Les cahiers de l'Islam
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Jeudi 14 Septembre 2017

Rencontre avec Seydi Diamil NIANE : "Moi, musulman, je n'ai pas à me justifier"



A l'occasion de la parution de Moi musulman, je n'ai pas à me justifier: manifeste pour un islam retrouvé (Eyrolles, septembre 2017), nous vous proposons la Rencontre suivante avec son auteur : Seydi Diamil NIANE, doctorant en islamologie à l'Université de Strasbourg (NDLR : Seydi Diamil NIANE est désormais docteur, sa soutenance de thèse a eu lieu en septembre 2017).

Seydi Diamil NIANE
Seydi Diamil NIANE

Vous soutiendrez bientôt votre thèse en Études arabes à l'université de Strasbourg, en quoi consiste cette recherche? Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique?

Ma thèse de doctorat porte sur « Le conflit idéologique entre le wahhabisme et la confrérie soufie Tijāniyya au sud du Sahara : le Sénégal en exemple. » L’objet est d’analyser, à travers le choc entre le wahhabisme et la Tijāniyya, l’évolution de l’islam au Sénégal qui, pendant de longues années, était un pays presque exclusivement confrérique.
Au milieu du XXe siècle, l’islam africain de manière générale et celui du Sénégal de façon plus particulière a commencé à connaître une évolution due à la pénétration de nouveaux courants réformistes. C’est l’époque de l’émergence de ce que Christian Coulon appelle « Les nouvelles voies de l’umma africaine ». Parmi ces courants réformistes, qui ont bouleversé la pratique de l’islam au Sénégal, figure le wahhabisme dont parlait Marcel Cardaire dès 1950 : « Une nouveauté est venue d’Orient, qui menace de faire éclater les vieux cadres ; mieux encore, la fin des confréries est le but avoué de ces idées nouvelles. Comment l’Africain Noir va-t-il concilier son amour, son besoin du groupe, et sa curiosité des concepts nouveaux qui pénètrent ici ou là ? Va-t-on assister à un conflit ou simplement à la création d’un nouveau groupe de sectateurs, une nouvelle confrérie inavouée en somme ? ». On peut dire que ma thèse de doctorat tente de répondre aux questions de Cardaire.
En ce qui concerne mon parcours académique, après un baccalauréat de littérature arabe obtenu au nord du Sénégal, je me suis inscrit au département d’études arabes de l’Université de Strasbourg où j’ai obtenu une licence en 2013. Cela m’a amené à suivre un master au sein du même département ainsi qu’un autre en islamologie, droit et gestion à la faculté de droit de Strasbourg. Titulaire de deux masters, je prépare depuis une thèse de doctorat qui sera soutenue bientôt.

Vous publiez aux éditions Eyrolles " Moi musulman, je n'ai pas à me justifier : manifeste pour un islam retrouvé" (124 p). Pourquoi ce livre? 

Je pense que, pour répondre à cette question, je pourrai partager avec vos lecteurs les premières lignes du livre : 
« Ouh là, Diamil, qu’est-ce que vous avez fait encore ? » C’est la question de trop qui m’a été posée le 14 novembre 2015 suite au drame du Bataclan. La question de trop puisqu’auparavant, mes ami(e)s se contentaient de me demander ce que, en tant que musulman, je pensais de chaque tuerie commise au nom de ma religion. Mais ce 14 novembre, une personne de mon entourage est passée de « qu’en penses-tu ? » à « qu’avez-vous fait encore ? » Le fait d’être assimilé à ceux qui ont commis ce massacre m’était insupportable. Ce que tu vas lire ici, cher lecteur – je me permets de te tutoyer – je ne l’ai couché sur papier que pour ne plus jamais avoir à répondre à ce genre de questions. »

Comme bon nombre de musulmans, j’en ai eu marre de répondre à la fameuse question « et toi, tu penses quoi des terroristes ? » après chaque attentat jihadiste. En vrai, pour une partie de la composante non musulmane de la Nation, le fait d’être musulman fait de nous de potentiels suspects. Du coup, pour évacuer toute équivoque, j’ai publié ce livre.

Qu'attendez-vous par "islam retrouvé" (sous-titre de votre ouvrage) ?

Par « islam retrouvé », j’évoque ce qu’une bonne partie de mes coreligionnaires a jeté aux oubliettes de l’histoire. J’entends par là toute la spiritualité, l’amour et l’humanisme dont le Coran est porteur. C’est pour cela que j’ai intitulé l’un des chapitres « pour un humanisme théocentré. »
Comme je le dis dans le texte,
«  En islam, l’homme est considéré comme le réceptacle du souffle divin. L’histoire d’Adam est claire à ce sujet, lorsque Dieu décida de créer le premier homme, il s’adressa aux anges : « Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui ». « Ce verset, dira Tierno Bokar, maître spirituel d’Amadou Hampâté Bâ, implique que chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu. Comment donc oserions-nous mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de Dieu ? »
L’islam retrouvé est celui qui met l’amour de Dieu au centre de toutes nos actions. Or, rien n’est plus contradictoire que de prétendre à l’amour divin tout en méprisant un être qu’Il a Lui-même créé. Peu importe que cet être soit du règne animal, végétal, humain ou minéral. S’il fait partie du règne humain, importera peu qu’il partage avec nous la même foi ou non. Voilà ce que j’entends par « un islam retrouvé. »

Vous appelez à agir ensemble pour les "causes communes". Est-ce là un moyen d'éviter ce que vous nommez "le choc des extrémismes"?
Mon expérience me permet de répondre OUI sans aucun risque d’être démenti. Je viens de renouveler ma quatrième adhésion à l’association Coexister qui milite, partout en France et dans quelques grandes villes européennes, pour ce que nous appelons « la coexistence active. » Il s’agit de passer du vivre ensemble au faire ensemble par le biais d’actions concrètes dont pourrait bénéficier n’importe qui par-delà ses convictions religieuses. Pour donner un exemple, nous organisons régulièrement des dons du sang ou des maraudes. Ici, la cause principale est de sauver des vies humaines. Cela fait que, lorsque nous nous mettons à l’action,  nous agissons ensemble par-delà nos convictions religieuses. La même chose pourrait être dite au sujet des maraudes.  D’ailleurs, la vision de Coexister se résume ainsi : « Diversité de convictions, unité dans l’action. » Et s’il y a une chose qui peut s’opposer de manière bénéfique à ce que j’appelle « le choc des extrémisme », c’est l’unité de tous et rien que pour le bonheur de l’homme.

Votre livre se termine par une lettre ouverte, pourquoi? À qui s'adresse cette lettre?

Et bien, je vous propose de reproduire une partie de la lettre en question en guise de réponse :
« Cette lettre, je l’adresse à tout le monde, je m’adresse à l’humain où qu’il se trouve. Dans ce monde chao­tique, où l’égoïsme nourrit la violence, et où l’igno­rance ne cesse de tuer l’humain, j’ai besoin de tendre la main à l’homme.
Cette lettre je l’adresse à tous ceux qui, par-delà leurs religions, se soucient du sort des opprimés. Je lance un appel à tous les enfants de la Terre pour une lutte humaniste pour que cesse l’exploitation de l’Afrique, pour défendre les droits des Palestiniens, des chré­tiens d’Orient, des musulmans de Centrafrique, des Rohingyas et de tous les peuples persécutés. Je suis musulman de confession, franco-sénégalais de nationalité et noir de peau, si je lance cet appel c’est parce que, comme le juif égyptien Chehata Haroun, je crois que « Chaque être humain a plusieurs iden­tités. Je suis un être humain. Je suis Égyptien lorsque les Égyptiens sont opprimés. Je suis Noir lorsque les Noirs sont opprimés. Je suis Juif lorsque les Juifs sont opprimés et je suis Palestinien lorsque les Palestiniens sont opprimés.
»




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