Titulaire d’un Doctorat en Economie et finance islamiques, Dr. Ahmed TAHIRI JOUTI est Directeur… En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 12 Mai 2013

L’institution de la Zakat : "Noyau dur" du système financier en Islam. (Seconde partie)



Après la présentation du concept de Zakât de la première partie, l'auteur, dans cette seconde partie, aborde le rôle de la Zakât au sein de l'économie et des systèmes financiers. 


Les missions économiques de l’institution de la Zakât


Plus qu’une institution à portée sociale, la Zakât peut être perçue comme un instrument de la politique économique de l’Etat islamique. En effet, elle assure les trois missions suivantes : Elle permet de combattre la pauvreté tout en renforçant la couche moyenne; Elle constitue une assurance; Elle permet la lutte contre la thésaurisation et encourage l’investissement ainsi que la consommation.

 

La Zakât combat la pauvreté et renforce la couche moyenne

La première mission économique de la zakât est de combattre la pauvreté et à permettre un transfert des richesses des couches sociales lésées aux couches sociales aisées.

D’après Ibn Abbas (que Dieu l’agrée), le prophète (SAWS) envoya Mu'adh au Yémen et lui dit : « Invite-les à attester qu'il n'est de dieu que Dieu et que je suis le Prophète de Dieu. S'ils attestent de cela, informe-les que Dieu leur impose cinq salat quotidiennes. S'ils s'y soumettent, fais-leur savoir que Dieu leur prescrit une aumône prélevée auprès des riches pour être reversée aux plus pauvres des leurs.».
 
Sur le plan pratique, la zakât a prouvé à travers les siècles son efficacité dans l’élimination de la pauvreté évinçant par la même occasion les dérives sociales (crimes, prostitution, etc).
 
Il est rapporté par Abu Ubaid que Mu'adh Ibn Jabal (que Dieu l’agrée) a été envoyé par le prophète au Yémen comme gouverneur et il y est resté jusqu’à l’époque du 2ème calife Omar Ibn al Khattab.

Mu'adh (que Dieu l’agrée) a envoyé le tiers de la zakât collectée du Yémen à Omar qui l’a décliné en lui disant : « je ne t’ai pas envoyé pour collecter des tributs mais plutôt pour collecter la zakât de leurs riches et la distribuer aux pauvres ». Mu'adh répondit : « je l’ai envoyé parce que je n’ai trouvé personne à qui la verser ». L’année d’après, Mu'adh a envoyé la moitié de la zakâtt parce qu’il n’avait pas trouvé à qui la verser. La troisième année, Mu'adh a envoyé toute la zakât collectée à Omar qui s’est encore opposé à Mu'adh qui, à son tour, s’est justifié par le fait de n’avoir trouvé personne à qui la verser [1]
 
De plus, la zakât réduit l’écart entre les différentes couches sociales puisqu’elle permet le transfert de 2,5% de la richesse de la couche sociale aisée vers la couche sociale lésée. En effet, à l’occasion de chaque distribution, l’écart entre les couches sociales est réduit de 5%.
 
En effet, le verset suivant montre clairement le souci islamique de réduction de l’écart entre les différentes couches sociales afin que les richesses ne circulent pas exclusivement parmi les riches:
« Le butin provenant [des biens] des habitants des cités, que Dieu a accordé sans combat à Son Messager, appartient à Dieu, au Messager, aux proches parents, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur en détresse, afin que cela ne circule pas parmi les seuls riches d'entre vous. Prenez ce que le Messager vous donne; et ce qu'il vous interdit, absentez-vous en; et craignez Dieu car Dieu est dur en punition. » (Sourate Al HASHR, Verset 7)



La Zakât est une assurance

Si la zakât constitue une deuxième chance pour les pauvres, elle peut être considérée comme une assurance pour les riches. Ainsi, toute personne appartenant aux huit couches sociales définies dans le Coran –même si cette personne était riche auparavant- peut bénéficier de la Zakât (cf première partie).

Parmi ces huit couches sociales, nous retrouvons : Les personnes lourdement endettées : Les personnes qui sont endettées et qui n’arrivent pas à honorer leurs engagements peuvent bénéficier de la zakât. Dans ce cas, elle [la zakât] constitue une garantie et une assurance pour les prêteurs qui seront encouragés à prêter sans se soucier du remboursement de leurs prêts. C'est ainsi que nous pouvons affirmer que la zakât encourage l’entraide au sein de la société islamique. Les voyageurs en détresse : Les voyageurs en détresse peuvent bénéficier de la zakât pour regagner leurs pays. C’est l’équivalent des assurances actuelles qui couvrent par exemple les rapatriements en cas de problème survenant lors d'un voyage à l'étranger . La zakât permet donc d’éliminer les risques de voyage, d’encourager les échanges commerciaux et de sécuriser les déplacements. 
Les pauvres : Dans cette catégorie, on peut intégrer les personnes inaptes, les malades, les orphelins, les vieux, etc. Ces personnes bénéficient de la zakât qui  garantit leur dignité. Peuvent aussi bénéficier de la zakât les personnes ayant créé des entreprises qui ont finalement fait faillite. La zakât constituerait, dans ce cas, une assurance aux investisseurs en cas d’échec de leurs projets encourageant ainsi les investissements et l’esprit entrepreneurial.
 
Par ailleurs, comme le souligne H.H. Hassan [2] , contrairement au système islamique, le système d’assurance moderne restreint ses prestations aux seules personnes capables de verser une prime faisant ainsi en sorte que les richesses ne circulent qu'entre plus riches.

Tous ces éléments constituent un système d’assurance qu'il serait souhaitable de faire évoluer afain de concevoir de nouvelles "formules" adaptées aux exigences de l’économie et de la société moderne.
 


La Zakât combat la thésaurisation et encourage l’investissement et la consommation

En Islam, la monnaie sert principalement pour faciliter les échanges. Thésauriser revient à freiner la dynamique de l’échange ce qui crée des crises financières et économiques profondes.
 
Pour combattre la thésaurisation, l’Islam a imposé la zakât en tant que taxe sur les capitaux immobilisés. A cet effet, tout individu est tenu d’adopter l’un des comportements suivants :
Investir ses capitaux inutilisés dans des projets productifs, afin de lui permettre de générer un rendement suffisant pour payer la Zakât et accroître sa richesse, Consommer en dépensant ses capitaux, ce qui lui évite alors de payer la zakât. Accepter de payer la Zakât en gardant ses capitaux inutilisés.  
La Zakât est donc un "catalyseur" de l’investissement et de la consommation ayant pour vocation de relancer l’activité économique :
Relancer l’investissement permet de relancer la production, l’emploi et la consommation. Relancer la consommation permet d’accélérer la vitesse de circulation de la monnaie et d’encourager l’investissement, la production et l’emploi.  
De plus, le transfert de richesses entre les classes aisées et les pauvres entraine la création d’un pouvoir d’achat supplémentaire qui renforce les revenus des nécessiteux et par conséquent la consommation, la production et l’investissement.
 
A partir des éléments avancés ci-dessus, il apparaît clairement que la zakât assure les fonctions d’un système financier en encourageant la consommation et l’investissement, en étant un système d’assurance général et non sélectif et en permettant un transfert des richesses.
 
C'est pourquoi nous pouvons dire que le noyau dur du système financier en Islam est l’institution de la Zakât. Toutefois, ce système est tenu d’évoluer pour répondre aux besoins d'une nation islamique. Quelles évolutions institutionnelles pourraient être possibles ?


Les évolutions institutionnelles du système financier islamique

Formant le noyau dur du système financier islamique, l’institution de la zakât pourrait se voir compléter par d’autres institutions qui, chacune assurerait une mission bien déterminée.
 

Institutions assurant la collecte des dépôts et le Financement de projets d’investissement (Augmenter la capacité de production de l’économie)

Nous l'avons dit, la zakât permet de combattre la thésaurisation et encourage les gens à dépenser, investir ou faire des dons aux plus démunis.

Quand l’agent économique choisit d’investir, le système financier doit offrir des possibilités de placement diversifiées et adaptées aux besoins des investisseurs. Pour les grands projets d’investissement, les marchés financiers pourrait jouer ce rôle en respectant les règles de fonctionnement du modèle économique islamique.
 
S’agissant des petits et moyens projets, des institutions spécialisées pourraient jouer les rôles d’intermédiation entre les porteurs de projets et bailleurs de fonds.
 

Institutions assurant la gestion des moyens de paiement (Faciliter la circulation de la monnaie)

Dans le cas ou l’agent économique choisirait de dépenser son capital, des institutions devraient offrir des services de gestion des comptes de dépôts à vue et des moyens de paiement entre les différents agents économiques tels que les cartes monétiques, les chèques, les lettres de change, etc.
 
Ces institutions devrait pouvoir assurer le rôle de facilitateur des échanges entre les différents agents économiques sans toutefois accorder de prêts usuriers ou créer de la monnaie.

Institution de "Bayt al mal" dédiée aux crédits gratuits (Réduire l’écart entre les différentes couches sociales)

Si l’agent choisit de donner des aumônes, l’institution de Bayt al mal pourrait assurer le rôle de collecteur d’aumônes autres que la Zakât en vue d'accoder des crédits gratuits dont l’objet présenterait un caractère urgent tels que les cas d’hospitalisation, de réparation, etc.

Institution de solidarité spécialisée dans la gestion des risques et des sinistres

La zakât est une assurance contre la pauvreté. Elle constitue aussi une assurance pour les prêteurs et les voyageurs en détresse. Toutefois, avec l’évolution des activités économiques, des institutions et des fonds spécialisés peuvent être créés pour couvrir les risques et les sinistres que la zakât n’est pas supposée couvrir tel que les accidents de circulation, les sinistres portant sur des activités industrielles ou commerciales importantes, etc.

Conclusion

Le système financier islamique a connu une évolution importante avec l’apparition de nouvelles institutions financières islamiques (banques islamiques, compagnies de Takaful, instruments de marchés de capitaux islamiques)
Toutefois, la Zakât continue de constituer le centre de ce système et toute évolution devra se faire en complément de cette institution.
Aujourd’hui, l’institution de la Zakât a été marginalisée au lieu d’être renforcée et complétée jusqu'à être même écartée de certains systèmes financiers islamiques. C'est pourquoi, il nous semble important de la repositionner en tant que noyau central et composante essentielle des systèmes économiques islamiques.

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[1] Dr. Hussein Hamid Hassan, « HOW SUPERB ISLAM WAS IN TACKLING POVERTY », AL IQTISAD AL ISLAMI, Issue 351, (Jumada 2 – 1431 Hegri, June 2010), p. 16.

[2] حسين حامد حسان، "بين حد الكفاية في الاسلام ونظم التأمين والضمان الاجتماعي"، مجلة الاقتصاد الاسلامي، العدد 357، ص. 56



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