Les cahiers de l'Islam
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Vendredi 19 Janvier 2024

Mehdi Azaiez, Le contre-discours coranique



À travers ce travail érudit et d’une grande clarté, Mehdi Azaiez renouvelle indéniablement nos connaissances et notre compréhension du contexte et du/des milieu(x) dans lequel/lesquels le Coran a vu le jour.
Hassan Bouali
 
Cette recension a déjà fait l'objet d'une publication dans le Bulletin critique des annales islamologiques  , 35|2021 sous licence Creative Commons (BY NC SA).
 
 

Broché: 363 pages
Éditeur :
de Gruyter (19 mai 2015)
Collection : Studies in the history and culture of the middle east
Langue : Français
ISBN-13:
978-3110419993

    Par Hassan Bouali
 
    Ce livre est la version remaniée de la thèse de doctorat de M. Azaiez soutenue à l’université Aix-Marseille sous la direction de Claude Gilliot. Les contre-discours de l’adversaire et les ripostes ­générées à l’intérieur du texte coranique constituent le sujet central de cette recherche.

    La première partie de l’ouvrage pose le cadre de l’étude. La polémique et la controverse sont omniprésentes dans le Coran. Si ces thèmes restent peu étudiés, de nombreux chercheurs ont toutefois permis de renouveler la question selon plusieurs approches. Parmi celles-ci, on peut distinguer « l’approche historique » qui s’appuie sur le Coran et la tradition et vise à déterminer le contexte de la polémique coranique. Cette démarche n’est toutefois pas sans limites. Mehdi Azaiez constate qu’il n’est pas évident de repérer des « séquences polémiques » (p. 29) et de délimiter un corpus précis. L’usage de la tradition n’est d’ailleurs pas sans poser de problèmes dans la mesure où celle-ci est très « largement apologétique » (p. 37). En dépit de ces difficultés, les savants modernes ont privilégié cinq indices pour étudier la polémique dans le Coran (notamment l’indice dit «
 référentiel », l’indice « qualifiant et descriptif » ou encore l’indice   « nominatif »). D’aucuns ont privilégié une comparaison de ce corpus avec les données du texte coranique tandis que d’autres chercheurs l’ont confronté avec la littérature polémique et religieuse de l’Antiquité tardive. La linguistique a également été mobilisée pour appréhender la polémique coranique. Cette méthode a permis de mettre en lumière la présence de nombreux genres littéraires, de distinguer diverses formes de polémiques ou encore d’étudier les stratégies argumentatives à l’œuvre dans le texte coranique au prisme de la polémique. Le vaste panorama historiographique dressé par Mehdi Azaiez lui permet toutefois d’établir le constat suivant : même si certains spécialistes ont perçu l’existence d’un « discours rapporté direct [1] » dans le Coran, le contre-discours coranique reste insuffisamment étudié par la recherche moderne. Ceux qui l’ont étudié jusqu’à présent ont opté pour une approche historique (Mohamed Arkoun, Alfred-Louis de Prémare) ou une approche linguistique/rhétorique (Mustapha Ben Taïbi, Pierre Larcher, Thomas Hoffman). Si ces recherches ont eu le mérite de mettre en évidence l’omniprésence d’un « arrière-discours » (Arkoun), de prendre en compte la dimension polyphonique de l’énonciation coranique et « la voix de l’autre » (Larcher), voire l’usage coranique d’une « dialectique de la riposte » (de Prémare), elles ont toutefois, pour des raisons variées, un goût d’inachevé. Pour approfondir ces études pionnières auxquelles il reconnaît une certaine dette, Mehdi Azaiez s’attache en premier lieu à définir les contours de son corpus. L’islamologue plaide pour une analyse intratextuelle et la prise en compte des acquis récents des modèles dialogaux à partir de la notion de « question argumentative ». Cette démarche permet de comprendre le fonctionnement des mécanismes qui permettent au Coran de solliciter des voix multiples autour desquelles il construit son propre discours, en s’y opposant (contre-discours) ou en s’en réclamant (discours apologétique). Mehdi Azaiez propose en outre un corpus élargi du contre-discours coranique. À cette fin, il présente un tableau synoptique du contre-discours et de la riposte du Coran en tenant compte des 6237 versets de la vulgate coranique. L’ensemble, qui se lit selon trois niveaux de lecture (le verset, la sourate et le Coran dans son entièreté), est clair et bien légendé. On peut toutefois regretter que l’éditeur n’ait pas fait le choix de reproduire la légende une page sur deux ; la lecture du tableau synoptique en aurait été sans doute plus aisée. Cette « synopse » (p. 91) donne lieu à une approche quantitative précise du contre-discours coranique. Le Coran comprend un dixième de contre-discours, voire un sixième si l’on tient compte de la riposte. Autres points notables : la répartition des contre-discours se révèle décroissante vers la fin du corpus tandis que beaucoup de sourates ne contiennent ni contre-discours ni ripostes.

    La seconde partie analyse le contre-discours coranique et la riposte coranique. En premier lieu, Mehdi Azaiez prolonge et précise l’identification du corpus contre-coranique. Celui-ci repose sur cinq thématiques : le discours contre Dieu, le discours contre le Prophète, le discours contre le Coran, le discours contre l’eschatologie et le discours contre les croyants. Selon l’auteur, plus il y a de polémiques dans la sourate, moins elle est ancienne. À l’inverse, moins il y a d’indices polémiques, plus la sourate a des chances d’être ancienne. Dans le chapitre suivant, M. Azaiez examine les thèmes du contre-discours et de la riposte coranique. Les croyances des opposants se révèlent au grand jour : le « discours contre Dieu » révèle la nature du Dieu des opposants, le discours contre le Prophète est basé sur une réfutation radicale de « l’allocutaire coranique » tandis que celui « contre le Coran » réfute son origine divine. Un regard neuf peut aussi être jeté sur la thématique « fondamentale » (p. 135) du contre-discours eschatologique. La figure de l’adversaire rejette l’idée d’une résurrection des corps et celle de « l’heure eschatologique » (p. 137) alors que la « rétribution eschatologique » (p. 137) est âprement discutée, voire rejetée. En conséquence, la riposte coranique prédomine et répond symétriquement aux thématiques des contre-discours. L’étude se clôt sur les figures de l’opposant et l’évolution des contre-discours eschatologiques. À partir d’une étude minutieuse des contre-discours, Mehdi Azaiez propose une typologie des figures de l’opposant (une identité de désignation, une identité d’attitudes et une identité de croyances). L’attention portée au contre-Coran eschatologique au prisme de la chronologie établie par Nöldeke révèle trois phases d’évolution de la réfutation (une phase de « réfutation questionnante », une seconde de «
 réfutation propositionnelle ou qualifiante », une troisième de réfutation « contre-argumentative »). L’arbre d’al-zaqqūm, « un des items lexicaux qui interviennent dans la riposte coranique » (p. 173) est particulièrement révélateur de cette « amplification de la voix du locuteur coranique » (p. 175) : « D’abord et essentiellement descriptif, le Coran aurait proclamé un message de croyance sans biblisme marqué. La référence à l’arbre d’al-zaqqūm en attesterait. Puis, à la suite de l’hostilité croissante face aux messages délivrés par le Coran, il est possible que les items bibliques aient été sollicités comme points d’appui et arguments de persuasion. Enfin, face à une hostilité toujours croissante, le locutaire coranique, tout en préservant son biblisme, semblerait accroître significativement son intervention pour soutenir son allocutaire et sa croyance. Le travail coranique de persuasion s’amplifie et s’adapte à des circonstances et à un contexte qu’il demeure néanmoins impossible de cerner judicieusement » (p. 175).

     La dernière partie de l’ouvrage expose l’ensemble des « Contre-Discours Rapportés Directs Présents » (p. 181) présents dans le Coran (soit deux-cent soixante-dix versets). Mehdi Azaiez les examine à la lumière d’une grille d’analyse de sept rubriques (numérotation, localisation et classements, textes, translittération, traduction, concordance et analyse).

      À travers ce travail érudit et d’une grande clarté, Mehdi Azaiez renouvelle indéniablement nos connaissances et notre compréhension du contexte et du/des milieu(x) dans lequel/lesquels le Coran a vu le jour. Les contre-discours coraniques s’inscrivent effectivement dans le cadre des polémiques religieuses de l’Antiquité tardive. Ils ouvrent par ailleurs des perspectives anthropologiques intéressantes dans la mesure où ils mettent en scène des convergences entre le Coran et les affirmations des adversaires ainsi qu’en témoigne la croyance commune en un Dieu créateur.

     Au final, avec ce livre percutant et novateur, Mehdi Azaiez s’impose plus que jamais comme un des chefs de file du renouvellement des études coraniques.

Notes

_____________________

[1] Le discours rapporté direct est la mise en scène par le Coran des paroles de ses adversaires (le contre-discours). Ce discours rapporté direct est introduit par le verbe dire. Mehdi Azaiez, Le contre-discours coranique, VII (préface).


 




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