Avant d’y répondre disons d’abord combien est déplorable l’état de nos connaissances sur l’islam subsaharien. Il est regrettable que l’étude des textes, des doctrines et figures de cet islam soit désertée par l’islamologie appliquée (dont appelait de ses vœux M. Arkoun). Dans ses manifestations diverses, l’islam de cette partie du monde est parfois grossièrement réduit à des aspects folkloriques qui, loin de nous renseigner sur sa complexité, consolident les préjugés hérités d’un certain orientalisme et le relègue dans les marges confuses de l’histoire islamique.
Si l’on s’intéresse à la période contemporaine, il faut noter que l’Afrique subsaharienne, comme d’autres parties du monde arabo-musulman, est le lieu de nouvelles controverses théologiques et juridiques. Par exemple, au Mali, vous avez le leader religieux Cherif Ousmane Madani Haïdara qui a élaboré toute une théologie morale visant à la défense d’un islam autochtone, non arabe. Ce guide religieux ne serait donc pas opposé à la dénomination d’« Islam noir », d’ailleurs il critique parfois ceux qui, au Mali, affichent leurs parcours académiques dans le monde arabe comme symbole d’une meilleure connaissance de l’islam. Haïdara pense que l’islam subsaharien (son mouvement dépasse de nos jours les seuls frontières du Mali) peut/doit trouver ses propres figures de références dans la tradition religieuse locale. Un autre point fondamental de sa pensée religieuse est sa réactivation de la bay‘a non pas comme serment d’allégeance à un souverain mais comme condition (sharṭ) d’entrée en islam. Ce point doctrinal est au cœur de vives polémiques entre son mouvement et les néohanbalites de la région. Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour montrer que cet islam est loin d’être insulaire, car il est le lieu des débats les plus actuels dans la pensée islamique. C’est un islam qui se construit aujourd’hui à travers la « circulation » ou, si l’on veut parler comme Edouard Glissant, dans une « poétique de la relation » (avec notamment le Maghreb et le Moyen-Orient). Il est ainsi regrettable que beaucoup d’ouvrages, y compris académiques, se contentent d’examiner les diverses manifestations de l’islam au Moyen-Orient ou au Maghreb sans jamais intégrer cette dimension en portant le regard sur l’islam subsaharien. Ainsi, parfois, nos pratiques académiques contribuent à fabriquer et à consolider des frontières imaginaires.
Entretien dans Le Quotidien d'Oran (Algérie), réalisé par Amine Bouali.
(Date de parution : 22 août 2019)
Youssouf T. Sangaré
Youssouf T. Sangaré a 37 ans. Il est né à Kayes, dans l’ouest du Mali, non loin du Sénégal, dans une famille imprégnée d’Islam soufi. Il est actuellement maître de conférences en civilisation et monde arabe à l’université de Clermont-Auvergne (France) mais dans une autre vie, il a entrepris (et mené à terme) des études d’ingéniorat en statistiques. Il est le cofondateur de la revue académique Les Cahiers de l’Islam qui sort à Paris et il a publié deux ouvrages : « Repenser le Coran et la tradition islamique. Une introduction à la pensée de Fazlur Rahman » en 2017 aux éditions Al Bouraq et « Le scellement de la prophétie en Islam » en 2018 chez l’éditeur parisien Geuthner. Youssouf Sangaré a bien voulu répondre aux questions du Quotidien d’Oran.
Le Quotidien d’Oran.: M. Youssouf Sangaré, vous avez publié en 2017 un ouvrage intitulé « Repenser le Coran et la tradition islamique. Une introduction à la pensée de Fazlur Rahman », un penseur pakistanais né en 1919 dans l’actuel Pakistan et mort en 1988 en exil aux États-Unis. Parlez-nous, si vous voulez bien, de ces auteurs musulmans contemporains qui essaient de relire les sciences islamiques en s’appuyant sur les sciences humaines et sociales et dites-nous en quoi leur démarche vous paraît importante ?
Youssouf Sangaré : En effet, l’ouvrage porte sur la pensée de Fazlur Rahman, plus précisément il s’intéresse à sa méthode de lecture du texte coranique. Pour F. Rahman, les conflits politico-religieux, advenus à la mort du prophète de l’islam en 632, ont abouti à la construction d’un islam, que l’on peut appeler « l’islam des intérêts claniques », bien distinct de l’islam originel ou coranique. Il faut donc distinguer, dit-il, entre l’enseignement coranique et sa réappropriation utilitariste et idéologique dans les premiers siècles de l’islam. Mais dire cela ce n’est pas suffisant. Selon le penseur pakistanais il faut aussi, en ce qui concerne le Coran lui-même, distinguer les passages relevant de son enseignement fondamental et universel des passages circonstanciels/conjoncturels (visant à répondre aux problèmes immédiats de la société du Prophète). Il serait possible, en procédant ainsi, de saisir l’idéal moral et spirituel recherchés par le Coran, en tout cas telle était l’ambition de F. Rahman.
Avec un tel postulat, on comprend qu’il n’est pas possible de lire/commenter le Coran sans s’appuyer sur une connaissance historique et anthropologique. Dit autrement, avant de s’adonner à l’exégèse coranique il faut d’abord faire de l’anthropologie et de l’histoire. Les sciences humaines sont donc au cœur de l’approche rahmanienne. Toutefois, dans l’histoire moderne et contemporaine de l’islam, il n’est pas le seul à prôner une telle ouverture des sciences religieuses aux sciences humaines. Sans remonter plus loin dans l’histoire, mentionnons ici Amîn al-Khûlî (décédé en 1988) qui considérait que « les approches anciennes du Coran partent toujours d’un point de vue apologétique et traditionnel » ; il y a aussi Muḥammad Aḥmad Khalafallāh (décédé en 1998) et, dans une certaine mesure, ‘A’isha ‘Abd al-Raḥman (décédée en 1998), en particulier dans ses articles consacrés au renouveau de la pensée islamique.
De nos jours, plusieurs penseurs musulmans ont adopté comme leitmotiv la nécessité de s’appuyer sur les sciences humaines et sociales pour une relecture des textes fondateurs et de l’histoire mouvementée des premiers siècles de l’islam. C’est le cas du tunisien Abdelmajid Charfi pour qui « tout un chacun pourrait trouver facilement dans le Coran, et même dans les hadîths, des textes qui glorifient la paix et l’instituent comme valeur suprême, ou au contraire qui légitiment la violence et la terreur ». Ainsi, pour ne pas tomber dans ce que Mohammed Arkoun appelait « la consommation idéologique du Coran », la lecture du Coran requiert une méthode. Bien sûr, il existe des méthodes de lecture du Coran chez les musulmans mais, pour A. Charfi, celles-ci ont montré leur limite et, surtout, doivent être réévaluées à la lumière des connaissances d’aujourd’hui. C’est là un constat partagé par des penseurs comme l’iranien Abdelkarim Soroush.
Q. O.: Votre thèse universitaire, qui a obtenu le prestigieux prix Mohammed Arkoun et qui vient d’être éditée chez l’éditeur parisien Geuthner, porte sur « la notion de khatm al-nubuwwa (scellement de la prophétie) en Islam ». Pourquoi un tel sujet a retenu votre attention et suscité votre intérêt ?
Y. S. : Comme l’écrit Régis Blachère (décédé en 1973), l’idée que la prophétie est scellée est une « doctrine théologique fondamentale » en islam. Dans le livre tiré de ma thèse je cherche donc à comprendre l’histoire de cette doctrine, à saisir comment elle fut élaborée, construite dans les premiers siècles de l’islam. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux relectures de cette doctrine par neuf penseurs musulmans (de Sayyid Aḥmad Khân à Ḥasan Ḥanafī en passant par Muḥammad Iqbāl et Muḥammad Shaḥrūr).
Quant à mon intérêt pour ce sujet il est né d’une insatisfaction. Si les orientalistes et islamologues avaient consacré des nombreuses études à cette doctrine, aucune ne s’était intéressée à ses relectures par les auteurs musulmans modernes et contemporains. Toutes ces études se limitent aux controverses remontant aux premiers siècles (et s’arrêtent généralement au XIe-XIIe siècles, alors qu’au XIVe siècle par exemple, vous avez une réflexion polémique mais novatrice d’Ibn Taymiyya sur ce thème). C’est là une carence que l’ouvrage tente de corriger en mettant en lumière ces discours islamiques en train de se faire.
Q. O.: Y a-t-il des points communs entre ces différents discours islamiques « en train de se faire » dont vous venez de parler ?
Y. S. : Les points communs sont nombreux (les différences aussi). Cela s’explique par plusieurs facteurs : primo, ces penseurs sont, le plus souvent, des « désenchantés du savoir traditionnel religieux » (formule que j’emprunte à R. D. Marcotte) ; secundo, ils bénéficient, pour la plupart, d’une formation dans les sciences humaines et pensent qu’il faut arrimer les sciences religieuses à celles-ci pour un renouveau véritable de l’épistémè islamique ; enfin tertio, ils portent un discours de rupture avec ceux qui s’appuient sur le turâth, ou patrimoine islamique, pour délimiter « le pensable et prédéterminer le pensé » (selon la formule bourdienne). (D’après la formule du sociologue Pierre Bourdieu. NDLR). Ainsi cherchent-ils à repenser la figure du Prophète (c’est par exemple l’objet d’un livre d’Al-‘Afīf al-Akhḍar, mort en 2013, intitulé Du Muḥammad de la foi au Muḥammad de l’histoire, en langue arabe), à réinterroger l’historiographie musulmane, à remettre en question les « textes seconds » pour mieux appréhender les « textes fondateurs », etc. Toutefois à l’intérieur de l’islam, il faut le noter, ces penseurs font face à diverses accusations plus ou moins virulentes, certains discours vont jusqu’à remettre en cause leur appartenance à l’islam – il suffira de penser ici à Naṣr Abū Zayd (décédé en 2010) ou même à ‘Alī ‘Abd al-Rāziq (décédé en 1966). À l’opposé, certains leur reprochent de ne pas aller loin dans la critique de sources islamiques, de ne pas épouser totalement les exigences des sciences humaines ou ne de pas emprunter les mêmes voies/voix que des auteurs occidentaux dans leur rapport à la religion et au religieux. Ces éléments critiques nécessiteraient d’être examinés avec rigueur et en détail mais je pense, à ce propos, qu’il est important de dire ceci : rien n’indique que les penseurs musulmans, pour arriver à une rénovation de la pensée religieuse de l’islam, doivent nécessairement reproduire les types d’attitude et de discours de l’Occident du XVIIIe siècle par exemple. Dire le contraire, c’est croire qu’il n’y a pas de marche possible pour les peuples si ce n’est suivant un seul paradigme historique.
Q. O.: Vous êtes né au Mali et vous vivez en France depuis 2001. Est-ce que, selon-vous, il existerait un « Islam noir » pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Vincent-Mansour Monteil et est-ce que les aspects sociologiques propres à un territoire influeraient-ils, d’une manière ou d’une autre, sur les pratiques cultuelles et les formes dans lesquelles la foi se manifeste ?
Y. S. : C’est là une question délicate et fort polémique. Avant d’y répondre disons d’abord combien est déplorable l’état de nos connaissances sur l’islam subsaharien. Il est regrettable que l’étude des textes, des doctrines et figures de cet islam soit désertée par l’islamologie appliquée (dont appelait de ses vœux M. Arkoun). Dans ses manifestations diverses, l’islam de cette partie du monde est parfois grossièrement réduit à des aspects folkloriques qui, loin de nous renseigner sur sa complexité, consolident les préjugés hérités d’un certain orientalisme et le relègue dans les marges confuses de l’histoire islamique.
Si l’on s’intéresse à la période contemporaine, il faut noter que l’Afrique subsaharienne, comme d’autres parties du monde arabo-musulman, est le lieu de nouvelles controverses théologiques et juridiques. Par exemple, au Mali, vous avez le leader religieux Cherif Ousmane Madani Haïdara qui a élaboré toute une théologie morale visant à la défense d’un islam autochtone, non arabe. Ce guide religieux ne serait donc pas opposé à la dénomination d’« Islam noir », d’ailleurs il critique parfois ceux qui, au Mali, affichent leurs parcours académiques dans le monde arabe comme symbole d’une meilleure connaissance de l’islam. Haïdara pense que l’islam subsaharien (son mouvement dépasse de nos jours les seuls frontières du Mali) peut/doit trouver ses propres figures de références dans la tradition religieuse locale. Un autre point fondamental de sa pensée religieuse est sa réactivation de la bay‘a non pas comme serment d’allégeance à un souverain mais comme condition (sharṭ) d’entrée en islam. Ce point doctrinal est au cœur de vives polémiques entre son mouvement et les néohanbalites de la région. Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour montrer que cet islam est loin d’être insulaire, car il est le lieu des débats les plus actuels dans la pensée islamique. C’est un islam qui se construit aujourd’hui à travers la « circulation » ou, si l’on veut parler comme Edouard Glissant, dans une « poétique de la relation » (avec notamment le Maghreb et le Moyen-Orient). Il est ainsi regrettable que beaucoup d’ouvrages, y compris académiques, se contentent d’examiner les diverses manifestations de l’islam au Moyen-Orient ou au Maghreb sans jamais intégrer cette dimension en portant le regard sur l’islam subsaharien. Ainsi, parfois, nos pratiques académiques contribuent à fabriquer et à consolider des frontières imaginaires.
Y. S. : Comme l’écrit Régis Blachère (décédé en 1973), l’idée que la prophétie est scellée est une « doctrine théologique fondamentale » en islam. Dans le livre tiré de ma thèse je cherche donc à comprendre l’histoire de cette doctrine, à saisir comment elle fut élaborée, construite dans les premiers siècles de l’islam. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux relectures de cette doctrine par neuf penseurs musulmans (de Sayyid Aḥmad Khân à Ḥasan Ḥanafī en passant par Muḥammad Iqbāl et Muḥammad Shaḥrūr).
Quant à mon intérêt pour ce sujet il est né d’une insatisfaction. Si les orientalistes et islamologues avaient consacré des nombreuses études à cette doctrine, aucune ne s’était intéressée à ses relectures par les auteurs musulmans modernes et contemporains. Toutes ces études se limitent aux controverses remontant aux premiers siècles (et s’arrêtent généralement au XIe-XIIe siècles, alors qu’au XIVe siècle par exemple, vous avez une réflexion polémique mais novatrice d’Ibn Taymiyya sur ce thème). C’est là une carence que l’ouvrage tente de corriger en mettant en lumière ces discours islamiques en train de se faire.
Q. O.: Y a-t-il des points communs entre ces différents discours islamiques « en train de se faire » dont vous venez de parler ?
Y. S. : Les points communs sont nombreux (les différences aussi). Cela s’explique par plusieurs facteurs : primo, ces penseurs sont, le plus souvent, des « désenchantés du savoir traditionnel religieux » (formule que j’emprunte à R. D. Marcotte) ; secundo, ils bénéficient, pour la plupart, d’une formation dans les sciences humaines et pensent qu’il faut arrimer les sciences religieuses à celles-ci pour un renouveau véritable de l’épistémè islamique ; enfin tertio, ils portent un discours de rupture avec ceux qui s’appuient sur le turâth, ou patrimoine islamique, pour délimiter « le pensable et prédéterminer le pensé » (selon la formule bourdienne). (D’après la formule du sociologue Pierre Bourdieu. NDLR). Ainsi cherchent-ils à repenser la figure du Prophète (c’est par exemple l’objet d’un livre d’Al-‘Afīf al-Akhḍar, mort en 2013, intitulé Du Muḥammad de la foi au Muḥammad de l’histoire, en langue arabe), à réinterroger l’historiographie musulmane, à remettre en question les « textes seconds » pour mieux appréhender les « textes fondateurs », etc. Toutefois à l’intérieur de l’islam, il faut le noter, ces penseurs font face à diverses accusations plus ou moins virulentes, certains discours vont jusqu’à remettre en cause leur appartenance à l’islam – il suffira de penser ici à Naṣr Abū Zayd (décédé en 2010) ou même à ‘Alī ‘Abd al-Rāziq (décédé en 1966). À l’opposé, certains leur reprochent de ne pas aller loin dans la critique de sources islamiques, de ne pas épouser totalement les exigences des sciences humaines ou ne de pas emprunter les mêmes voies/voix que des auteurs occidentaux dans leur rapport à la religion et au religieux. Ces éléments critiques nécessiteraient d’être examinés avec rigueur et en détail mais je pense, à ce propos, qu’il est important de dire ceci : rien n’indique que les penseurs musulmans, pour arriver à une rénovation de la pensée religieuse de l’islam, doivent nécessairement reproduire les types d’attitude et de discours de l’Occident du XVIIIe siècle par exemple. Dire le contraire, c’est croire qu’il n’y a pas de marche possible pour les peuples si ce n’est suivant un seul paradigme historique.
Q. O.: Vous êtes né au Mali et vous vivez en France depuis 2001. Est-ce que, selon-vous, il existerait un « Islam noir » pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Vincent-Mansour Monteil et est-ce que les aspects sociologiques propres à un territoire influeraient-ils, d’une manière ou d’une autre, sur les pratiques cultuelles et les formes dans lesquelles la foi se manifeste ?
Y. S. : C’est là une question délicate et fort polémique. Avant d’y répondre disons d’abord combien est déplorable l’état de nos connaissances sur l’islam subsaharien. Il est regrettable que l’étude des textes, des doctrines et figures de cet islam soit désertée par l’islamologie appliquée (dont appelait de ses vœux M. Arkoun). Dans ses manifestations diverses, l’islam de cette partie du monde est parfois grossièrement réduit à des aspects folkloriques qui, loin de nous renseigner sur sa complexité, consolident les préjugés hérités d’un certain orientalisme et le relègue dans les marges confuses de l’histoire islamique.
Si l’on s’intéresse à la période contemporaine, il faut noter que l’Afrique subsaharienne, comme d’autres parties du monde arabo-musulman, est le lieu de nouvelles controverses théologiques et juridiques. Par exemple, au Mali, vous avez le leader religieux Cherif Ousmane Madani Haïdara qui a élaboré toute une théologie morale visant à la défense d’un islam autochtone, non arabe. Ce guide religieux ne serait donc pas opposé à la dénomination d’« Islam noir », d’ailleurs il critique parfois ceux qui, au Mali, affichent leurs parcours académiques dans le monde arabe comme symbole d’une meilleure connaissance de l’islam. Haïdara pense que l’islam subsaharien (son mouvement dépasse de nos jours les seuls frontières du Mali) peut/doit trouver ses propres figures de références dans la tradition religieuse locale. Un autre point fondamental de sa pensée religieuse est sa réactivation de la bay‘a non pas comme serment d’allégeance à un souverain mais comme condition (sharṭ) d’entrée en islam. Ce point doctrinal est au cœur de vives polémiques entre son mouvement et les néohanbalites de la région. Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour montrer que cet islam est loin d’être insulaire, car il est le lieu des débats les plus actuels dans la pensée islamique. C’est un islam qui se construit aujourd’hui à travers la « circulation » ou, si l’on veut parler comme Edouard Glissant, dans une « poétique de la relation » (avec notamment le Maghreb et le Moyen-Orient). Il est ainsi regrettable que beaucoup d’ouvrages, y compris académiques, se contentent d’examiner les diverses manifestations de l’islam au Moyen-Orient ou au Maghreb sans jamais intégrer cette dimension en portant le regard sur l’islam subsaharien. Ainsi, parfois, nos pratiques académiques contribuent à fabriquer et à consolider des frontières imaginaires.