Les cahiers de l'Islam
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Beddy Ebnou
Mohamed Beddy Ebnou est directeur de l'Institute for Epistemological Studies - IESE (Bruxelles) et... En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 16 Octobre 2015

De l'attentat d'Ankara au poème d'Émile Verhaeren



Tant de morts et de blessés. Tant d'horreur et d'inhumanité. Une amie de Paris venait de m'envoyer fort opportunément le poème d'Émile VERHAEREN : Celui de la fatigue . Le défi de garder espoir ou surtout de l'inventer est de moins en moins aisé à relever.

Mohamed Beddy Ebnou est directeur de l'Institute for Epistemological Studies - IESE (Bruxelles) et enseigne à l'université de Dauphine (Paris). Il a récemment écrit Islam et démocratie : face à la modernité, Fondapol, 2015.

 


Istanbul le 11 Octobre 2015. Je suis en train d'observer ce matin la vie qui continue malgré tout à Istanbul où je suis arrivé hier soir. Cette ville est une grande passionnée de la vie. Hier au moment où je traversais Ankara avec ma mère et mon frère pour aller à l'aéroport Esenboğa, j'ai réalisé soudain que mon téléphone affichait une avalanche de missed calls. Mon oncle très inquiet me rappelle et m'apprend qu'un attentant vient de se produire non loin de nous. J'ai posé la question au conducteur turc. Il avait déjà appris la mauvaise nouvelle mais il ne voulait manifestement pas nous effrayer. A l'aéroport d'Ankara-Esenboğa puis à celui d'Istanbul-Atatürk tout semblait normal. A notre arrivée à ce dernier une collègue istanbuliote ravie de nous voir arriver à l'heure m'informe que plusieurs vols ont été annulés peu de temps après notre départ d'Ankara. Je commençais à réaliser l'ampleur de l'événement. Tant de morts et de blessés. Tant d'horreur et d'inhumanité. Une amie de Paris venait de m'envoyer fort opportunément le poème d'Émile VERHAEREN : Celui de la fatigue . Le défi de garder espoir ou surtout de l'inventer est de moins en moins aisé à relever.


La Nature ne s'est pas toujours montrée très clémente envers l'Homme mais celui-ci se montre et s'est souvent montré encore moins clément envers lui-même. Il s'est inlassablement acharné contre la Vie, contre sa vie. Il ne semble guère blasé de ses pulsions inextinguibles pour les flots de sang humain qui continuent absurdement de couler. Bien évidemment, les délires fascisants de type sectaire ou nationaliste se superposent ici à cet insatiable appétit macabre comme des prétextes fort commodes. J'ai ce matin la triste et naïve impression que l'ultra-sophistication des outils techniques martiaux et, en somme, une grande partie de ce que l'humanité appelle développement n'ont pour le moment servi qu'à exalter ces pulsions meurtrières, cette soif primitive du meurtre pour le meurtre, du cannibalisme pour le cannibalisme.


J'ai passé une partie de la soirée à suivre les débats sur les différentes chaines turques et internationales, à lire les analyses. Difficile de savoir qui fait quoi et qui commande quoi dans ce contexte si complexe. Les autorités turques "n'ont pas l'air de comprendre que ces groupes de sectaires exaltés n'ont pas d'amis", commente mon frère. Il faut dire qu'avec tout ce qui se passe autour d'elle, notamment chez ses voisins arabes, la Turquie s'en sort étonnement bien. Ou relativement bien. Son implication dans les conflits régionaux et plus particulièrement en Syrie inquiètent cependant beaucoup d'analystes turcs. Certains accusent sans détour leur gouvernement. Deux termes clefs (il s'agit comme souvent en géopolitique d'une agrégation oxymorique) se répètent inlassablement chez eux : PKK et DAECH. L'opinion est semble-t-il encore plus polarisé quant au rôle qu'elle prête aux autorités turques dans le conflit syrien. Il y a vraisemblablement à ce sujet autant de critiques véhémentes que d'éloges dithyrambiques.


Cette unanimité qu'on trouve ici sur le fait que les groupes armés sévissant aujourd'hui en Irak et en Syrie sont des Frankenstein en grande partie fabriqués, intentionnellement ou non, par la politique des puissances régionales et internationales relève-t-elle purement et simplement d'un conspirationnisme de bas étage? Ils semblent en tout cas avoir adopté la (même ?) violence déployée, peut-être un peu plus secrètement, par les régimes staliniens ou semi-staliniens qui se sont durablement installés au pouvoir dans une partie des Etats arabes depuis la fin des années 60. L'immense appétit sadique pour toutes les mises en scène pornographiques de la terreur était déjà une politique officielle ou quasi-officielle de ces régimes. Les nouveaux groupes armés l'ont-ils en quelque sorte hérité, "privatisé" et radicalisé? Il n'est probablement pas interdit de le penser.


 

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