles et les mains tendues vers le Dieu suprême. Lorsque la porte s‟ouvre, il proclame la grandeur de l‟Éternel [21] et il s‟écrie : « O Dieu, ouvre pour nous les portes de ta miséricorde et de ton pardon, toi, le plus misé-ricordieux de ceux qui sont miséricordieux ! »

L‟intérieur de l‟illustre ca‟bah [22] est pavé de marbre nuancé de blanc, de bleu et de rouge ; il en est ainsi du marbre qui recouvre ses murailles. Il a trois colonnes excessivement élevées, faites avec du bois de teck, et qui sont séparées l‟une de l‟autre de la distance de quatre pas ; elles occupent le milieu de l‟espace qui constitue l‟intérieur de l‟illustre ca‟bah. Celle du milieu fait face à la partie mitoyenne du côté qui est entre les deux angles, de l‟Irâk [23] et de la Syrie.

Les rideaux de la noble ca‟bah sont de soie noire [24], et l‟on y a tracé des caractères blancs. Ils brillent d‟une lumière et d‟une splendeur, et recouvrent la ca‟bah depuis le haut jusqu‟au sol.

Un des prodiges admirables opérés dans la noble ca‟bah, c‟est que, sa porte s‟ouvrant, le sanctuaire est rempli d‟une multitude qui ne peut être comptée que par Dieu, qui l‟a créée et l‟a nourrie. Toutes ces populations y entrent ensemble, et la ca‟bah n‟est pas trop étroite pour elles. Un autre de ses miracles, c‟est qu‟on ne cesse jamais, ni la nuit ni le jour, de faire des tournées autour d‟elle. Personne ne se rappelle l‟avoir jamais vue sans quelqu‟un y faisant lesdites processions. Une autre de ses merveilles, c‟est que les colombes de La Mecque, bien qu‟elles soient en grande quanti-té, ni les autres oiseaux, ne s‟abattent point sur elle et ne planent au-dessus d‟elle dans leur vol. On voit les pigeons voler au-dessus de tout le sanctuaire ; et lorsqu‟ils se trou-vent vis-à-vis de l‟illustre ca‟bah ils s‟en détournent vers un de ses côtés et ne s‟élèvent pas sur elle. On dit qu‟aucun oiseau ne s‟y pose, à moins qu‟il ne soit malade : alors, ou il meurt à l‟instant, ou bien sa maladie guérit. Louange à Dieu, qui l‟a distinguée par la noblesse et l‟illustration et lui a départi le respect et la vénération !

De la gouttière bénie

La gouttière se trouve à la partie supérieure du côté qui surmonte le hidjr [25] ; elle est en or, large d‟un empan, et elle s‟avance à l‟extérieur de la quantité de deux coudées. Le lieu situé au-dessous de la gouttière est l‟endroit où l‟on pense que la prière est exaucée. Au-dessous de la gouttière, dans le hidjr, est le tombeau d‟Ismaël [26]. On voit au-dessus de lui une plaque de marbre vert, allongée, en forme d‟un mihrâb, et contiguë à une autre, également verte, mais ronde. L‟une et l‟autre sont larges d‟un empan et demi ; elles sont d‟une forme admirable et d‟un aspect élégant. A côté de ce tom-beau, vers l‟angle de l‟Irâk, est celui de la mère d‟Ismaël, Hôdjar. Il est distingué par une plaque de marbre vert, de forme circulaire, dont le diamètre est d‟un empan et demi. La distance qui sépare les deux sépulcres est de sept empans.

Description de la pierre noire

Elle est élevée de six empans au-dessus du sol, de façon que l‟homme de haute taille se courbe pour la baiser, et celui qui est petit allonge le cou pour l‟atteindre. Elle est encastrée dans l‟angle oriental [27] ; sa largeur est de deux tiers d‟empan, et sa longueur, d‟un empan. Elle est fixée solidement, mais on ne sait pas à quelle profondeur elle entre dans l‟angle susdit. Elle contient quatre fragments réunis ensemble, et l‟on dit que le Karmathe (Dieu le maudisse !) est celui qui l‟a cassée [28]. On prétend aussi que c‟est un autre qui l‟a brisée, en la frappant avec une masse d‟armes [29], Les assistants se précipitèrent pour le tuer, et, à cette occasion, il périt un bon nombre de Barbaresques. Les côtés de la pierre sont attachés par une lame d‟argent dont la blancheur brille sur le noir de l‟illustre pierre. Les yeux voient en elle une beauté admirable (à l‟instar d‟une jeune mariée) ; à l‟embrasser, on éprouve un plaisir dont se réjouit la bouche, et celui qui la baise désirerait ne plus cesser de la baiser ; car c‟est là une qualité inhérente à elle, et une grâce divine en sa faveur [30]. Qu‟il suffise de citer les paroles du Prophète à son sujet : « Certes, qu‟elle est la main droite de Dieu sur sa terre ! » Que Dieu nous favorise de pouvoir l‟embrasser et la tou-cher, et permette d‟y parvenir à tous ceux qui le désirent ardemment !

Dans le fragment intact de la pierre noire, du côté qui touche à la droite de celui qui l‟embrasse, est une petite tache blanche et brillante semblable à un grain de beauté sur cette face resplendissante. On voit les gens, lorsqu‟ils font les tournées, tomber les uns sur les autres, par suite de leur em-pressement à la baiser. Il est rare qu‟on puisse y arriver, si ce n‟est après un long empêchement. La même chose arrive pour l‟entrée de la maison illustre. C‟est près de la pierre noire que commencent les processions, et ce lieu est le premier angle que rencontre celui qui fait les tournées. Lorsqu‟il l‟a embrassée, il s‟en éloigne un peu en reculant, met la noble ca‟bah à sa gauche et chemine dans ses tournées après cela, il rencontre l‟angle de l‟Irâk, situé au nord puis l‟angle de la Syrie, à l‟occident ; ensuite celui du Yaman, au midi, et après il revient à la pierre noire, à l‟orient.

La Ka‘ba recouvert par la kiswa. Au premier plan, le maqām d’Ibrāhīm. Avril 2011. © Les cahiers de l'Islam.
La Ka‘ba recouvert par la kiswa. Au premier plan, le maqām d’Ibrāhīm. Avril 2011. © Les cahiers de l'Islam.

 

De la noble station

Il existe, entre la porte de la ca‟bah et l‟angle de l‟Irâk, un lieu [31] dont la longueur est de douze empans, la largeur de six environ, et la hauteur d‟environ deux empans. C‟était le lieu de la station du temps d‟Abraham [32] ; ensuite le Prophète l‟a transférée dans le lieu qui est maintenant un oratoire. Quant à l‟endroit décrit ci-dessus, il est devenu une sorte de réser-voir, et les eaux de la maison illustre coulent vers lui lors-qu‟on la lave [33]. C‟est une place bénie, où les gens se pressent en foule pour y prier. Le lieu de la noble station est à l‟opposite de l‟espace qui existe entre l‟angle de l‟Irâk et la porte illustre ; mais il incline davantage vers cette dernière. Il est surmonté d‟une coupole, au-dessous de laquelle se voit un grillage en fer, qui n‟est pas tellement éloigné de la noble station, que celui qui passe ses doigts à travers le grillage ne puisse atteindre le coffret. Le grillage est fermé ; mais au-delà se trouve un lieu étroit, consacré à servir d‟oratoire pour faire une prière de deux rec‟ahs, après les tournées.

On lit dans le Sahîh que l‟envoyé de Dieu, lorsqu‟il entra dans la mosquée, se rendit à la ca‟bah et y fit sept tournées après quoi il alla à la station et y lut [34]. On commença alors à faire un oratoire de la station d‟Abraham. Le Prophète fit, derrière elle, une prière de deux rec‟ahs ; et c‟est derrière le makâm, et dans le mur qui s‟y trouve, qu‟est situé l‟oratoire de l‟imâm des châfiites.

Description du hidjr et du lieu des tournées

La circonférence de la paroi du hidjr est de vingt-neuf pas, qui font quatre-vingt-quatorze empans, en comptant de l‟intérieur du rond. Il est en marbre très beau, blanc et lilas, parfaitement joint ; sa hauteur est de cinq empans et demi et sa largeur de quatre et demi. L‟intérieur du hidjr est un vaste pavé, fait avec du marbre blanc et lilas, disposé avec art, d‟un ouvrage inimitable, et d‟une solidité merveilleuse. Entre la paroi de la noble ca‟bah qui se trouve sous la gouttière et la portion du mur du hidjr qui lui fait face, il y a, en ligne directe, quarante empans. Le hidjr a deux entrées : l‟une entre lui et l‟angle babylonien, dont la largeur est de six coudées. C‟est cet espace que les koraïchites avaient laissé en dehors lorsqu‟ils édifièrent la ca‟bah [35], ainsi qu‟on l‟apprend par les Traditions véridiques. L'autre entrée est près de l‟angle syrien, et sa largeur est également de six coudées. Il y a entre les deux ouvertures quarante-huit em-pans. Le lieu des processions est pavé de pierres noires, solidement unies [36] ; elles commencent à la distance de neuf pas, depuis la maison carrée ; mais, du côté qui est en face de la noble station, elles arrivent jusqu‟à elle, et l‟entourent de toutes parts. Le reste du sanctuaire, ainsi que les nefs, sont couverts de sable blanc. Le lieu des tournées pour les femmes est situé à l‟extrémité des pierres du pavé.

Du puits béni de Zamzam

La voûte du puits de Zamzam [36] est en face de la pierre noire, et entre elles deux il y a l‟espace de vingt-quatre pas. La noble station est à droite de la coupole, et de l‟angle de celle-ci au makâm il y a dix pas de distance. L‟intérieur de la coupole est pavé de marbre blanc, et l‟orifice du puits béni est au milieu de la voûte, en appuyant un peu vers la paroi qui est à l‟opposite de la ca‟bah vénérée. Il est fait de marbre très bien joint, et lié avec du plomb fondu ; sa circonférence est de quarante empans, son élévation de quatre empans et demi. La profondeur du puits est de onze brasses. Le peuple assure que son eau augmente toutes les nuits du jeudi au vendredi. La porte de la coupole est du côté de l‟orient, et l‟on voit l‟intérieur de celle-ci entouré d‟un bassin, dont le diamètre est d‟un empan [37], la profondeur d‟autant, et l‟élévation au-dessus du sol d‟environ cinq empans. On le remplit d‟eau pour les ablutions ; autour de lui, il y a une banquette circulaire, sur laquelle les gens s‟asseyent pour les purifications.

A la suite de la coupole de Zamzam se voit celle de la Boisson, qu‟on attribue à Abbâs [38]. Sa porte est du côté du nord, et l‟on place maintenant dans cette coupole de l‟eau de Zamzam, dans des jarres qu‟on appelle dawârik [39]. Chacun de ces vases a une seule anse, et on les laisse dans cet endroit, pour y rafraîchir l‟eau que le public boit.

C‟est dans cette coupole que l‟on renferme les nobles exemplaires du Coran et les autres livres de l‟illustre sanctuaire. Il y a aussi un cabinet qui contient une caisse plate et de grande dimension, dans laquelle est déposé un Coran il-lustre, de l‟écriture de Zaïd, fils de Thâ bit [40], copié dix-huit ans après la mort du Prophète {41]. Les habitants de La Mecque, lorsqu‟ils souffrent de la disette, ou qu‟ils sont affligés par quelque autre calamité, sortent cet exemplaire précieux ; et après avoir ouvert la porte de la ca‟bah vénérée, ils la déposent sur son noble seuil. Ils placent aussi près de lui le ma-kâm d‟Abraham. Le peuple s‟assemble, ayant la tête découverte, priant, s‟humiliant, et recherchant la faveur divine, au moyen du noble exemplaire et de la station illustre ; et il ne se sépare pas, que Dieu ne lui ait accordé sa miséricorde et ne l‟ait couvert de sa grâce. Après la coupole d‟Abbâs, et en se détournant un peu, il en existe une autre, connue sous le nom de la coupole de la Juive [42].
[...]

Description de Safâ et de Marwah

De la porte de Safâ, qui est une de celles du temple de La Mecque, jusqu‟à la montagne de Safâ, il y a soixante et seize pas ; et l‟étendue de Safâ est de dix-sept pas. Elle a quatorze marches [43], dont la plus élevée ressemble à un banc. Entre Safâ et Marwah, il y a la distance de quatre cent quatre-vingt-treize pas ; à savoir, depuis Assafâ jusqu‟au mîl alakh-dhar [44], quatre-vingt-treize pas ; de celui-ci aux deux mîls verts, soixante et quinze pas, et les derniers à Marwah, trois cent vingt-cinq pas (ce qui fait en tout quatre cent quatre-vingt-treize). Marwah possède cinq marches, et une seule arcade très vaste. La longueur d‟Almarwah est de dix-sept pas aussi. Quant au mîl vert, c‟est une colonne de couleur verte [45] fixée à l‟angle du minaret qui se trouve au coin oriental de la mosquée, à gauche de celui qui prend sa course vers Marwah. Les deux mîls verts sont deux colonnes vertes, placées en face de la porte d‟Aly, qui est une des portes du sanctuaire : l‟une se trouve dans la paroi du temple, à gauche de celui qui sort par la porte d‟Aly, l‟autre lui fait vis-à-vis. C‟est entre le mîl vert et les deux mîls verts qu‟a lieu le ramal, en allant et en revenant [46]. Entre Safâ et Marwah, il y a un cours d‟eau, autour duquel on tient un grand marché pour la vente des céréales, de la viande, du beurre fondu, des dattes et autres fruits. Ceux qui s‟acquittent de la cérémonie de la course entre Assafâ et Almarwah ont de la peine à s‟en tirer, à cause de la foule des gens près des boutiques des mar-chands. Il n‟y a point à La Mecque de marché régulier autre que celui-ci. Il faut excepter pourtant ceux des trafiquants en toiles et des droguistes, près de la porte des Benou Chaïbah. Entre Safâ et Marwah, il y a la maison d‟Abbâs, qui est main-tenant une sorte de couvent qu‟habitent les personnes assi-dues dans le temple. C‟est le roi Nâcir qui l‟a restaurée, et il a aussi bâti la maison des purifications, entre Safâ et Marwah, l‟année vingt-huit [47]. Il l‟a garnie de deux portes, une sur le marché susmentionné, et l‟autre sur celui des droguistes. Près d‟elle est construite une habitation pour ses desser-vants. C‟est l‟émir Alâ eddîn, fils de Hilâl [48], qui a présidé à ces constructions. A la droite de Marwah se voit la maison de l'émir de La Mecque, Saïf eddîn Athîfah, fils d‟Abou Némy, que nous mentionnerons plus tard. [...]

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[1] « Le premier temple qui ait été fondé pour les hommes est, en vérité, celui de Bakka (La Mecque) : il est béni et il sert de direction aux mondes. On trouve des signes évidents dans ce lieu où se tenait Abra-ham. Quiconque y pénètre est en sécurité » (Coran, III, 96-97).
[2] Entrée traditionnelle des pèlerins visitant la Ka’ba, appelée plus com-munément porte de la Paix (Bab al-Salam), le nom de porte des Banu Shaiba étant donné à une arcade près du puits de Zamzam à l’emplacement de l’ancienne clôture de la Ka’ba.
[3] Les tournées rituelles al tawaf, au nombre de sept, « Quand Adam, chassé du Paradis mais pardonné par Allah, vint habiter la terre, Allah fit descendre pour lui sur l’emplacement de la Ka’ba une tente construite d’un rubis afin qu’il pratiquât autour d’elle les tournées rituelles en imitation de celles que les anges font dans le ciel autour [...] du trône d’Allah » (GAUDEFROI-DEMOMBYNES, Le Pèlerinage...).
[4] Ibn Battûta résume ici son sujet ; il détaillera par la suite. Voir les notes plus loin.
[5] 114. « Nous avons fait de la Maison un lieu où l’on revient souvent et un asile pour les hommes. Prenez donc la station d’Abraham comme lieu de prière. Nous avons confié une mission à Abraham et Ismaël. Purifiez ma Maison pour ceux qui accomplissent les circuits pour ceux qui s’y retirent pieusement, pour ceux qui s’inclinent et se proster-nent » (Coran, II, 125).
[6] Le Hidjr (enclos) ou Hatim est un espace situé au nord de la Ka’ba et enclos d’un mur bas, semi-circulaire, qui correspond à la limite de la Ka’ba pré-islamique.
[7] Gibb traduit : « [...] et bouleverse le rationalisme des intellectuels » en l’expliquant par l’aversion du Maghrébin malikite face aux subtilités théologiques de l’Est.
[8] Auteur de l’Histoire de La Mecque, mort en 860. Les dimensions de la mosquée sont celles de son dernier agrandissement par le calife abbas-side al-Mahdi en 777-783.
[9] Le texte d’Ibn Djubair porte « 470 » ; Gibb traduit « 490 ».
[10] L’ancienne assemblée des Mecquois, tombée en ruine, fut recons-truite en 894 par le calife abbasside al-Mu’tadid comme une annexe à la galerie nord-ouest.
[11] Il faut lire avec Ibn Djubair : « la nef qui va de l’ouest au nord ».
[12] Située au centre de la façade sud-ouest.
[13] 783-784.
[14] Voir n. 115 ci-dessus.
[15] Il faudrait lire : « de celui qui lui est parallèle ».
[16] Ibn Djubair ajoute ici : « A sa partie supérieure, un bandeau d’or pur s’étend dans toute sa largeur, sur un espace de deux empans. » Il a dû disparaître entre-temps.
[17] A l’époque d’Ibn Djubair, la porte s’ouvrait tous les mardis et les vendredis, ainsi que tous les jours du mois de Radjab. D’une manière générale, les ouvertures vont progressivement s’espacer et l’entrée, non obligatoire pour le pèlerinage, deviendra un privilège.
[18] Le gardiennage de la Ka’ba était confié par Muhammad à la famille Quraishite des Banu Shaiba.
[19] Le voile.
[20] Le rite essentiel qu’accomplit le fidèle admis à pénétrer à l’intérieur de la Ka’ba est une prière de deux raq’as à l’imitation de celle que le Prophète y fit l’année de la conquête.
[21] Le takbir, composé des mots Allahu akbar (Dieu est grand).
[22] « La Ka’ba, enclos sans porte aux temps anciens, renfermait un puits qui reçut des offrandes ; au-dessus de lui s’élevait la statue de Hobal. [...] Quand les historiens font entrer Muhammad dans la Ka’ba, au jour de la conquête, il ne trouve dans la petite salle sombre que Hobal, les cornes du bélier d’Abraham, des gazelles d’or et quelques peintures qu’il efface de ses mains » (Le Pèlerinage...).
[23] Il faut lire « du Yémen ».
[24] L’origine de cette tradition remonte probablement à l’accrochage des peaux de bêtes sacrifiées à l’enclos de la Ka’ba préislamique. A l’époque d’Ibn Djubair, les rideaux étaient verts avec des inscriptions en rouge ou autres couleurs vives.
[25] « C’est vers le hidjr qu’on fait couler les eaux de la terrasse du temple, peut-être parce qu’il était déjà le déversoir du sang et des eaux des sacrifices » (Le Pèlerinage...).
[26] Le fils d’Abraham et d’Agar (Hadjar), marié à la fille du chef des Djurhum, la tribu possédant La Mecque avant les Quraish.
[27] « Chez tous les anciens peuples de l’Orient proche *...+ les angles des bâtiments avaient un caractère sacré et les pierres en étaient placées avec des rites et des sacrifices spéciaux » (Le Pèlerinage...).
[28] En 929, les Karmates, un groupe ismaïlite révolutionnaire, ont attaqué La Mecque et enlevé la pierre noire ; elle a été restituée en 950.
[29] En 1022, par un groupe de shi’ites fatimides.
[30] « Pour la foule, la pierre noire est “la main droite d’Allah sur la terre”. Le baiser et l’attouchement de la main, pratiqués par le fidèle, établis-sent un contact direct avec la main d’Allah » (Le Pèlerinage...).
[31] Ibn Djubair dit : « une grande vasque ». La vasque où Abraham gâchait le mortier pour construire les murs de la Ka’ba.
[32] « Le maqam est une ancienne pierre sacrée qui était adorée dans le temple de La Mecque et dont le culte a été islamisé et transformé en une prière rituelle de deux raq’a accomplie à la fin des tournées. [...] Elle a été apportée à Abraham par Ismaël, alors qu’il construisait la Ka’ba, afin qu’il montât sur elle et qu’il pût poser la seconde rangée des pierres ». (Le Pèlerinage...).
[33] Trois fois par an, avec de l’eau de Zamzam. 34 Cf. le verset correspondant du Coran (II, 125)) : « Prenez donc la station d’Abraham comme lieu de prière. »
[34] La Ka’ba avait été reconstruite et probablement pour la première fois couverte pendant la jeunesse de Muhammad. A cette époque, la partie semi-circulaire du hidjr avait été laissée en dehors, transformant la Ka’ba en un édifice cubique.
[35] Il s’agit d’une sorte de piste elliptique appelée mataf, sur laquelle les fidèles font les tournées.
[36] Agar, abandonnée avec Ismaël par Abraham et assoiffée, trouve une source que l’ange Gabriel fait jaillir du sol. La source de Zamzam devient un centre d’attraction pour les tribus environnantes ; les Djurhum en reconnaissent la propriété à Agar et à Ismaël, qui prend femme parmi eux. Plus tard, entièrement tarie, elle est retrouvée par Abd al-Muttalib, l’ancêtre de Muhammad.
[37] Le texte d’Ibn Djubair dit : « A l’intérieur de la coupole circule une rigole large d’un empan et profonde d’environ deux empans. »
[38] A l’époque du Prophète, il y avait à côté de la coupole de Zamzam un autre édifice où l’on buvait un liquide appelé charab ou nabidh, obtenu en pressant des raisins frais ou en macérant des raisins secs dans l’eau. Al-Abbas, l’oncle du Prophète, était chargé de la fabrication et de la distribution du nabidh ; d’où le double nom de cette coupole. Le rite, attesté encore en 985, disparut avec l’interdiction des boissons alcoolisées et ce lieu a perdu sa fonction originelle.
[39] Pluriel de dawrak (cruche).
[40] Secrétaire principal de Muhammad et rédacteur en chef de la commission nommée par le calife Othman pour la compilation du texte officiel du Coran.
[41] Ibn Djubair rajoute : « Il y manque de nombreux feuillets. Il est entre deux planchettes de bois revêtues de peau avec des agrafes de cuivre les feuillets sont grands et larges ; nous le vîmes sous nos yeux. »
[42] D’après Ibn Djubair, elle servait pour le stockage des lampes et des fournitures du sanctuaire.
[43] « [...] et est surmontée de trois hautes arcades » (IBN DJUBAIR).
[44] L’obélisque vert.
[45] « [...] qui doit sa couleur verte à de la peinture » (IBN DJUBAIR).
[46] Le sa’y (course) s’accomplit en parcourant sept fois la distance entre Safa et Marwa, juste après le circuit de la Ka’ba, en souvenir de la ran-donnée désespérée de Agar à la recherche d’eau. Une partie de ce par-cours se fait en marche précipitée (ramal).
[47] Entre la première et la deuxième visite d’Ibn Battûta, en 1327-1328.
[48] Ali bin Hilâl al-Dawla, préposé aux bâtiments publics d’Égypte chargé notamment de la construction d’un aqueduc à La Mecque en 1328, mort en 1338.




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