Les cahiers de l'Islam
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Vendredi 1 Mars 2024

Bernard Rougier, Figures du jihad mondial



La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux « matrices du salafisme » et est composée de l’introduction ainsi que d’un chapitre de l’ouvrage Qu’est-ce que le salafisme ? qu’il a dirigé et publié en 2008. [...] Les mots propres de l’auteur, L’oumma en fragments – ouvrage publié en 2011 et seconde partie de la présente édition – tendent à expliquer « comment, au cours des années 2000, ce champ de forces idéologiques a su exploiter les tensions moyen-orientales – au Liban, en Syrie et dans le milieu des camps palestiniens dans ces deux pays – pour subvertir les appartenances politiques et territoriales au nom de la réactivation d’une utopie religieuse »
Victor Mercier
 
Publiée en partenariat avec " Liens socio ", Le portail francophone des sciences sociales.
 

Broché: 456 pages
Éditeur :
PUF (17 mars 2021)
Langue : Français
ISBN-13:
978-2130826828

Biographie de l'auteur et quatrième de couverture

 
    Bernard Rougier est professeur des universités à Paris 3 / Sorbonne-Nouvelle, membre senior de l'Institut Universitaire de France et directeur du Centre des études arabes et orientales. Il est notamment l'auteur aux Puf du Jihad au quotidien (2004, trad. Harvard University Press, 2007), Qu'est-ce que le salafisme ? (dir., 2008), L'Oumma en fragments (2011, trad. Princeton University Press, 2015), L'Égypte en révolutions (dir., avec S. Lacroix, 2015) et Les Territoires conquis de l'islamisme (dir., 2020 ; édition augmentée, 2021).
 
     Avant-propos inédit de Bernard Rougier Dans la première partie, « Qu'est-ce que le salafisme ? », l'auteur se propose d'expliquer le salafisme en restituant les dimensions théologiques, sociales et politiques d'un phénomène complexe. Ce mouvement a acquis une forte visibilité en France ces dernières années et les figures emblématiques du terrorisme international s'en réclament pour justifier leur lutte contre l'Occident. Cet ouvrage restitue les dimensions théologiques, sociales et politiques d'un phénomène complexe. Il montre comment des influences religieuses ayant leur origine dans la péninsule arabique parviennent à modifier les comportements de certains musulmans et pourquoi cette forme de pratique religieuse se développe. La seconde partie, L'Oumma en fragments, répond à une double ambition : proposer une grille de lecture des formes d'action militante au Moyen-Orient et l'appliquer à plusieurs séquences de mobilisations ancrées dans l'espace du Nord-Liban, à travers une étude en situation du comportement de ses principaux acteurs. L'hypothèse théorique porte sur l'existence dans l'espace de crise du Levant (Palestine, Liban, Syrie) d'un triangle militant structuré autour de trois modèles d'engagement : le résistant (mouqâwim), le combattant (mouqâtil) et le combattant du jihâd (moujâhid). Ces trois figures, qui disposent chacune de leurs règles et de leurs modalités propres d'action, s'affrontent sur le sens et le statut de l'islam sunnite dans la région.

   
    Par
Victor Mercier
 
     Ce nouvel ouvrage de Bernard Rougier, professeur à l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, membre senior de l’Institut universitaire de France et directeur du Centre des études arabes et orientales, rassemble plusieurs de ses textes. La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux « matrices du salafisme » et est composée de l’introduction ainsi que d’un chapitre de l’ouvrage Qu’est-ce que le salafisme ? qu’il a dirigé et publié en 2008 [1]. La seconde partie, intitulée « L’oumma en fragments », reprend l’intégralité de son ouvrage éponyme publié en 2011 [2].

     Dans l’avant-propos, Bernard Rougier explique cette composition. Le premier texte – introduction de Qu’est-ce que le salafisme ? – s’intéresse à l’histoire du salafisme et sert de prélude nécessaire à l’étude du salafisme-jihadisme qui émerge en Afghanistan, objet du second texte. Cette première partie permet de mieux appréhender la seconde section de l’ouvrage, qui répond à une double ambition : « proposer une grille de lecture des formes d’action militante au Moyen-Orient » et « appliquer cette grille dans l’espace turbulent du Nord-Liban » (p. 81), notamment celui du camp de Nahr al-Baded, pénétré par les jihadistes revenus d’Afghanistan. L’auteur y montre comment les tenants de cette idéologie instrumentalisent les « tensions » de ces sociétés dans le but de « subvertir les appartenances politiques et territoriales au nom de la réactivation d’une utopie religieuse dont l’éphémère califat islamique (2014-2019) aura été l’expression violente et paroxystique » (p. 2). Notons que nulle mention n’est faite, dans les textes de cette édition, des événements de 2011 ainsi que ceux survenus depuis. Seul cet avant-propos en traite.

     Le texte introductif (p. 17-45) retrace la genèse du salafisme et sa situation à l’époque de la publication. Bernard Rougier y revient sur la constitution du corpus religieux, fondée sur les hadiths, et sur l’importance de théologiens tels qu’Ibn Hanbal, Ibn Taymiyya ou Ibn Abd al-Wahhab, dont l’héritage théorique structure et fonde le salafisme contemporain. L’auteur tente également un « essai de typologie » et distingue « trois formes de salafisme […] depuis le début des années 1990 » (p. 36) : le salafisme littéraliste, le salafisme réformiste et le salafisme-jihadiste. Le premier, qualifié par certains de « quiétiste », ne s’engage (en apparence) pas dans le champ politique pour se concentrer sur le corpus religieux, à la différence du deuxième. Celui-ci, « incarné en Arabie Saoudite, à la fin des années 1980, par le courant de la Sahwa (réveil islamique) » possède et revendique une « lecture politique du monde » (p. 39), en s’exprimant notamment, pour reprendre un exemple de l’auteur, sur la politique états-unienne au Moyen-Orient. Enfin, le troisième « place le devoir de jihad au cœur de la croyance religieuse » (p. 40).

      Ce dernier courant est d’ailleurs l’objet du second texte, intitulé « Le jihad en Afghanistan et l’émergence du salafisme-jihadisme » (p. 48-77). L’auteur se penche sur le rôle fondamental d’Abdallah Azzam [3], qui « démocratise » le jihad (p. 55) et relève d’une obligation individuelle dès lors que le dar al-islâm est envahi. Aucune proclamation par des oulémas n’est alors requise. À partir des biographies des volontaires arabes tués, Bernard Rougier dresse également trois idéaux-types du volontaire : « la figure de l’étudiant islamiste “classique” qui a reçu une formation scientifique ou technique, à ce détail près qu’il a généralement abandonné les études avant la fin de son cursus » (p. 59) ; la figure de l’étudiant en religion, par exemple de l’Université islamique de Médine ; et la figure du « jeune désœuvré » qui n’a pas terminé ses études secondaires. Peshawar, la base arrière pakistanaise du jihad en Afghanistan, s’avère également être un lieu de conflit et d’hybridation. Lieu de conflit, d’abord, car l’auteur y voit le lieu où s’opposent plusieurs tendances de l’islamisme, par exemple la tendance saoudienne wahhabite et celle d’Abdallah Azzam. Lieu d’hybridation, ensuite, car Bernard Rougier explique qu’à la fin des années 1980, Peshawar regroupe l’ensemble des courants de l’islam radical alors même que les premiers disciples d’Abdallah Azzam – assassiné fin novembre 1989 – quittent la ville. Dans un climat de « débats » et de « conflits incessants entre les différents courants », « de nature à produire de hybridations nouvelles, chaque groupe se définissant contre tel autre, en lui empruntant, par rivalité mimétique, des traits de sa doctrine ou des éléments de sa stratégie » (p. 68), une hybridation s’opère avec le ralliement d’une partie des Frères musulmans au prédicateur wahhabite afghan Abd Rabb Al-Rassoul Sayyaf. Ce dernier, qui était allié de l’Arabie saoudite, condamna l’envoi de troupes états-uniennes sur son territoire. C’est ce croisement qui, selon Bernard Rougier, fut « directement à l’origine d’une synthèse islamiste nouvelle, le salafisme-jihadiste » (p. 69). Cette synthèse se caractérise ainsi par une idéologie « beaucoup plus politisé[e] que le wahhabisme traditionnel » qui « place le jihad armé au cœur de la croyance et dénonce toute forme de subordination vis-à-vis de l’Occident », ne reconnaissant « aucune légitimité religieuse à la famille régnante saoudienne » (p. 72).

     Les mots propres de l’auteur, L’oumma en fragments – ouvrage publié en 2011 et seconde partie de la présente édition – tendent à expliquer « comment, au cours des années 2000, ce champ de forces idéologiques a su exploiter les tensions moyen-orientales – au Liban, en Syrie et dans le milieu des camps palestiniens dans ces deux pays – pour subvertir les appartenances politiques et territoriales au nom de la réactivation d’une utopie religieuse » (p. 2). Issu d’une enquête de terrain au Nord-Liban, cet ouvrage propose d’abord une typologie idéale typique de l’engagement au Moyen-Orient à l’aide de modèles qui « s’affrontent sur le sens et le statut de l’islam sunnite dans la région » (p. 81). Le résistant (mouqâwin) s’affirme contre l’Occident et contrôle totalement (Iran) ou partiellement (Palestine, Liban) les « secteurs les plus stratégiques de l’appareil d’État » (p. 82). La figure du combattant du jihad (moujâhid) s’inscrit également contre l’Occident mais ne maîtrise pas durablement les institutions comme le premier. Enfin, Bernard Rougier décrit le modèle du combattant (mouqâtil), qui s’engage davantage au niveau local en étant autant attaché aux valeurs islamiques et patriotiques qu’à l’honneur et à la défense de sa famille. Selon l’auteur, c’est la figure la plus répandue au Moyen-Orient et la plus ancienne. Bernard Rougier justifie également son terrain d’enquête : le Nord-Liban a le mérite d’être devenu un « espace stratégique et convoité, à l’intérieur duquel se déploie un nombre impressionnant d’intervenants » (p. 82) qui relèvent des trois figures et s’inscrivent dans plusieurs registres d’action – violents, pacifiques, ou institutionnels. Après avoir confronté ces idéaux-types au terrain du Nord-Liban – l’auteur étudie par exemple le « réseau McDonald’s » et le Fatah al-Islam –, Bernard Rougier conclut qu’il existe « trois types de configuration » au Nord-Liban : une première d’engagement où le moujâhid « prétend venger la oumma par une série d’actes terroristes contre des enseignes commerciales américaines et [leur] clientèle » avec le « réseau McDonald’s » ; une deuxième configuration correspondant à une « mobilisation confessionnelle contre la présence syrienne au Liban » ; et une dernière qui « met en scène un réseau régional [le Fatah al-Islam] se réclamant à la fois de la résistance et du jihad » (p. 395). 

     Cet ouvrage est ainsi particulièrement intéressant dès lors que ses lignes et les phénomènes qu’il décrit entrent en résonnance avec ce qui se déroule depuis une décennie dans la région. L’avant-propos de cette nouvelle édition, qui donne de nouvelles clés de lecture et de comparaison, est à ce sujet particulièrement bienvenu [4].

 

 
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Références

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[1] Bernard Rougier (dir.), Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, Presses universitaires de France, 2008.
[2] Bernard Rougier, L’oumma en fragments, Paris, Presses universitaires de France, 2011.
[3] Nous renvoyons le lecteur au chapitre de l’ouvrage présenté par Gilles Kepel, composé d’une introduction de Thomas Hegghammer revenant sur la vie, le rôle et l’héritage de « l’imam du jihad » et de plusieurs de ses textes traduits par Jean-Pierre Milelli : Gilles Kepel (dir.), Al-Qaida dans le texte, Paris, PUF, 2008.
[4] L’auteur considère ainsi que ces idéaux-types s’appliquent aisément au champ de forces syrien installé fin 2012 avec le Front al-Nosra et l’État islamique comme moujâhid, l’Armée syrienne libre comme mouqâtil et le Hezbollah comme mouqâwin.

 


 




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