Lundi 11 Mai 2015

Y a-t-il une violence légitime?

Par John L. Esposito, professeur de religion et de politique internationale à l'Université de Georgetown



 Pourquoi l'islam est-il une religion si violente? Le Coran autorise-t-il les actes de terrorisme? Pourquoi les musulmans n'ont-ils pas dénoncé les attentats à la bombe du 11 septembre 2001 et les attentats suicides?

Que ce soit dans les moyens d'information ou dans le débat public, ce sont là des questions fréquemment posées, et qui reviennent sans cesse. Mais en fait, les principaux dirigeants et organisations musulmans ont parlé et continuent de le faire. La presse ne trouve guère de valeur médiatique à ces fatwas (avis juridiques religieux) et déclarations, mais elles sont disponibles sur l'internet.

Ainsi, peu de temps après les attentats des tours jumelles, Mohammed Abdur-Rashid, l'aumônier le plus gradé de l'armée américaine, a demandé que les théologiens émettent une fatwa sur la question suivante: les militaires américains peuvent-ils participer à la guerre en Afghanistan et dans d'autres pays musulmans? Un groupe d'éminents théologiens a conclu que: "Tous les musulmans devraient être unis contre tous ceux qui terrorisent des innocents et contre ceux qui permettent de tuer des non-combattants sans motif justifié " et qu'il est acceptable "de prendre part au combat dans les batailles à venir contre quiconque aurait, selon leur pays, pratiqué le terrorisme contre celui-ci".

Comme d'autres religions, l'islam fait une distinction entre actes de violence légitimes et illégitimes. En matière de violence illégitime et de terrorisme, le Coran ne prescrit ni ne souscrit. La tradition islamique impose des limites très élastiques à l'emploi de la violence et rejette le terrorisme, la piraterie et la prise d'otages. Toutefois, les musulmans peuvent, et, dans certains cas, doivent défendre leur religion, leurs familles et la communauté islamique contre l'agression.

Et que dire des attentats suicides? Que dire des actes de violence contre les non-combattants? Depuis la fin du 20e siècle, ces questions sont remontées à la surface en Israël-Palestine, au Liban, en Irak, au Pakistan, en Indonésie, en Amérique et en Europe, les attentats à la bombe kamikaze étant souvent assimilés au martyr, au sacrifice d'une vie pour la défense de l'islam et de la communauté.

Le débat sur la légitimité de la violence a été mis en lumière par le conflit israélo-palestinien. Les traditions prophétiques (récits narratifs sur les paroles et les actes de Mahomet) interdisent clairement et absolument le suicide parce que Dieu seul a le droit de reprendre la vie qu'il a accordée. Historiquement, les musulmans tant sunnites que chiites ont généralement interdit le suicide religieux et les actes de terrorisme.

Les attentats-suicides, surtout ceux qui ciblent des civils innocents et des non-combattants ont précipité un vif débat parmi les autorités religieuses éminentes du monde musulman. Le cheik Ahmed Yacine, feu le fondateur du Hamas, et Akram Sabri, mufti de Jérusalem, ainsi que nombre d'autres responsables religieux arabes et palestiniens, soutiennent que les attentats suicides sont nécessaires et justifiés, eu égard à l'occupation illégale par Israël et à son écrasante puissance militaire.

D'autres condamnent les attentats suicides, particulièrement ceux qui prennent pour cible des civils, les considérant comme des actes terroristes. Pour le Grand mufti d'Arabie saoudite, tous les attentats suicides sont non islamiques et interdits par l'islam. Le cheik Mahomet Sayyid Tantawi, ancien Grand mufti d'Egypte et actuel cheik d'al Azhar, autorité religieuse s'il en fut, fait clairement la distinction entre les attentats-suicides qui répondent à un besoin de sacrifice et d'autodéfense pour défendre la patrie et secourir les opprimés, d'une part, et le massacre de non- combattants, de femmes et d'enfants, auxquels il s'est toujours opposé.

Au cours de ces débats, un problème récurrent s'est posé, celui de la proportionnalité: la réaction, la rétorsion doivent être proportionnels au crime commis. Ceux qui cherchent à justifier la mort des civils soutiennent qu'aucun civil israélien n'est innocent, dans la mesure où la société israélienne est une société militaire (hommes et femmes sont astreints au service d'active et de réserve) et où l'occupation et la politique israélienne tuent aveuglément des civils palestiniens.

Le débat entre dirigeants religieux - la "guerre des fatwas", selon certains - est illustré par les critiques sans ménagement du cheik Yusuf al Qardawi, qui est souvent considéré comme l'autorité religieuse la plus éminente et la plus influente par les médias arabes et musulmans, et par les propos du cheik Tantawi, qui a condamné l'attentat suicide responsable de la mort de 26 Israéliens en décembre 2006.

"Comment le directeur d'Al Azhar peut-il incriminer des moudjahiddin qui combattent l'agresseur? Comment peut-il considérer ces mêmes agresseurs comme des civils innocents? (…) Je suis abasourdi de constater que certains cheiks émettent des fatwas qui trahissent les moudjahiddin au lieu de les inviter au sacrifice et au martyre ».

Qardawi a aussi reproché au cheik Mahomet bin 'Abdallah as Sabil, imam de la Grande Mosquée de La Mecque, d'avoir déclaré que tuer des Israéliens n'est pas permis.

"Le Palestinien qui se fait exploser est une personne qui défend sa patrie. En attaquant un ennemi qui est un occupant, il attaque une cible légitime. Rien à voir avec celui qui sort de son pays pour aller frapper une cible en l'absence de toute querelle directe."

A l'opposé, Timothy Winter (cheik Abdel Hakim Mourad), de l'Université de Cambridge, affirme: "Le ciblage de civils, l'emploi aberrant de la violence terroriste est une pratique véritablement nouvelle … Elle n'a pas encore ses lettres de créance parmi les chefs religieux, mais elle a gagné les masses, la rue, surtout dans des lieux sous pression créés de toutes pièces, comme Gaza, les bidonvilles de Bagdad et autres, où malheureusement elle n'est pas sans gloire. C'est là le grand défi que doivent relever les chefs religieux - comment réaffirmer l'orthodoxie devant la lame de fond de la révolte intégriste."

Conclusion: l'islam, comme les autres religions fait bien la différence entre actes de violence légitimes et illégitimes.
 

Publication en partenariat avec CGnews.



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