Vendredi 6 Décembre 2019

Youssef Seddik: 'Nous vivons un islam abbasside entaché de culture persane'



Philosophe, anthropologue et islamologue, Youssef Seddik, 75 ans, fait partie des intellectuels arabes les plus en vue et également les plus contestés de son temps.
 
Connu pour ses écrits et positions courageuses ­­­-- choquantes pour certains --, il appelle à un retour au sens premier du Coran, à une relecture critique détachée de la tradition, du hadith et du fiqh. Et appelle à une séparation nette entre religion et Etat.
 
Pour lui, l’islam et le Coran ont perdu leur sens premier. Un sens difficile à atteindre aujourd’hui tant le texte a été trahi et manipulé par une tradition musulmane façonnée sous les Abbasides deux siècles après le mort du prophète.
 

Vous avez été très actif par vos écrits et vos interventions pendant et après la révolution tunisienne de 2011. Sept ans plus tard, nous constatons que cette révolution qui a suscité beaucoup d’espoir dans le monde arabe a été confisquée par les mouvements islamistes et s’est accompagnée d’une montée de l’extrémisme religieux. Partagez-vous ce constat ?
 
Youssef Seddik : Oui, complètement. Et je dirais même que la révolution tunisienne a été vaincue. La jeunesse qui avait été derrière ce soulèvement a été très vite dépossédée de sa victoire.
 
Non seulement par les islamistes, mais également par les mouvements libéraux qui ont participé aux gouvernements successifs, et qui n’ont pas su voir prévoir ce qu’est réellement Ennahdha.
 
Les islamistes ont bien préparé leur prise de pouvoir, depuis l’arrivée de Ghannouchi à Tunis, qui avait alors été accueilli à l’aéroport comme un prophète [NDLR: deux vidéos ci-dessous]. Je m’en souviens encore.
 
Ils ont placé leurs hommes dans toutes les articulations du régime, du gouvernement et de la vie civile. Résultat : ils disposent maintenant d’un corpus compact d’électeurs qu’on ne peut plus diminuer.
 
Mais tout cela ne m’empêche pas d’être optimiste puisque il existe encore une résistance au niveau des réseaux sociaux. Cela montre que tout n’est pas perdu.
 
Les islamistes vous opposeront le fait qu’ils ne se sont pas emparés du pouvoir, mais y ont été portés par les urnes de manière démocratique…
 
Hitler est monté au pouvoir avec un processus démocratique. Beaucoup de leaders ont obtenu le vote du peuple mais cela ne les a pas empêché d’établir des régimes très durs.

Quelles leçons peut-on tirer de ces sept années post-révolution ?

Il y a une leçon très positive à mon sens. C’est que le peuple tunisien est très homogène, de l’extrême nord à l’extrême sud.
 
Le Tunisien d’aujourd’hui est très conscient de son entité nationale. Il est lucide et conscient aussi bien des dangers que des bons acquis. Et cela va de l’académicien intellectuel au simple marchand de légumes.
 

Le Printemps arabe nous a donné l’impression au départ que les sociétés arabes avaient soif de liberté, qu’elles étaient suffisamment matures pour entrer de plain-pied dans la modernité. N’était-ce finalement qu’une illusion quand on voit la montée en puissance de l’intégrisme religieux et du « frérisme » galopant ?
L’islamisme est une réaction automatique à un autre intégrisme : celui de la mondialisation.

 
L’islamisme est une contre-mondialisation. Il veut et déclare clairement que toute la planète doit être musulmane, ou placée sous la bannière de l’islam.
 
A mon avis, les deux intégrismes (le libéral à la Trump et l’islamiste des Frères musulmans) sont les deux faces d’une même pièce. Il faut combattre les deux en même temps et être conscient que l’habit religieux n’est qu’un masque.
 
Les Frères musulmans ont un programme on ne peut plus libéral. Ils ont de bonnes relations avec l’Aipac et Israël, et sont en très bons termes avec les Etats-Unis. Pour la simple raison qu’ils veulent aussi avoir leur part du gâteau de la mondialisation. Et à nous, ils servent la beauté de la religion islamique. Il faut se méfier de cela.

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Youssef Seddik



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