Dimanche 1 Mai 2016

L'Union des Démocrates Musulmans Français (UDMF). Vers une société post-sécularisée ?




On dénombre en France entre 4 et 6 millions de personnes de confession musulmane. Les musulmans des nouvelles générations sont nés et socialisés en France. C’est pourquoi ces milliers de citoyens ordinaires se revendiquent à juste de titre de la double appartenance « citoyenne et musulmane ». Se retrouvant dans l’ensemble des catégories sociales et des secteurs professionnels, ils n’hésitent pas à affirmer leur identité religieuse dans l’espace public : port du voile, ramadan, prière, etc… afin d’affirmer cette double appartenance.

Dans le même temps, comme vient de le rappeler un récent sondage de l’IFOP sur la perception des citoyens musulmans français (et allemands) par leurs compatriotes, ces derniers sont perçus plutôt comme une menace (47% des sondés) que comme une source d’enrichissement (19% des sondés). 

Le décalage est saisissant.

Au-delà du fond d'anxiété identitaire (cf. R. Liogier sur le mythe de l'islamisation) qui prévaut en Europe, cela ne devrait pas surprendre. Il suffit de considérer les déclarations de nombreux politiques et intellectuels français, ainsi que le contexte international tel qu’il nous est présenté quotidiennement par les médias (omettant d’en rappeler les origines historiques, géopolitiques et sociologiques). Deux sources anxiogènes déversant en permanence leurs lots d'inepties.

De plus, les citoyens musulmans ne seraient pas intégrés (68% des sondés). Qu'entend t'on exactement par intégré ? La faute à qui ? (aux citoyens musulmans pour 67% des sondés). Finalement, il y aurait incompatibilité entre Islam et démocratie…

Face à ces discours de stigmatisation, des citoyens français (de tous horizons et confessions) ont choisi de s’unir pour montrer qu’il n'y a nulle incompatibilité entre le fait d'être musulman et démocrate. C’est ainsi qu’en 2012, L'Union des Démocrates Musulmans Français (UDMF) a vu le jour. Cette jeune formation politique se revendique à la fois de la devise de la République : "Liberté, égalité, fraternité" et des valeurs éthiques et universelles portées par l’Islam, seconde religion du monde. (cf. Introduction au programme de l’UDMF et document ci-joint).

 

Projet UDMF.pdf  (1.36 Mo)



Bien que les critiques n’aient pas manqué (cf. Figaro ou 20minutes), et malgré le manque de moyens, l’UDMF a réalisé un score honorable aux dernières élections (cf. NouvelObs, Oumma et Saphirnews). Même si nous sommes encore loin des prédictions du Soumission de Michel Houellebecq (cf. OrientXXI), et malgré les analyses de certains chercheurs (cf. 20minutes), ce parti pourrait surprendre lors des prochaines échéances électorales.

Avec son programme, affirmant les valeurs universelles de l'Islam dans le cadre de la laïcité, l'UDMF, pourrait se révéler être au sein de la société française, un marqueur de ce que le philosophe et sociologue Jürgen Habermas avait prédit : l’avènement d'une société post-séculière.

En effet pour Habermas : « tout penseur " progressiste " qui se réclame de la philosophie des Lumières et de la raison et qui est par ailleurs soucieux d’une revitalisation de la vie démocratique aujourd’hui anémiée et motivé par le projet de " conjurer les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le contenu normatif de la modernité ", c’est-à-dire le projet d’émancipation individuelle et collective, loin de mépriser les convictions religieuses au prétexte de leur archaïsme et de chercher à leur interdire tout accès à l’espace public au prétexte de leur dérive fondamentaliste, devrait, tout au contraire, encourager et leur faciliter cet accès, tout en les aidant à reformuler leur « potentiel critique » dans le langage de la raison, un langage profane compréhensible et recevable par tous. » [1]

Tout ce que la majorité des politiques et intellectuels français semblent actuellement incapables de faire.

Bien au contraire.

S'arc-boutant sur un modèle éculé d' "l'intégration à la française " [2] face au communautarisme, ces derniers vont à l'encontre de ce qu'Habermas préconise : 
« l’État démocratique ne devrait pas s’empresser de réduire la complexité polyphonique du concert des voix publiques, parce qu’il ne peut savoir s’il n’est pas en train de priver la société de ressources précieuses pour la constitution d’un sens et d’une identité. Les traditions religieuses ont la faculté de formuler d’une manière convaincante des intuitions morales concernant, en particulier, certains domaines sensibles de la vie sociale. Mais il faut alors, et c’est ce qui embarrasse le sécularisme, que les croyants dans la société civile et dans l’espace politique public soient en mesure de se confronter d’égal à égal, en tant que citoyens religieux, aux autres citoyens. Les non-croyants qui objecteraient à leurs concitoyens que le point de vue religieux est d’un autre âge et ne peut être pris au sérieux dans le contexte moderne retomberaient au niveau d’un simple modus vivendi, et délaisseraient ainsi la base de reconnaissance d’une citoyenneté commune. Ils ne peuvent a fortiori exclure la possibilité de découvrir même dans des énoncés religieux des contenus sémantiques, voire certaines de leurs propres intuitions informulées, susceptibles d’être traduits et intégrés dans une argumentation publique. Pour que tout aille bien, les deux côtés doivent, chacun de son point de vue, accepter d’interpréter la relation entre la foi et le savoir d’une manière qui leur permette de vivre ensemble dans un rapport éclairé par la réflexion sur soi-même. » [2]

On mesure le travail (la révolution) que la société française et en particulier ses élites doivent réaliser pour parvenir au "vivre ensemble" , à cette redéfinition de l'espace public tel que présenté par Habermas.

Gageons qu'au travers des idées portées par l'UDMF , et qui font écho à la vision d'Habermas, cette "révolution" des mentalités puisse être engagée au sein de la société française. 

 


______________________
[1] 
Roger Monjo, « Laïcité et société post-séculière  », Tréma [En ligne], 37 | 2012, mis en ligne le 01 avril 2014
[2] Voir Jacqueline Costa-Lascoux, « L'intégration « à la française » : une philosophie à l'épreuve des réalités », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 22 - n°2 | 2006
[3] Qu'est-ce qu'une société « post-séculière » ? Jürgen HabermasGallimard | « Le Débat » 2008/5 n° 152 | pages 4 à 15



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