« Comme une grande prison dont les détenus auraient la clé »
Par Pierre Daum, août 2015
Islam et relégation urbaine à Montpellier
Décrit tantôt comme une menace pour l’identité nationale, tantôt comme une idéologie guerrière, l’islam fait l’objet d’attaques incessantes dans les médias ou de la part de dirigeants politiques. Mais on aborde rarement cette religion dans sa pratique quotidienne : qu’est-ce qu’être musulman dans une société qui condamne les immigrés et leurs descendants à la ségrégation ? Exemple à Montpellier.
En cet après-midi de juin, à Montpellier, la chaleur commence à s’installer. Les terrasses de la place de la Comédie se remplissent ; on commande un rosé, une pression ou un Perrier citron. Les gens se sentent bien, beaucoup de jeunes, les visages sont métissés. Un tramway de la ligne 1, de couleur bleue piquée de dessins d’oiseaux blancs, quitte lentement la place et s’enfonce dans un tunnel avant d’en ressortir rapidement. Direction la Mosson, à l’extrémité ouest de la ville. Le trajet dure quarante minutes. A mesure que l’on s’éloigne du centre-ville, on observe une transformation sociale de la foule des passagers. Davantage de visages maghrébins, de foulards couvrant la chevelure des femmes et de vêtements bon marché. Il est environ 18 heures lorsqu’on atteint le terminus. Les derniers employés des administrations du quartier (caisse d’allocations familiales, mairie annexe, bibliothèque municipale, poste de police, etc.) et les instituteurs montent dans les voitures qui viennent de se vider, avant que le véhicule reparte dans l’autre sens.
Les habitants de la Paillade, selon l’ancien nom que tout le monde continue d’utiliser, se retrouvent alors entre eux : quinze mille personnes, pour la plupart issues des immigrations postcoloniales. Et, parmi elles, une proportion importante de familles venues du sud du Maroc. En juin 2000, lors de l’inauguration de cette ligne de tramway, Georges Frêche, le maire de l’époque (décédé en 2010), avait lancé une plaisanterie qui avait fait beaucoup rire les élus municipaux : « Ici, c’est le tunnel le plus long du monde [il parlait du passage souterrain situé à l’extrémité de la place de la Comédie] : vous entrez en France et vous ressortez à Ouarzazate ! » Et, pour ceux qui auraient encore pu douter de la connotation raciste de son propos, il avait ajouté en désignant une passagère qui portait le foulard : « Ne vous inquiétez pas pour la dame, elle n’a que les oreillons ! » (1).
Une vie religieuse circonscrite à quatre quartiers
Quelques (...)
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