Les cahiers de l'Islam
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Pascal Lemmel
Co-fondateur de la revue numérique Les Cahiers de l'Islam, des éditions du même nom ainsi que de la... En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 29 Novembre 2018

L'iran et son président, Hassan Rohani, dans l'impasse.



Nous croyons qu’il n’existe aucune solution extrême pour gérer les crises internationales et que ces crises ne peuvent être vaincues qu’en ayant recours à la sagesse, à l’interaction, à la modération. Ce n’est guère à l’appui du militarisme que la paix et la démocratie pourront être instaurés dans les pays du monde et au Moyen Orient. L’Iran cherche la solution aux problèmes, il ne cherche pas à en générer. Il n’existe aucun problème ni crise qui ne soit solvable grâce au respect mutuel, au refus de la violence .
Hassan Rohani, Président de la République Islamique d'Iran (RII)
Extrait du discours tenu lors de la 73eme Assemblée générale des Nations unies
 

Le président de la Cour suprême, Hassan Rouhani, prend la parole et prononce un discours lors d'une réunion entre l'ayatollah Seyyed Ali Khamenei, dirigeant de la révolution islamique, et les participants à la conférence internationale sur l'unité islamique à Téhéran, le 25 novembre 2018. (Photo IRNA)
Le président de la Cour suprême, Hassan Rouhani, prend la parole et prononce un discours lors d'une réunion entre l'ayatollah Seyyed Ali Khamenei, dirigeant de la révolution islamique, et les participants à la conférence internationale sur l'unité islamique à Téhéran, le 25 novembre 2018. (Photo IRNA)
La 32e Conférence internationale de l'unité islamique, d’une durée de trois jours, s’est ouverte à Téhéran samedi dernier. Elle a rassemblé une centaine de pays musulmans. Se tenant à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du prophète Mahomet ce rassemblement visait notamment à renforcer la solidarité entre musulmans.

Président du pays hôte, Hassan Rohani a prononcé le discours d’ouverture. A cette occasion il a appelé à l'unité et à la fraternité entre les musulmans estimant qu’il s’agissait là d’un devoir, qui devait se traduire concrètement par des actes.
 


 

Pourtant, depuis des décennies, l’Iran, pays à majorité Chiite, se place en rival de l’Arabie saoudite sunnite. Les deux nations s’opposent sur de nombreux dossiers. De plus, alors que Ryad est un fidèle des États-Unis, Téhéran considère Washington comme son pire ennemi. Finalement, les deux pays en sont venus à rompre toutes relations diplomatiques en 2016. A cela, il faut ajouter que l’Iran veut désormais normaliser ses relations avec les autres nations, commercer normalement. Or pour ses voisins, l'Arabie saoudite et Israël entre autres, cela constitue un danger politique. Si elle réussissait, la République islamique pourrait devenir un exemple pour l’ensemble des pays de la région. Les enjeux sont donc autant économiques que politique s.

Pour autant, le président Rohani a assuré « que l'Iran considérait l'Arabie saoudite comme un pays frère et qu'il était prêt à travailler avec ce pays pour résoudre les différends » ajoutant : « nous ne demandons pas 450 milliards de dollars pour ça et nous ne vous insulterons pas », faisant ainsi référence au montant des contrats militaires entre Ryad et Washington.

Il a par ailleurs fustigé les actions menées par les États-Unis et Israël dans la région, allant jusqu’à qualifier l’état Hébreu de « tumeur cancéreuse ». Considérant que les deux états s’acharnaient sur son pays uniquement pour le sanctionner de ne pas vouloir fermer les yeux sur ce qu’il considère être des exactions, il a déclaré : « que le véritable problème des ennemis de l'Iran est qu'il refuse de rester ignorant vis-à-vis de leurs atrocités dans la région. Les ennemis de l’Iran veulent tout sauf une chose et cela n'a rien à voir avec la question nucléaire ou avec les éléments de l'accord de 2015 entre Téhéran et les autres pays du monde. Ce qu’ils désirent, c’est pouvoir faire ce que bon leur semble dans la région sans aucune entrave. Ils disent : " Si nous avons opprimé l'Irak et l'Afghanistan et créé l'insécurité en Syrie et en Afrique du Nord, vous ne devriez pas en témoigner et rester silencieux." » Il a ensuite conclu en indiquant : « Notre voie est dégagée. Nous considérons que nos voisins régionaux sont nos frères et que la sécurité régionale est alignée sur notre propre sécurité et tendons la main de l'amitié à tous les musulmans »

Alors qu’un certain nombre de médias musulmans reprenaient son discours, dans le même temps, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dénonçait dans un communiqué « le régime iranien meurtrier ». Il ajoutait : « L’Iran soutient les groupes militants comme le Hezbollah et le Hamas qui se sont engagés à détruire Israël. L’Iran n’a jamais menacé d’attaquer Israël, mais s’est engagé à exercer des représailles s’il est attaqué. Israël considère l'Iran comme une menace existentielle ». Rappelons que l’Iran ne reconnaît pas l’existence de l’État d’Israël et qu’en retour ce dernier accuse Téhéran de chercher à fabriquer la bombe atomique.

De leur côté les États-Unis, par la voie du secrétaire d’État Mike Pompeo, ont condamné les propos du président iranien considérant que ces derniers encourageaient « les musulmans du monde entier à s’unir contre les États-Unis » et enflammaient « les tensions dans la région en appelant apparemment à la guerre ».


 

Par ailleurs, ces derniers mois, conformément aux engagements pris par Donald Trump durant sa campagne, les États-Unis ont rétabli des sanctions unilatérales contre l’Iran après s’être retirés en mai 2018 de l’accord JCPOA (pour Joint Comprehensive Plan of Action) sur le nucléaire signé en 2015 par Téhéran et les grandes puissances et qui avait pourtant fait l’objet d’une résolution à l’ONU (n° 2231). A cette occasion, le président Iranien avait plaidé pour son pays à la tribune des Nations-Unis, prenant, au passage, fait et cause pour les musulmans persécutés de par le monde, tout en accusant les États-Unis de tyrannie et de terrorisme (Cf. Vidéo). Il a notamment dénoncé la politique des états unis au Moyen-Orient :
"Rares sont les régions où la violence s’est avérée si destructrice qu’en Asie de l’ouest et en Afrique du nord. L’intervention militaire en Afghanistan, la guerre imposée par Saddam à l’Iran, l’occupation du Koweït, l’action militaire contre l’Irak, la politique violente et répressive à l’encontre du peuple palestinien, la liquidation des figures politiques et les civils en Iran, les attentats à la bombe dans différentes pays de la région dont l’Irak, l’Afghanistan, le Liban sont toutes des exemples de violence durant ces trois décennies dans cette région.
(...)
Les droits élémentaires des Palestiniens sont de manière catastrophique bafoués ; ils sont privés du droit de retour à leur maison et à leur pays natal. Les crimes commis à l’encontre du peuple palestinien est une violence institutionnalisée. L’apartheid s’avère un terme très pâle ou trop faible pour la décrire.
(...)
Nous apportons notre pleine appui à la paix basée sur la démocratie, et le recours aux élections libres aussi bien en Syrie qu’à Bahreïn et ailleurs."


Alors que de leur côté, les Européens, la Chine et la Russie ont maintenu leur accord avec Téhéran, qui selon l'Agence internationale pour l'énergie atomique, en respectait les termes, l’Iran a saisi La Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye, dénonçant la tentative « d'étranglement » de son économie et une « agression flagrante ». A cette occasion l’Iran a emporté une véritable victoire diplomatique. En effet, le 3 octobre dernier, à l’unanimité, les quinze juges de la Cour internationale ont ordonné à Washington, de « supprimer toute entrave (…) à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran », de médicaments, de matériel médical, de denrées alimentaires, de produits agricoles, de pièces détachées nécessaires à l’aviation civile, ainsi que les services liés à la maintenance des avions. Téhéran a salué, dans un communiqué, la décision de la Cour, qui « prouve une fois de plus que la République islamique a raison et que les sanctions américaines contre le peuple et les citoyens de notre pays sont illégales et cruelles ».

Toutefois les problèmes internes du président Iranien ne disparaitront certainement pas pour autant. Les problèmes économiques de l'Iran se sont aggravés ces derniers mois avec le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire et la reprise des sanctions. Le jugement rendu par la CIJ n’a pas empêché les États-Unis de prendre de nouvelles sanctions visant tout particulièrement le secteur de l’énergie, c’est-à-dire le pétrole et le gaz, deux sources essentielles de devises. A cette occasion, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré : « Notre objectif est d'assécher les revenus que le régime iranien utilise pour financer des activités violentes et déstabilisatrices à travers le Moyen-Orient et, en fait, dans le monde entier. Le régime iranien a le choix: il peut soit renoncer à son plan d'action illégal et se comporter comme un pays normal, soit voir son économie s'effondrer. » A la suite du second train de sanctions les entreprises européennes quittent l’Iran. Les français Total, Renault et PSA, tout comme les allemands Siemens, Daimler, Deutsche Bahn ou Deutsche Telekom sont sur le départ. Sous la pression des sanctions américaines, Air France et British Airways ont décidé de suspendre la desserte de Téhéran.

Dévaluation, inflation, chômage, pénuries d'eau, la situation économique de l’Iran est catastrophique, au-delà du mécontentement du peuple, Rohani se retrouve désormais, assiégé de toutes parts, sur le plan politique.

Rappelons que lors des élections présidentielle de 2013, ce dernier avait réussi à l’emporter après avoir obtenu le soutien des réformistes, dont celui l'ancien président Mohammad Khatami. Lors des élections suivantes, au printemps 2017, les réformistes se sont à nouveau ralliés à Rohani, afin de contrecarrer la tentative conservatrice de placer le clerc Ebrahimi Raisi au pouvoir.

Cependant ses relations avec les réformistes n’ont cessé de se dégrader au fil du temps. Déjà lors de son premier mandat, il avait été critiqué par ses partisans pour ne pas avoir nommé de réformistes au sein de son cabinet et pour avoir manqué à ses promesses électorales d'élargir les libertés sociales et politiques et de mettre fin aux longues assignations à résidence des dirigeants de l'opposition, Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi. Les désaccords se sont encore aggravés après sa réélection de l’année dernière. Il semble que son chef de cabinet, Mahmoud Vaezi, ait été chargé par Rohani de mettre en œuvre une politique plus conservatrice.

Conscients de l'incapacité de Rohani à réaliser ses vœux de libertés sociales et politiques accrues, beaucoup de ceux qui ont voté pour lui dirigent leur colère contre les réformistes pour les avoir convaincus de voter pour le clerc modéré. « Qu'il s'agisse des libertés civiles, des droits humains, du sort des prisonniers politiques, du statut de la femme, le "mollah diplomate" - un de ses surnoms usuels - n'a pas su, ou pas pu, traduire dans les faits ses promesses de campagne »

Dans le sillage de la perte de popularité de Rohani, les réformistes qui l'avaient soutenu se sont retrouvés encore plus discrédités par la mauvaise gestion de son administration et le non-respect de ses promesses, plaçant ainsi le camp des réformistes sur une trajectoire dangereuse avant les élections législatives de 2020 et les élections présidentielles de 2021.

Toutefois courant octobre, plusieurs réunion se sont tenues entre des représentants des courants réformiste et le président iranien. Cependant, il semble que Rohani ait sollicité les réformistes uniquement pour donner des gages en interne, à la société civile, ainsi qu’aux nations étrangères. Aucun réformiste n’est rentré au gouvernement, aucune revendication de ces derniers n’a été satisfaite et le comité mixte qu’il avait promis de créer avec eux n’a toujours pas été mis en place. Les spécialistes considèrent qu’il a certainement considérer qu’une trop grande proximité avec les réformistes pourrait nuire à son avenir politique et inciter l’establishment politique à bloquer la politique de son gouvernement.

Du reste, durant l’été, Rohani s’est retrouvé convoqué devant le parlement, « sommé de s'expliquer sur l'impuissance de son gouvernement à enrayer la débâcle de l'économie nationale » qui s’était encore accrue suite au rétablissement des sanctions américaines après leur retrait de Washington de l'accord nucléaire. A cette occasion, après Ali Rabiie, pilier de l'équipe Rohani et ex-ministre du travail, les députés avaient contraint le président à se séparer de son ministre de l'économie, Massoud Karbassian. Cependant, il semble que le départ de Rohani n’ait jamais été à l’ordre du jour. L'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême et détenteur, à ce titre, des leviers du pouvoir semblerait vouloir maintenir l’actuel président jusqu’au terme de son mandat de façon à maintenir la fiction de la légitimité élective du régime.

En attendant, à l’instar de Mohammad Khatami, lors de son deuxième mandat, les capacités de manœuvres du président iranien se trouvent singulièrement limitées. Coincé entre le camp dit des « Principalistes » du régime, c’est-à-dire les ultra-conservateurs, farouchement hostiles à tout rapprochement avec l'Occident, et qui auront beau jeu de le désigner comme responsable du marasme socio-économique dans lequel s'enfonce l’Iran et les réformistes l’avenir de Rohani s’annonce bien sombre. « Personne ne pense que M. Rohani réformera quoi que ce soit dorénavant. Il n'était qu'un instrument du système, donnant l'impression de répondre aux revendications du peuple sans vraiment changer les choses », affirme Clément Therme, chercheur à l'Institut international des études stratégiques à Londres.




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