Les cahiers de l'Islam
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Dimanche 17 Septembre 2017

Extrait de l'ouvrage « L’islam et la cité. Engagements musulmans dans les quartiers populaires » (Revue Contretemps)


De Julien Talpin, Julien O’Miel, Franck Frégosi, L’islam et la cité, Engagements musulmans dans les quartiers populaires, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2017.




Extrait de l'ouvrage  « L’islam et la cité. Engagements musulmans dans les quartiers populaires »

Préface. L’islam : un vecteur d’engagement dans les quartiers populaires ?

« En France, s’engager sur la base de ses valeurs religieuses fait quasiment de vous un malfrat. Si en plus, vous observez une pratique régulière assidue, vous défendez la cause palestinienne et dénoncez le cynisme des autorités françaises dans leurs relations avec des dictatures liberticides, vous cumulez les défauts. Dans ces conditions, le seul islam acceptable dans les médias dominants et auprès des politiques est, comme le rappelait récemment le directeur de recherches au CNRS François Burgat, « un islam soumis ». Dès lors qu’un musulman prend la parole en défendant des postures qui iraient à contre-courant (tant sur les valeurs familiales que la question palestinienne), il est systématiquement taxé d’homophobe, d’antisémite ou de dangereux islamiste. (…) Le travail le plus efficace en termes de « déradicalisation » ne sont ni les journalistes de Canal Plus ni les imams promus dans les salons parisiens mais les structures qui, telles BarakaCity, les associations de quartier et les collectifs musulmans, multiplient les initiatives et autres activités pour encaisser le volume de frustrations que certains pans de la société accumulent[1]. »

Le 24 janvier 2016, le président de l’ONG BarakaCity, qui effectue un travail humanitaire auprès de populations musulmanes dans les pays en développement, est invité sur le plateau d’une émission de Canal+ dans le cadre de la campagne que conduit l’association pour la libération d’un de ses salariés, emprisonné au Bangladesh. Le journaliste l’interroge cependant bien au-delà de l’action de l’ONG, lui demandant s’il « condamne les agissements de l’Etat islamique ? »[2]. Le président offre alors une réponse jugée ambigüe : « Baraka City condamne toutes les exactions, qu’elles soient commises par des groupes armés ou par des gouvernements »[3]. La polémique qui s’ensuit tient autant à ces propos qu’au fait qu’ils soient exprimés devant la ministre de l’Éducation nationale, à qui l’opposition reprochera par la suite son manque de fermeté face à une attitude jugée « intégriste » et « insoutenable »[4]. Cette émission constitue une des premières prises de parole à la télévision française d’un musulman qui se définit lui-même comme « orthodoxe », afin de mettre à distance l’étiquette de salafiste. Le président de l’ONG affirme ainsi par exemple ne pas serrer la main des femmes, une pratique courante chez certains musulmans, mais rarement assumée comme telle dans l’espace public médiatique. Le travail effectué par BarakaCity, qui bénéficie du soutien de nombreux bénévoles et de dons annuels de plusieurs millions d’euros, incarne un engagement dans l’espace public sur la base de la foi et de valeurs islamiques. Se comparant à la Croix rouge ou à la fondation Abbé Pierre, l’association définit ses valeurs de la façon suivante : « Ces attachements religieux poussent [nos] membres actifs à venir en aide à leurs prochains, qu’ils soient dans la difficulté matérielle ou victimes d’injustices. Ce sont des valeurs auxquelles chaque être humain adhère, mais pour BarakaCity, l’Islam est en ce sens un unificateur de toutes les cultures face à toutes les misères. C’est une liberté que celle de clamer que l’Islam nous rend encore meilleurs si nous nous donnons les moyens de le préserver du mieux de notre sincérité[5]. » Ici, l’islam, à l’image d’autres religions, apparait comme le support d’un engagement dans l’espace public, la foi venant nourrir une action caritative. Comment analyser de telles initiatives ? Faut-il y voir de simples œuvres de bienfaisance, un engagement politique ou le bras armé de l’influence insidieuse exercée par des acteurs religieux réactionnaires, « prosélytes » voire « communautaristes » ? Ne seraient-elles pas la marque du « double discours » de certains représentants musulmans dénoncé par des intellectuels chantres d’une version dure de la laïcité ?

L’objet de ce livre n’est pas de prendre position dans ces controverses mais de donner à voir ce que font les musulmans quand ils s’engagent dans l’espace public, au nom de l’islam ou dans le prolongement de leur foi. Quels croyants s’investissent pour quels types de causes ? Quelles revendications sont alors mises en avant ? Faut-il y voir des demandes particularistes ou à l’inverse des revendications d’égalité ? Quelles pratiques d’action collective sont alors déployées ? Comment expliquer qu’en dépit de la stigmatisation et des discriminations dont ils font l’objet, les musulmans ne se mobilisent pas davantage ? Quel rôle joue la disqualification de ces initiatives, que pointe la citation en exergue de cette introduction, et les controverses auxquelles elles donnent souvent lieu ? C’est la place de l’islam dans la société française et le rôle qu’il joue pour les citoyens de confession musulmane qui se trouvent au cœur de cet ouvrage.

L’islam, un vecteur d’intégration sociale ?

Au-delà de l’affaire BarakaCity, l’investissement public des musulmans est source de nombreuses controverses dans la société française. L’émergence d’une « nouvelle laïcité » dans le courant des années 2000 promue par certaines élites politiques, intellectuelles et médiatiques, conduit parfois à vouloir confiner les appartenances religieuses à la sphère privée, leur publicisation étant fréquemment source de conflit[6]. La loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », qui visait surtout le port du voile islamique dans l’enceinte scolaire, celle de 2010 concernant l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, ou la circulaire Châtel, qui interdit l’accompagnement des sorties scolaires aux mères de famille portant un foulard[7], en sont les signes les plus patents. Au-delà de l’évolution du cadre législatif, justifié au nom du développement supposé des pratiques religieuses et tout particulièrement de l’islam, la visibilité de cette religion fait l’objet d’incessantes controverses – relatives par exemple à la présence de femmes voilées ou en « burkini » sur les plages[8], au port du foulard par des candidates et des élues[9] ou aux pratiques religieuses dans les entreprises – bien au-delà du cadre légal de neutralité de l’État. Ces pratiques cultuelles, vestimentaires ou alimentaires sont souvent dénoncées comme relevant d’une montée du « communautarisme » dans l’Hexagone. Si ce terme demeure flou, il renverrait à des formes d’entre-soi, de séparatisme et de repli de groupes partageant certaines pratiques et conceptions du monde social, relevant d’une défiance à l’égard de la mixité sociale, ethnique ou religieuse. L’islam incarnerait dès lors une menace pour « l’ordre républicain ». Les attentats qu’a connus la France en 2015 n’en seraient que la confirmation : le passage à l’acte de jihadistes français sur le territoire national serait la conséquence, directe ou indirecte, du « laxisme » à l’égard du « communautarisme » rampant qui gangrènerait les banlieues[10].

Le présupposé de cet ouvrage est tout autre. En nous concentrant ici essentiellement sur les pratiques légales et non-violentes – très largement majoritaires – nous cherchons à étudier le rapport ordinaire à l’islam et à comprendre s’il favorise la participation civique et politique, et ce faisant l’intégration sociale des acteurs. Ce livre cherche à interroger les usages que les croyants font de la religion et comment ceux-ci structurent (ou non) leur rapport au politique et au monde social. À rebours d’une lecture qui voit dans la religion une matrice fondamentalement étrangère à la république française laïque, il s’agit d’étudier comment la religion peut, à l’inverse, être vectrice d’intégration sociale, de participation civique et politique, tout particulièrement pour les fractions les plus fragilisées de la population.

Retrouvez la suite de cet extrait sur le site de CONTRETEMPS.

 




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