Rencontre avec Youssouf Sangaré : « Le sud du Sahara n’est pas qu’un lieu d’adoption de l’islam, c’est aussi un espace de production de savoirs islamiques »

« Enfin, critiquant le poids de l’héritage orientaliste, en particulier français, Rudolph T. Ware [The Walking Qur’an] s’emploie à convaincre ses lecteurs que l’étude de la culture musulmane d’Afrique de l’Ouest peut apporter un éclairage nouveau sur l’histoire du savoir en islam. Pourquoi cette précaution de l’auteur ? Car, écrit-il, « il est difficile que la ‘‘périphérie’’ livre un éclairage pertinent sur le ‘‘centre’’ ». Cela devient encore plus difficile lorsque, comme dans notre cas, la périphérie relève d’une narration idéologique. Or, hier et surtout aujourd’hui, le sud du Sahara n’est pas qu’un lieu d’adoption de l’islam, c’est aussi un espace de production de savoirs islamiques, de circulation et d’évolution des doctrines, en particulier théologico-juridiques. D’ailleurs nous pouvons regretter que les rares thèses de doctorat dans une université française, en Études arabes, portant sur l’islam au sud du Sahara se focalisent massivement sur le confrérisme. Certes les confréries ont joué un rôle déterminant dans la diffusion de l’islam, notamment au XIX^e siècle, et certaines y ont connu des évolutions singulières. Toutefois, l’islam au sud du Sahara n’est pas réductible au confrérisme. Nous ne pouvons que souhaiter la fin de ce « tout confrérique », véritable miroir déformant, au profit d’études diversifiées, notamment sur les productions et controverses théologiques, les discours normatifs (fiqh), les productions littéraires, en d’autres termes l’étude de l’Adab au sens large. Il ne s’agit pas pour nous, en disant cela, de suivre Rudolph T. Ware dans l’idée que le savoir islamique originel serait mieux préservé en Afrique de l’Ouest. Pour remettre en cause l’historiographie de la période coloniale, en particulier l’essentialisation du Noir musulman, il n’y a pas à déshistoriciser et à idéaliser l’islam au sud du Sahara. Dès ses premiers siècles, l’islam n’a pas échappé aux reformulations, aux interprétations plurielles, à une tradition de l’innovation – louée ou blâmée par la raison juridique (al-‘aql al-fiqhī). L’Afrique, au nord comme au sud du Sahara, fut aussi le lieu de ces processus »