Les cahiers de l'Islam
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Kamel Meziti
Kamel Meziti, historien, auteur et conférencier impliqué dans la promotion de la citoyenneté et du... En savoir plus sur cet auteur
Samedi 18 Juillet 2015

Malgré l'adversité les musulmans européens doivent être acteurs de leur destin



Dire aujourd'hui que les musulmans de France et d'Europe sont inquiets est un euphémisme.
L'ancienne génération comme la jeunesse musulmane vivent dans un climat très anxiogène et  se voient constamment sommés de s'excuser pour des atrocités que d'autres commettent au nom de l'islam. Ils sont pris en otages par d'un côté les barbaries de mouvements se revendiquant de l'islam (Daech, Etat Islamique, Boko Haram…) et les racistes et autres mouvements politiques islamophobes (Front national, Bloc identitaire en France, Ligue du Nord en Italie, Ukip au Royaume Uni….) qui vont s'appuyer premiers pour nourrir leur discours haineux et stigmatiser  les musulmans ou même ceux qui s'apparentent aux musulmans (mais qui ne le sont pas). Si on s'appelle Fouad ou Warda et qu'on est chrétien libanais ou même athée on peut être victime d'acte islamophobe car dans l'esprit de beaucoup de gens un arabe est par définition musulman ! On se rend compte que l'ignorance est le plus grand ennemi de l'homme.
 
Mon inquiétude est grande. Jusqu'ici  nous connaissions le racisme et l'islamophobie primaire émanant de personnes ; aujourd'hui nous assistons à un changement majeur : l'islamophobie est en train de gangrener progressivement les institutions démocratiques françaises et européennes sous la pression de certains médias avides de « unes spectaculaires » et d'audimat et certains responsables politiques qui ont trouvé dans l'islam un fonds de  commerce électoraliste.

Crédit Reuters
Crédit Reuters
On l'a encore vu récemment dans le cas de ce jeune homme (Yassine Salhi) qui a lâchement exécuté son  employeur, puis l'a décapité avant d'essayer de faire exploser une usine : ce acte abject a fait l'objet de nombreuses spéculations sur un danger terroriste de grande ampleur en France  avant même que l'enquête soit diligentée. Pourtant il n'est pas certain que cette folie meurtrière soit motivée par des considérations religieuses ou idéologiques. Quelques mois après les actes terroristes de Paris (Charlie Hebdo et épicerie casher de la porte de Vincennes), les musulmans de France constatent avec stupeur que les « unes médiatiques » macabres sont encore et toujours consacrées à des individus de pratique ou de référence musulmane (Merah, Kouachi, Coulibaly, Salhi….). Ce constat, dans un climat international désastreux dans l'ère géographique islamique (Syrie, Irak Libye, Somalie……), est très difficile à vivre pour la communauté musulmane européenne. C'est cette dernière qui subit le contrecoup de cette situation : les gouvernements européens ont mis en place des dispositifs législatifs d'exception (tel que la Loi sur le renseignement  en France) qui permet le « flicage » de tout citoyen ou résident musulman. De nombreuses voix se sont élevées pour tirer la sonnette d'alarme et dénoncer les éventuels débordements d'une cette loi. Récemment encore un célèbre magistrat spécialiste de l'anti terrorisme qualifiait cette dernière « d' arme redoutable si elle est mise entre de mauvaises mains ». Il faisait en outre part à la presse de son inquiétude notant : «une absence de contrôle totale dans cette loi ». Comme de nombreuses personnes, je reste attaché au principe de la séparation des pouvoirs. Le vivre-ensemble et la démocratie reposent sur un équilibre harmonieux entre les trois piliers institutionnels que sont l'Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. La répression doit être précédée par des campagnes pérennes de prévention du « djihadisme » mortifère.  En outre, multiplier l'arsenal législatif  anti terroriste n'est pas la solution : il faut agir en amont sur ce qui fait le lit du terrorisme et de la violence en général. La priorité doit être donnée à l'éducation. Je suis de ceux qui pensent que l'enseignement du fait religieux dans les programmes scolaires est une bonne chose. Il a fallu le drame des attentats et la montée de l'extrémisme mortifère pour que l'on prenne enfin des décisions constructive si toutefois elles sont suivies de faits. Le dialogue des civilisations et des cultures passe par l'enseignement du fait religieux et donc de l'islam par des acteurs avisés, compétents et  à la hauteur des enjeux. Nos concitoyens français ont besoin de connaître l'apport civilisationnel de l'islam à l'Europe au moment où ils sont quotidiennement « alimentés » par les images désastreuses du terrorisme, de Boko Haram, de l'EI ou autres Daech qui ont pris en otage une religion de Paix. Les musulmans en sont les premières victimes et l'islamophobie se nourrit de tout cela.
Il s'agit de promouvoir le vivre-ensemble, le respect de la différence, loin de la stigmatisation alimentée par certains  discours politiques et médiatiques haineux. L'islam est aujourd'hui la deuxième religion en France et il y a quelques 6 millions de musulmans de référence ou de confession dans l'Hexagone. Les enjeux sont d'autant plus grand que la France abrite les trois plus grandes minorités religieuses d'Europe : catholiques, juifs et musulmans qui doivent apprendre à mieux se connaître et surtout ne pas céder aux tentatives des semeurs de haine et autres souffleurs de braise.
 
Le Front National mais aussi d'autres responsables politiques de grands partis surfent sur  les peurs et font de l'islam un fonds de commerce électoraliste. Les musulmans sont devenus les bouc-émissaires des problèmes sociétaux (immigration, insécurité, chômage, précarité....). Ils doivent se prendre en charge et agir sur le terrain de la citoyenneté. Il faut s'occuper de la politique avant que cette dernière s'occupe de vous. Comme de nombreux concitoyens, je m'inquiète pour les prochaines élections régionales en France mais aussi pour la Présidentielle en 2017. L'extrême droite prospère sur le terrain de la médiocrité des autres partis dits républicains : on a commencé par ériger le FN en arbitre ; aujourd'hui c'est lui qui joue le rôle de l'arbitre.

De gauche à droite: Markus Beisicht (Allemagne), Heinz-Christian Strache (Austriche), Filip Dewinter (Belgique) et Robert Spieler (France)/PHOTO AFP
De gauche à droite: Markus Beisicht (Allemagne), Heinz-Christian Strache (Austriche), Filip Dewinter (Belgique) et Robert Spieler (France)/PHOTO AFP
J'ai jusqu'ici axé essentiellement mon propos sur les acteurs externes mais il y a de nombreux autres facteurs endogènes qui expliquent la crise de civilisation que connaissent les musulmans en Europe et ailleurs. L'ouvrage écrit il y a un demi-siècle par un certain Malek Bennabi, intitulé Les Conditions de la Renaissance (Chourout Ennahda) garde toute son actualité et sa pertinence. Les musulmans de France et du monde doivent être force de proposition et apporter leur pierre à l'édifice dans le cadre d'une coexistence pacifique. Ils doivent œuvrer afin de devenir acteurs de leur propre destin. Un  célèbre hadith dit en substance que le meilleur des musulmans est celui qui est le plus utile à autrui. Une autre référence de la Sounna souligne que la sagesse est l'ombrelle du musulman ; qu'il doit s'en saisir où quelle soi et d'où qu'elle vienne. Cela nous amène à méditer la fameuse formule d'Albert Einstein :
« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ».




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