Les cahiers de l'Islam
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Malika Hamidi
Malika HAMIDI est docteure en sociologie de l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS),... En savoir plus sur cet auteur
Samedi 8 Février 2014

Tariq Ramadan : théorisation et implémentation pratique d’une jurisprudence islamique éthique et égalitaire entre les genres (Seconde partie)



Malika Hamidi directrice générale de l'European Muslim Network  (Bruxelles) et co-auteure de l’ouvrage collectif,  Féminismes islamiques (éd. La Fabrique 2012), nous propose ici une relecture, accompagnée de son analyse, de la pensée de Tariq Ramadan  sur la question du genre en Islam, telle que ce dernier l'a exposée dans son ouvrage Islam, la réforme radicale : Ethique et libération.

Retrouvez la première partie ici.

L'émergence d'un leadership féminin transnational

Tariq Ramadan : théorisation et implémentation pratique d’une jurisprudence islamique éthique et égalitaire entre les genres (Seconde partie)
Il est indéniable que l'émergence d'un leadership féminin transnational de l'Occident à l’Orient, en passant par l'Afrique et l'Asie, aura des conséquences majeures sur les enjeux liés à la question de la femme. Tariq Ramadan insiste sur le fait que ce phénomène n'est pas nouveau, mais qu'il est passé à une autre étape à l'ère de la globalisation. Il identifie un axe principal, en termes de revendications, à savoir la problématique relative à l'approche du texte concernant les femmes ; problématique qui fonde toute notre recherche sur le féminisme musulman.

C'est dans cette réflexion délicate que des femmes et des hommes se sont engagés afin de promouvoir des réformes de l'intérieur. Cette approche nouvelle doit questionner les avis juridiques les plus traditionnels sur la question des femmes, avec la nécessité d'extraire le culturel du religieux. Ce travail de déconstruction des avis juridiques passe inévitablement par un accès différent aux versets, aux traditions prophétiques et à la jurisprudence, à l'aune des finalités supérieures du message de l'Islam.

Tariq Ramadan explique comment certains ont qualifié ce mouvement de « féminisme musulman » alors que d'autres ont préféré identifier leurs démarches dans une perspective de « réforme » ou de « réappropriation » du corpus religieux. L'auteur insiste sur l'importance de l'appellation du mouvement car, au nom du même combat pour les droits des femmes, il perçoit des approches et des méthodologies d'action différentes. Il identifie ainsi trois postures :
• reconnaître les approches, les pratiques et les terminologies des féministes en Occident et les insérer dans le champ islamique ;
• concevoir la lutte des femmes musulmanes dans le cadre des textes uniquement, à la lumière de la jurisprudence islamique et de ses finalités ;
• s'engager (à l’instar de Tariq Ramadan) à rester fidèles aux sources et à l'éthique islamique tout en associant les analyses sociales, économiques et politiques qui nourrissent la réflexion et qui permettent de cerner les enjeux du débat relatif à la libération des femmes.

Tariq Ramadan met toutefois en évidence que « tous ces courants sont engagés dans la cause des femmes mais leur vision, les limites et les finalités de leurs revendications ne sont pas identiques : les débats – encore trop rares – sont déjà difficiles et promettent d'être plus vifs et plus tendus encore. Le mouvement, traversé par des tensions profondes et des suspicions multiples, est néanmoins en marche ».

A travers son expertise de terrain, Tariq Ramadan réfute l'idée de catégoriser les intellectuelles musulmanes engagées dans ce processus de libération à l'intérieur du cadre islamique. Cependant, il précise qu'au sein de ce large mouvement transnational de leadership féminin, des tendances semblent se dessiner entre les actrices.

A cet égard, il cite les travaux et les écrits de différentes intellectuelles féministes :

Fatima Mernissi [12], Leila Ahmed  
[13], Asma Afsaruddin [14], Asma Barlas  [15], Amina Wadud  [16], Ziba mir Hosseini  [17] et tant d’autres qui font l'objet de notre recherche et ne s'inscrivent pas dans une pensée homogène car les méthodes d'approche sont diverses, bien qu’elles semblent unies quant à l'influence de la pensée féministe occidentale, même lorsqu’elle est critiquée, ainsi que la référence aux sciences sociales occidentales.

• Zaynab Al-Ghazali 
[18] , Fatima Nacif [19], Heba Raouf Ezzat  [20], Khadija Mufid [21], Nadia Yacine [22] et Asma Lamrabet  [23], qui prennent comme référence principale le cadre des sciences islamiques classiques.

Ingrid Mattson  
[24], Salma Yacoub  [25] au Royaume-Uni, Malika Hamidi  [26] en Belgique, Saida Kada [27] et Zahra Ali  [28] en France qui constituent la nouvelle génération, selon Tariq Ramadan, qui émerge de ce mouvement de pensée et d’action féministe à travers le monde, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

D'autres dynamiques sont en marche dans les sociétés majoritairement musulmanes en Afrique de l'Ouest comme en Afrique du Nord, mais aussi en Orient et en Asie. Les méthodes et les stratégies, en terme de libération de la femme musulmane, sont diverses. Aussi, l’auteur regrette l'absence de débat interne entre ces différentes dynamiques de femmes engagées pourtant dans une lutte commune qui est de promouvoir un projet d'émancipation à partir du paradigme islamique.

Tariq Ramadan identifie deux axes principaux, autour desquels se dessinent les revendications de manière transversale :
• rétablir un accès égalitaire aux différents droits (droit au savoir, droit à l’indépendance financière, etc.) à l'aune des prescriptions islamiques ; • développer des outils pratiques afin de développer une autonomisation de leur personne, un bien-être et un épanouissement personnels plus général. L'auteur évoque à ce sujet l’idée d’« empowerment ».

Cette dynamique de femmes en mouvement s’organise sur différents fronts et en particulier dans les sciences islamiques, où les femmes posent des questions cruciales et pertinentes concernant leur statut dans les textes sacrés. Elles élaborent, à partir de leur expérience de femmes et du contexte actuel en constante mutation, un nouveau rapport au texte qui reste un processus assez lent compte tenu des mentalités qu’il faut faire évoluer dans un domaine aussi sensible et longtemps réservé aux hommes.

À partir de leurs questionnements, les femmes deviennent une force de propositions créatives et innovantes à l'aune des références islamiques. Tariq Ramadan rappelle que des hommes sont également associés à ce processus de réinterprétation des textes, visant à rester fidèle aux finalités et aux objectifs supérieurs du message coranique, « le leadership lui-même évolue, se féminise, et l'on observe des façons nouvelles d'aborder les problèmes de l'éducation, de la jeunesse, du mariage, des relations de famille (...). Il existe clairement à travers le monde – en Orient comme en Occident – un nouveau leadership féminin qui s'inscrit encore dans les dynamiques de terrain mais pas assez encore dans la production intellectuelle académique et/ou populaire. Sur tout le continent africain, au Moyen-Orient, en Asie comme en Europe ou en Amérique du Nord, on constate l'émergence de ces forces de terrain qui interrogent les textes, les interprétations et la nature des réformes proposées : les femmes sont de plus en plus présentes dans la société civile, sur les campus universitaires et dans le tissu associatif et politique » [29] .

Néanmoins, de nombreux défis restent à relever afin d'établir une visibilité dans les années à venir :

• la nécessité de penser le mouvement à l’ère de la globalisation en termes d'organisation et de communication transnationales ;

• l’acceptation du caractère pluriel de ce nouveau leadership féminin ;

• l’évaluation critique et l’état des lieux de la question et du mouvement féminins.

C'est sur la base de ces défis que Tariq Ramadan entrevoit la réussite à travers la contribution proactive de femmes, d’hommes, de savants, d’intellectuels et d’acteurs sociaux qui doivent être partie prenante dans ce processus bel et bien en marche. « Cela veut dire pour les femmes, pratiquement, être désormais (plus) présentes dans les conseils de fatâwâ à travers le monde, en tant que savantes des Textes comme en tant que savantes spécialistes des dynamiques sociales et des réalités du terrain. » [30] .

Selon nous, la présence des femmes musulmanes dans les hautes sphères religieuses doit impérativement être normalisée et « institutionnalisée » à travers le monde musulman et occidental. Face aux défis contemporains concernant la question de la femme en Islam, les féministes musulmanes intellectuelles, citées dans l’ouvrage de Tariq Ramadan, sont particulièrement engagées dans ce processus de réforme de la loi islamique.

Pour ce faire, elles n’hésitent pas à revisiter et mettre en contexte le texte ainsi que les approches qui ont fait et font encore office d’autorité, comme le suggère l’auteur.

L’engagement critique, à l’aide d’une « herméneutique féministe islamique », est un engagement impératif pour tout projet de libération de la femme musulmane. Nous utilisons ce terme afin d'appréhender la méthodologie interprétative contextuelle des sources scripturaires utilisée par cette génération d'intellectuelles, engagées pour promouvoir une analyse critique du genre en Islam.

Aujourd’hui, elles créent leur propre espace transnational de réflexions sur l’identité et les normes islamiques. Ce mouvement de pensée démontre que les femmes musulmanes deviennent, à leur tour, actrices de changements et sujettes à ces mutations profondes. Elles remettent en question la lecture patriarcale de l’islam qui affecte le quotidien et le futur des femmes musulmanes. Le discours de ces femmes est le fruit d’un travail académique et militant sur le terrain, il est le pont entre les sciences sociales et les sciences islamiques car elles combinent une lecture contemporaine des sources scripturaires avec les connaissances des sciences sociales (Ezzat, 2007) [31] .

Enfin, de notre point de vue, la réforme autour de la question de la femme nécessite un Ijtihad (effort d’interprétation) à deux niveaux :

• d’une part, il faut repenser l’interprétation conventionnelle des Sources Sacrées ;

• d’autre part, il faut repenser la notion conventionnelle de la pratique et de l’identité politique. En effet, très peu d’efforts sont déployés pour introduire une nouvelle théorie politique qui proposerait une révision du rôle central de l’état et améliorerait la participation en politique des femmes (nécessaire à l’amélioration de la condition féminine dans le monde musulman).

En conclusion, ce projet intellectuel et féminin, défie les stéréotypes dominants et promeut une vision éthique du Coran qui enjoint l’égalité et la justice. « L’esprit libérateur » de l’islam joue un rôle important dans la quête des femmes musulmanes, qui est d’être traitées dignement, conformément à leur vision, leur sentiment et leur foi islamiques ?

L’élaboration de ce « discours d’un nouveau genre en islam », ainsi que l’action de terrain sont multidisciplinaires, elles touchent de nombreux en allant des sciences islamiques et de la philosophie, à la sociologie, l’anthropologie et aux sciences politiques.

L’émergence d’un nouveau champ herméneutique dans lequel l’identité et le «renouveau intellectuel » islamique sont repensés, est renforcée par ce que nous identifions comme une pratique transnationale. Les processus interprétatifs transnationaux utilisent en outre les nouvelles technologies en matière de communication et d’information, ce qui facilite l’échange entre différents réseaux féministes pour renforcer les luttes du local au global.

En associant exégèse et pratique, ce mouvement de pensée jouera un rôle moteur et décisif dans la lutte contre la domination masculine dans les sphères musulmanes. Aujourd'hui, 20 ans après la naissance de ce mouvement contesté, nous pouvons affirmer que ce mouvement de femme transnational est entré dans une ère nouvelle.






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