Les cahiers de l'Islam
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Dimanche 9 Mai 2021

Mohamed Mestiri (1964-2021)



Mohamed Mestiri (Muḥammad al-Mestīrī) nous a quitté le vendredi 8 janvier 2020, à l’âge de 57 ans. Spécialiste de la théologie musulmane, Mohamed Mestiri s’est d’abord formé en Tunisie, au sein de l’université Zitouna (Jāmiʿat al-zaytūna) où il obtient une Ijāza (licence) en théologie musulmane (uṣūl al-dīn). C’est à Paris, ensuite, qu’il viendra poursuivre sa formation, au sein de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.  Ayant obtenu, au sein de celle-ci, une licence et un Magistère (Master) en philosophie, il entame une thèse de doctorat sous la direction de Rémi Brague. Thèse de doctorat qu’il soutiendra en 1994, sous le titre « La conception morale dans les débuts du kalām et de la philosophie islamique d’après les exemples des Mu‘tazilites et de Fārābī  » (Naẓariyyat al-akhlāq fī bidāyat ‘ilm al-kalām wa-l-falsafa : al-mu‘tazila wa al-Fārābī namūdhajan), en deux volumes. Cette thèse de doctorat marquera la production et l’activité intellectuelle de Mohamed Mestiri. En effet, à la suite de celle, il fonde en 1999 le Centre d’études civilisationnelles de Paris, via lequel il publie Ru’ā (Conceptions), une revue trimestrielle « spécialisée dans la question du renouveau de la pensée islamique ». La revue paraîtra de 1991 (1er numéro) à 2005 (26ème numéro). En 2000, il devient le directeur de l’Institut internationale de la pensée islamique (IIIT France). Il s’agissait de la branche française de IIIT (International Institute of Islamic Thought), fondé aux États-Unis en 1981. Pendant plusieurs années, les activités de l’IIIT France seront marquées par la traduction d’ouvrages en français, l’organisation de séminaires, de dîner-débats, et de congrès annuels sur des questions relatives à l’islam et aux populations musulmanes. C’est dans ce cadre, sous la direction de Mohamed Mestiri, que IIIT France organisa en 2004, en partenariat avec l’Unesco, un congrès intitulé « Penser la modernité et l’islam : regards croisés ». Les actes de ce colloque seront publiés l’année suivante, avec les contributions de 14 auteurs, dont Mohamed Arkoun, Dounia Bouzar, Eric Geoffroy, Nilüfer Göle, Pierre Lory, Olivier Roy, etc. Ce fut là le début d’une longue série d’ouvrages collectifs publiée par l’IIIT France.

Mohamed Mestiri (1964-2021) - إنا لله وإنا إليه راجعون
Mohamed Mestiri (1964-2021) - إنا لله وإنا إليه راجعون

En 2007, l’IIIT France décide d’ouvrir une formation intitulée « Licence d’études islamiques interdisciplinaires  », avec pour ambition d’enseigner les sciences islamiques traditionnelles à travers les outils des sciences humaines et sociales. Ainsi, en plus des enseignements sur la théologie, la jurisprudence, ou le soufisme, une ouverture aux sciences humaines était proposée aux étudiants. Ces enseignements, outre des séjours d’études (au Maroc et aux États-Unis) étaient accompagnés, de manière fréquente, par de nombreux colloques et conférences où rentraient en dialogue les diverses approches du fait religieux islamique. De 2007 à 2012 (année de la fermeture de l’institut), IIIT France sera ainsi un carrefour d’idées, de rencontres interculturelles et de débats critiques – comme en témoigne la venue à l’institut du penseur syrien Muḥammad Shaḥrūr (m. 2019) en octobre 2009. Cet enseignement interdisciplinaire et de ce cadre unique à l’époque profiterons à plusieurs générations d’étudiants. Sans parler ici de la qualité de cet enseignement, en particulier les cours de théologie et d’’épistémologie des sources islamiques de Mohamed Mestiri.

Arrêtons-nous un instant sur la théologie islamique. Deux ouvrages de Mohamed Mestiri sont dédiés à la théologie, discipline qu’il était retourné enseigner à l’université Zitouna. Le premier, Traité des fondements de la religion : Usul Addin (2004), en français, est une introduction générale et concise à la théologie musulmane. Le second, Tajdīd ‘ilm al-kalām (Le renouveau de la théologie), en arabe, est paru en 2019. Il s’agit là d’une contribution importante, en langue arabe, à ce que l’on appelle désormais ‘ilm al-kalām al-jadīd. Que faut-il entendre par « renouveau de la théologie (‘ilm al-kalām) » dans l’ouvrage de Mohamed Mestriri ? Le renouveau théologique nécessite trois choses au moins :
  1. redéfinir ‘ilm al-kalām : comme la discipline qui élabore (rationnellement) et explicite les finalités (maqāṣid) et l’éthique (akhlāq) universelles de l’enseignement coranique.
  2. repenser son apport à la connaissance humaine : cette discipline ne peut plus être celle de la défense d’une doctrine mais, au contraire, celle qui pense, de manière universelle, la place éminente et singulière de l’humain. Ainsi, pour Mohamed Mestiri, ‘ilm al-kalām devrait aussi être une discipline qui pense les « finalités humaines » (al-maqāṣid al-ināniyya). Autrement dit, tout ce qui peut permettre à l’humain d’obtenir le bonheur (taḥṣīl al-sa‘āda – titre d’un ouvrage d’al-Fārābī) spirituel (rūḥiyya) et matériel (mādiyya), de préserver ses droits (ḥuqūq) et sa dignité (karāma). Cette conception mestirienne assigne comme tâche à la science du kalām d’être une apologie en faveur de ses finalités humaines.
  3. penser les finalités humaines, nécessite de tenir compte du contexte et de la civilisation (al-ḥaḍāra) dans lequel se trouve l’humain et, par conséquent, ne pas s’enfermer dans les thématiques théologiques remontant aux premières générations de musulmans. Faire de la théologie, pour Mohamed Mestiri, consiste à s’engager dans une discipline dynamique, avec pour tâche de comprendre le texte coranique (ta‘aqqul al-naṣṣ al-qur’ānī) dans sa dimension universelle (kulliyātihi) et ses fondements doctrinales (uṣūlihi al-‘aqadiyya). Ensuite, de penser, à la lumière de son époque, les valeurs morales qui s’imposent à l’homme et de préciser la nature de sa responsabilité (mas’ūliyya) en société. À ce propos, Mohamed Mestiri préfère ici le terme khaldounien al-‘umrān (la civilisation) à celui que nous venons d’employer : al-mujtama‘ (la société). Cela pour insister davantage sur l’ampleur de la tâche qui s’impose au théologien (musulman).

Trois mots – trois concepts – parcours ainsi tout l’ouvrage de Mohamed Mestiri : al-‘aql (la raison/l’intellect), sans laquelle il n’y a pas de compréhension du message coranique ; al-akhlāq (l’éthique), qui se trouve au centre de ce message, et al-‘umrān/al-ḥaḍāra (la civilisation), dans laquelle le fidèle musulman porte ce message et l’enseignement moral qu’il véhicule.

Bibliographie (non exhaustive) des publications de Mohamed Mestiri

  1. Ouvrages
  • Tajdīd ‘ilm al-kalām, Tunis, Manshūrāt Kārim al-Sharīf, 2019.
  • Jadal al-ta‘ṣīl wa-l-mu‘āṣira, Tunis, Manshūrāt Kārim al-Sharīf, 2014.
  • Traité des fondements de la religion : Usul Addin, Paris, Éditons Islam Contemporain, 2004.
  1. Ouvrages collectifs sous sa direction
  • Islamophobie dans le monde moderne, Mohamed Mestiri, Ramon Grosfoguel, El Yamine Soum (dir.), Paris, IIIT France, 2008.
  • Pluralisme et reconnaissance : défis des particularismes et des minorités, actes du Congrès des 22-24 juin 2006, à l’Unesco, Mohamed Mestiri, Dimitri Spivak (dir.), Paris, IIIT France, 2008.
  • Identitaire et universel dans l'Islam contemporain, Mohamed Mestiri, Daniel Rivet (dir.), Paris, IIIT France-IISMM-EHESS, 2007.
  • Penser la modernité et l'islam : regards croisés, Mohamed Mestiri, Moussa Khedimellah (dir.), Paris, IIIT France, 2005.
  1. Articles
  • « Status of Islam in the West and Challenge of Citizenship. The Situation of Muslim in France » in Muslime im Rechtsstaat, Thorsten Gerald Schneiders, Lamya Kaddor (dir.), 2005, p. 89-108.







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