Les cahiers de l'Islam
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Asma Lamrabet
Médecin hématologiste à l’hôpital d’enfants de Rabat au Maroc, Asma Lamrabet est une intellectuelle... En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 4 Novembre 2012

Quand le Coran répond à des revendications féminines (Seconde partie)



Femmes devant un bureau de vote. Reuters/Zohra Bensemra
Femmes devant un bureau de vote. Reuters/Zohra Bensemra
Parmi les autres versets coraniques à travers lesquels Dieu répond à une attente féminine, il y a aussi celui qui a été révélé après la protestation de Oum Salama, épouse du prophète (ç), concernant la hijra ou l’exil des femmes.

En effet, Oum Salama va manifester son profond regret de voir le Coran se taire sur la participation des femmes à l’expatriation ou hijra, qui fut une étape primordiale dans l’histoire de l’islam.

La tradition rapporte que Oum Salama dira au Messager : « Les hommes sont mentionnés dans le Coran de nombreuses fois pour leur participation à la hijra alors que nous les femmes nous ne sommes pas du tout évoquées ! ». Ce sera la cause de la révélation du verset suivant : « Et Leur Seigneur a exaucé leurs prières : Je ne ferai jamais perdre à aucun d’entre vous homme ou femme, le bénéfice de ses œuvres. N’êtes-vous pas issus, les uns des autres (baadoukoum min baad) ? ; Ceux qui se seront expatriés, qui auront été chassés de leurs foyers, qui auront souffert pour Ma cause, qui auront combattu ou ont été tués à Mon service, à ceux là Je leur pardonnerai toutes les fautes et Je les ferai entrer dans mes jardins baignés de ruisseaux à titre de récompense de la part de leur Seigneur car c’est Dieu qui possède les meilleures récompenses » Coran : 3, 195.

L’exégèse coranique rapporte ici que ces versets ont été révélés tout de suite après la vive protestation de Oum Salama ce qui confirme d’abord, le rang particulier attribué par Dieu à cette femme, mais aussi l’importance de cette expatriation des femmes comme acte politique dans la vision coranique.

La revendication de Oum Salama était doublement compréhensible pour celle que la tradition surnomme « la femme aux deux exils » du fait de son immigration à deux reprises en Abyssinie. L’histoire rapporte qu’elle fût la première femme à immigrer de La Mecque vers l’Abyssinie avec son premier mari Abou Salama. Ce premier exil forcé s’est avéré nécessaire après les exactions subies par ce couple de la part aussi bien de l’élite dirigeante mecquoise que de leur propre tribu.

Oum Salama a de longs récits sur les différents événements vécus en terre d’exil, sur les souffrances endurées par elle et ses différents compagnons de l’époque et aussi lors de son immigration vers Médine. En effet, la tradition relate les épreuves successives qu’elle a dû subir surtout lorsqu’elle a été séparée – contre son gré – de son mari et de son enfant par sa propre tribu et famille. Séparée donc de son époux, qui forcé de la quitter va se rendre à Médine et de son enfant séquestré par des membres de sa famille, elle a souffert ainsi toute une longue année, seule, inconsolable et passant toutes ses journées pleurant son enfant et son époux…
Emu par le supplice que vivait cette femme un notable de sa famille intercéda auprès de sa tribu qui lui rendit son enfant et lui permit d’aller rejoindre son mari et les autres musulmans de Médine.

C’est seule, avec comme seul compagnon son fils encore enfant, qu’elle entreprit, malgré les dangers qu’elle encourait, le long exil vers Médine. Elle était résolue à se rendre là où était son mari afin qu’ensemble ils puissent vivre en paix leur foi dans cette nouvelle cité de la liberté qu’était la ville du prophète… C’est à quelques lieux de La Mecque qu’un vaillant chevalier se proposa de la raccompagner jusqu’à son lieu d’arrivée.

Il serait important peut être de rappeler à cet égard que celui qui a ainsi offert son aide et sa protection à cette femme et son enfant était à l’époque un non musulman et que cela n’a pas empêché Oum Salama d’accepter son aide et de louer par la suite son attitude chevaleresque et sa conduite morale irréprochable .

Il y a dans ce court épisode de l’histoire islamique d’innombrables leçons à tirer pour notre quotidien de musulmans où l’intolérance, voire le rejet de l’autre, est devenu une règle pour certains ainsi que de cette « défiance » maladive envers toute compagnie supposée être « illicite » pour une femme seule… Oum Salama était une femme sans complexes, libre et déterminée. Sa foi doublée de son comportement vertueux étaient amplement suffisants pour la « protéger » en tant que femme
« seule » de toute agression immorale.

Devant ce parcours de « résistante », au vrai sens du mot, et de toutes ces difficultés endurées le long de ces évènements successifs, qui pourrait encore s’étonner de la pertinence de la revendication de Oum Salama au prophète de l’islam ?

En son propre nom mais aussi au nom de celles qui, comme elle, ont tellement souffert durant les différents périodes de l’exil, Oum Salama n’a fait qu’exprimer un sentiment sincère, de peine et de déception, devant le silence apparent du Coran quant à cet engagement illimité des femmes dans un acte aussi important, politiquement parlant, que la hijra.

Seuls les hommes semblaient être gratifiés pour leur contribution et nulle égard pour celles qui comme Oum Salama et tant d’autres ont failli sacrifier leurs vies et celles de leurs enfants pour protéger leur foi et leurs convictions…

Mais Dieu est le Juste et bien que Sa parole divine était sensée interpeller tous les humains, femmes et hommes, Il va répondre à l’appel de Oum Salama et préciser encore une fois que femmes et hommes sont foncièrement égaux dans leur engagement spirituel et politique.
« Je ne ferai jamais perdre à aucun d’entre vous homme ou femme, le bénéfice de ses œuvres, les uns des autres (baadoukoum min baad) » Voilà la réplique de Dieu à Oum Salama, révélée sous forme d’une promesse et d’un serment divin éternels qui transcendent le temps et l’histoire…
La promesse de ne jamais faire perdre le bénéfice des uns par rapport aux autres… La promesse de faire en sorte que Son équité divine soit toujours infiniment présente, indépendamment du genre, quelques soient les circonstances et l’acte dévolu… Dieu, de par Sa profonde générosité, réconforte son cœur de femme et celui de toutes les autres et « insiste » dans ce verset sur la parfaite égalité entre les deux sexes.

En effet, un commentateur classique va affirmer que l’expression : « à aucun d’entre vous homme ou femme » suivi de cette autre : « les uns des autres (baadoukoum min baad) » témoigne d’une volonté « d’insistance » de la part de Dieu de « renforcer » cette notion d’égalité de la femme et de l’homme en utilisant cette image d’hommes et de femmes « liés les uns aux autres » (baadoukoum min baad) » .

Il va sans dire que ce verset témoigne de l’intensité de cette union qui devrait « lier » les uns aux autres, naturellement, et qui réaffirme ainsi l’origine commune des femmes et des hommes. Dieu rappelle ici qu’il ne pourrait y avoir de différences entre des êtres provenant de la même création, de la même origine ! D’autres savants vont affirmer que ce verset est l’équivalent d’un autre : « Les croyants et les croyantes sont solidaires les uns des autres – Baadouhoum awliyaaou baad – ils incitent au bien et dissuadent du mal…  » où l’assertion à l’égalité entre les deux sexes est de la même intensité. Cette alliance mutuelle qui serait en fait une « co-responsabilité » est l’argument de taille qui délimite les critères des relations hommes – femmes telles qu’elles sont établies dans la vision coranique.

Ce verset est à lui seul le pivot sur lequel s’articule l’égalité, puisqu’il résume l’essence même de l’action politique qui incombe aux acteurs de la société, femmes et hommes. Commander le bien et interdire le mal est une tâche capitale qui échoit non seulement à l’autorité politique en place mais à chaque musulman et musulmane. Chacun d’entre eux doit lutter contre l’oppression, faire de son mieux pour assurer la justice sociale et faire en sorte que les richesses communes soient redistribuées de manière équitable.

C’est dans la mesure où une société sera fidèle à ce principe majeur de l’islam de la commanderie du bien et de l’interdiction du mal, qu’elle sera considérée comme une société juste… Cette injonction divine qui incite les croyants et les croyantes à être solidaires les uns des autres dans cet action politique majeur est la preuve que la vision coranique est une vision indiscutablement égalitariste.

Cependant, il est navrant de voir comment certains textes d’exégèse classique vont aller en totale opposition avec la conception coranique d’harmonie, d’union et d’égalité entre les femmes et les hommes. Un certain nombre de savants prisonniers de   leurs contextes culturels respectifs vont être incapables d’interpréter ce genre de verset autrement que selon une vision coutumière et archaïque et ce malgré le fait qu’ils aient admis, plus ou moins, une certaine égalité spirituelle, sans cesse réitérée par le texte sacré… Ils vont, devant des versets pourtant clairs, contourner cette image égalitaire du Coran et finir par « contraindre » le texte, en lui attribuant une connotation discriminatoire et dépréciative… Cette interprétation misogyne, transmise à des générations et des générations de musulmans, eux même enfermés dans une lecture conformiste, va finir par se substituer au message coranique et devenir un principe islamique immuable…

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Visitez le site internet de l'auteure et ses ouvrages : http://www.asma-lamrabet.com
 




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