Le texte reproduit ici constitue l’introduction de l’ouvrage de Ziad Bou Akl, intitulé Une doxographie sunnite du IVe/Xe siècle. Kitāb al-maqālāt d’Abū al-ʿAbbās al-Qalānisī, publié par les éditions Walter de Gruyter dans la collection Scientia Graeco-Arabica. Cette introduction est tirée de la version numérique disponible sous licence Creative Commons (CC BY 4.0).
L'auteur de l'ouvrage, Ziad Bou Akl est membre du groupe « Livres sacrés : canons et hétérodoxies » du Laboratoire d'études sur les monothéismes (LEM-UMR 8584) et Directeur d'études à l'École pratique des hautes études, où il occupe la chaire de philosophie islamique. Ses travaux portent sur les liens entre la philosophie arabe (falsafa), la théologie rationnelle (kalām) et la théorie juridique (uṣūl al-fiqh) pendant la période classique. Il s'intéresse également aux manuscrits philosophiques en arabe.
L'auteur de l'ouvrage, Ziad Bou Akl est membre du groupe « Livres sacrés : canons et hétérodoxies » du Laboratoire d'études sur les monothéismes (LEM-UMR 8584) et Directeur d'études à l'École pratique des hautes études, où il occupe la chaire de philosophie islamique. Ses travaux portent sur les liens entre la philosophie arabe (falsafa), la théologie rationnelle (kalām) et la théorie juridique (uṣūl al-fiqh) pendant la période classique. Il s'intéresse également aux manuscrits philosophiques en arabe.
Introduction
Le IIIe/IXe siècle abbasside connut la naissance et la consolidation d’un kalām sunnite. Ce courant minoritaire et hétéroclite dut se frayer progressivement un chemin entre deux camps qui polarisaient alors le paysage des sciences religieuses : d’une part, le camp des traditionnistes (ahl al-ḥadīṯ, litt. « les gens du hadith »), et d’autre part, celui des savants communément regroupés sous l’appellation de rationalistes, et qui réunit ahl al-raʾy (« gens de l’opinion personnelle ») pour ce qui est du droit et les mutakallimūn (théologiens rationalistes) pour ce qui est de la théologie. On peut reprocher à une polarisation aussi tranchée entre tradition et raison de ne saisir qu’imparfaitement toutes les nuances des différents acteurs et de s’appliquer indifféremment sur les deux disciplines que sont le droit et la théologie. Pour autant, elle rend bien compte de l’un des principaux enjeux épistémologiques et méthodologiques discutés durant ces premiers siècles : le rôle à assigner d’une part aux données transmises depuis l’époque du Prophète et, de l’autre, aux opérations rationnelles, et cela aussi bien pour les décisions juridiques que pour les questions théologiques. Dans les siècles suivants, cette dialectique du ʿaql et du naql, des données rationnelles et des données transmises, deviendra emblématique de toutes les disciplines arabo-islamiques.
Cette opposition trouve historiquement son point de départ dans le droit. Ce n’est que dans un second temps qu’elle s’applique à la théologie. En effet, une histoire générale du premier kalām peut très bien faire l’économie des traditionnistes et de leurs méthodes, la présence de ces derniers dans les doxographies de cette époque étant quasi-nulle. Les théologiens méprisaient ces adversaires incapables de saisir les subtilités de la méthode dialectique. Quant aux traditionnistes, ils ne voyaient dans ces débats de théologiens que des innovations blâmables contraires à leur propre conception du savoir religieux, centré autour de la compilation et de l’étude des traditions prophétiques. Durant l’apogée du muʿtazilisme au IIIe/IXe s., l’idée même d’un kalām issu des milieux traditionnistes pouvait paraître paradoxale et absurde, tant ces deux courants s’opposaient l’un à l’autre.
Le droit, en revanche, combine nécessairement, dans la pratique même des juristes, des éléments issus d’autorités antérieures (personnelles ou impersonnelles, orales ou écrites), et d’autres relevant d’opérations rationnelles. C’est là que l’opposition entre tradition et raison se pose le plus frontalement, et c’est dans ce contexte qu’on assista historiquement à la naissance de ahl al-ḥadīṯ. Il nous faut donc revenir dans un premier temps à l’émergence de la pensée juridique au IIe/VIIIe s. afin de mieux comprendre leur apparition sur la scène théologique au tout début du IIIe/IXe s., puis, enfin, retracer l’émergence du groupe que les hérésiographes désigneront par « théologiens traditionnistes » (mutakallimū ahl al-ḥadīṯ) et auquel appartient l’auteur de notre texte.
L’opposition entre « gens de l’opinion » et « gens de la tradition » et la synthèse qui s’ensuivit constitue le cadre historiographique de la naissance du droit islamique. Il est largement dû à la tradition islamique elle-même et fut imposé en occident par Joseph Schacht [1]. En dépit des critiques et des améliorations qui furent proposées, ce cadre constitue encore un point de départ valide pour la réflexion [2]. Jusqu’au milieu du IIe/VIIIe s., les autorités juridiques des différentes régions de l’empire islamique se fondaient sur des pratiques locales ancrées dans des traditions vivantes qui remontaient aux temps des premières conquêtes. Ces pratiques étaient développées et enrichies par ces autorités juridiques grâce au procédé de raʾy (« opinion »), terme générique qui regroupe un ensemble d’opérations rationnelles comme l’analogie ou le raisonnement a fortiori. Ce procédé est étroitement associé à la figure d’Abū Ḥanīfa (m. 150/767) et de ses disciples irakiens, les « tenants de l’opinion » et il fut à la base de l’essor que connut la réflexion juridique et qui aboutit à la constitution des premières compilations regroupant les cas d’école qui allaient structurer durablement le droit islamique [3].
Au milieu du IIe/VIIIe s. émerge une nouvelle génération de savants qui se met à collecter et à mémoriser les dires du Prophète et des Compagnons. Sillonnant les différentes régions de l’empire en quête de toutes les traces (āṯār) des premiers temps de l’Islam, ils commencent à centraliser et à systématiser ce qui risquait de tomber dans l’oubli. Animés par un sentiment de piété et un désir de retrouver la voie des Anciens, ces savants furent à la base de la constitution des sciences du hadith [4]. Ahl al-ḥadīṯ sont donc, avant tout, des « traditionnistes », c’est-à-dire des philologues qui trient et collectent les dires du Prophète et des Compagnons et sou mettent à un examen critique les chaînes de transmission des témoins qui les ont rapportés. Ce processus complexe culmine à la fin du IIIe/IXe s. avec la constitution des six livres considérés comme canoniques et la création d’un ensemble de disciplines de critique textuelle comme la science des chaînes du hadith et celle de la fiabilité des transmetteurs [5]. En plus de ce trait qui définit leur profession, ahl al- ḥadīṯ adoptent également une posture « traditionaliste » qui accorde au témoignage textuel une importance exclusive dans la gestion de la vie de la communauté [6]. Ces deux aspects sont inséparables l’un de l’autre : la tradition prophétique, maintenue vivante à travers sa mémorisation par les générations successives, était amenée à remplacer l’opinion personnelle des autorités juridiques nécessairement faillible. Dans l’esprit des premiers traditionnistes, le corpus des traditions n’était pas destiné à compléter le raisonnement juridique en fournissant aux juristes un matériau pour leur réflexion mais à s’y substituer complètement. Les deux disciplines de ḥadīṯ et de fiqh s’opposent parce que le corpus des traditions prophétiques est censé apporter une réponse à tous les nouveaux cas juridiques. Une connaissance exhaustive et précise de tous les propos du Prophète et des Compagnons rend donc superflues à leurs yeux toutes les opérations mentales des juristes [7].
À partir de la fin du IIe/VIIIe s., la constitution et la diffusion d’un corpus de traditions prophétiques de plus en plus stable et uni tend à devenir un élément incontournable de la réflexion juridique. Son caractère universel et transrégional lui confère une supériorité sur des pratiques locales et divergentes, et sa nature textuelle, couplée bien sûr à son aura religieuse, lui procure un avantage indéniable. Les juristes s’accommodent de cette nouvelle réalité et commencent à tenir compte du hadith dans leur raisonnement. Avec al-Šāfiʿī (m. 204/820), on assiste à une synthèse qui s’opérera non sans difficulté tout le long du IIIe/IXe s. : le hadith acquiert en tant que source un statut identique à celui du Coran, et l’effort interprétatif ou iǧtihād des juristes est également érigé en principe. L’attitude herméneutique d’un rapport direct avec un texte communiqué par Dieu aux hommes et qu’il faut constamment interpréter date donc de cette époque-là [8].
Cette opposition trouve historiquement son point de départ dans le droit. Ce n’est que dans un second temps qu’elle s’applique à la théologie. En effet, une histoire générale du premier kalām peut très bien faire l’économie des traditionnistes et de leurs méthodes, la présence de ces derniers dans les doxographies de cette époque étant quasi-nulle. Les théologiens méprisaient ces adversaires incapables de saisir les subtilités de la méthode dialectique. Quant aux traditionnistes, ils ne voyaient dans ces débats de théologiens que des innovations blâmables contraires à leur propre conception du savoir religieux, centré autour de la compilation et de l’étude des traditions prophétiques. Durant l’apogée du muʿtazilisme au IIIe/IXe s., l’idée même d’un kalām issu des milieux traditionnistes pouvait paraître paradoxale et absurde, tant ces deux courants s’opposaient l’un à l’autre.
Le droit, en revanche, combine nécessairement, dans la pratique même des juristes, des éléments issus d’autorités antérieures (personnelles ou impersonnelles, orales ou écrites), et d’autres relevant d’opérations rationnelles. C’est là que l’opposition entre tradition et raison se pose le plus frontalement, et c’est dans ce contexte qu’on assista historiquement à la naissance de ahl al-ḥadīṯ. Il nous faut donc revenir dans un premier temps à l’émergence de la pensée juridique au IIe/VIIIe s. afin de mieux comprendre leur apparition sur la scène théologique au tout début du IIIe/IXe s., puis, enfin, retracer l’émergence du groupe que les hérésiographes désigneront par « théologiens traditionnistes » (mutakallimū ahl al-ḥadīṯ) et auquel appartient l’auteur de notre texte.
L’opposition entre « gens de l’opinion » et « gens de la tradition » et la synthèse qui s’ensuivit constitue le cadre historiographique de la naissance du droit islamique. Il est largement dû à la tradition islamique elle-même et fut imposé en occident par Joseph Schacht [1]. En dépit des critiques et des améliorations qui furent proposées, ce cadre constitue encore un point de départ valide pour la réflexion [2]. Jusqu’au milieu du IIe/VIIIe s., les autorités juridiques des différentes régions de l’empire islamique se fondaient sur des pratiques locales ancrées dans des traditions vivantes qui remontaient aux temps des premières conquêtes. Ces pratiques étaient développées et enrichies par ces autorités juridiques grâce au procédé de raʾy (« opinion »), terme générique qui regroupe un ensemble d’opérations rationnelles comme l’analogie ou le raisonnement a fortiori. Ce procédé est étroitement associé à la figure d’Abū Ḥanīfa (m. 150/767) et de ses disciples irakiens, les « tenants de l’opinion » et il fut à la base de l’essor que connut la réflexion juridique et qui aboutit à la constitution des premières compilations regroupant les cas d’école qui allaient structurer durablement le droit islamique [3].
Au milieu du IIe/VIIIe s. émerge une nouvelle génération de savants qui se met à collecter et à mémoriser les dires du Prophète et des Compagnons. Sillonnant les différentes régions de l’empire en quête de toutes les traces (āṯār) des premiers temps de l’Islam, ils commencent à centraliser et à systématiser ce qui risquait de tomber dans l’oubli. Animés par un sentiment de piété et un désir de retrouver la voie des Anciens, ces savants furent à la base de la constitution des sciences du hadith [4]. Ahl al-ḥadīṯ sont donc, avant tout, des « traditionnistes », c’est-à-dire des philologues qui trient et collectent les dires du Prophète et des Compagnons et sou mettent à un examen critique les chaînes de transmission des témoins qui les ont rapportés. Ce processus complexe culmine à la fin du IIIe/IXe s. avec la constitution des six livres considérés comme canoniques et la création d’un ensemble de disciplines de critique textuelle comme la science des chaînes du hadith et celle de la fiabilité des transmetteurs [5]. En plus de ce trait qui définit leur profession, ahl al- ḥadīṯ adoptent également une posture « traditionaliste » qui accorde au témoignage textuel une importance exclusive dans la gestion de la vie de la communauté [6]. Ces deux aspects sont inséparables l’un de l’autre : la tradition prophétique, maintenue vivante à travers sa mémorisation par les générations successives, était amenée à remplacer l’opinion personnelle des autorités juridiques nécessairement faillible. Dans l’esprit des premiers traditionnistes, le corpus des traditions n’était pas destiné à compléter le raisonnement juridique en fournissant aux juristes un matériau pour leur réflexion mais à s’y substituer complètement. Les deux disciplines de ḥadīṯ et de fiqh s’opposent parce que le corpus des traditions prophétiques est censé apporter une réponse à tous les nouveaux cas juridiques. Une connaissance exhaustive et précise de tous les propos du Prophète et des Compagnons rend donc superflues à leurs yeux toutes les opérations mentales des juristes [7].
À partir de la fin du IIe/VIIIe s., la constitution et la diffusion d’un corpus de traditions prophétiques de plus en plus stable et uni tend à devenir un élément incontournable de la réflexion juridique. Son caractère universel et transrégional lui confère une supériorité sur des pratiques locales et divergentes, et sa nature textuelle, couplée bien sûr à son aura religieuse, lui procure un avantage indéniable. Les juristes s’accommodent de cette nouvelle réalité et commencent à tenir compte du hadith dans leur raisonnement. Avec al-Šāfiʿī (m. 204/820), on assiste à une synthèse qui s’opérera non sans difficulté tout le long du IIIe/IXe s. : le hadith acquiert en tant que source un statut identique à celui du Coran, et l’effort interprétatif ou iǧtihād des juristes est également érigé en principe. L’attitude herméneutique d’un rapport direct avec un texte communiqué par Dieu aux hommes et qu’il faut constamment interpréter date donc de cette époque-là [8].
L’opposition de ahl al-ḥadīṯ au raisonnement et la primauté qu’ils accordent aux sources ne se cantonne pas au droit mais concerne également la théologie. Du point de vue des traditionnistes, tous les débats théologiques qui connurent un essor spectaculaire dès les débuts de la civilisation musulmane ne servent qu’à faire proliférer les sectes et les hérésies. Conformément à leurs positions politiques souvent légitimistes, les traditionnistes se définissent depuis toujours par une non appartenance à toutes ces sectes et une condamnation en bloc de toute spéculation théologique [9]. De la part de leurs adversaires théologiens rodés aux joutes dialectiques, ce désintérêt n’était qu’un signe de plus de leur bêtise. Les traditionnistes sont à leurs yeux de grossiers anthropomorphistes (muǧassima), des littéralistes bornés (ḥašwiyya), et des nābita, terme popularisé par le muʿtazilite al-Ǧāḥiẓ (m. 255/868) dans une célèbre épître qui vise les ḥanbalites sur fond de querelle politique entre partisans de ʿAlī et pro-Ommeyades [10]. Pour les grandes questions théoriques du kalām, la récitation de traditions prophétiques ne sert à rien : seule la méthode dialectique dont les théologiens sont passés maîtres et qu’ils commençaient à formaliser dans des traités de méthode permet de répondre aux questions qu’ils avaient largement contribué à définir, que ces questions soient strictement théologiques comme la prédestination ou la théodicée ou plus directement philosophiques, comme la physique ou l’ontologie [11].
Les querelles entre traditionnistes et théologiens commencent à prendre forme à la fin du deuxième et au début du troisième siècle autour de la question controversée du statut ontologique du Coran qui constitue le point de départ de la théologie sunnite. Dans un premier temps, la question a porté sur l’altérité de la parole divine par rapport à Dieu lui-même, et c’est en ce sens que les traditionnistes s’abstenaient de dire du Coran qu’il est créé. Ils ne s’opposaient pas seulement à des théologiens comme Ǧahm b. Ṣafwān (m. 128/745) qui refusait d’admettre que Dieu puisse parler comme les hommes et préférait dire qu’Il « créait une parole », mais aussi à Abū Ḥanīfa qui fondait la thèse de la création ou de l’altérité du Coran par rapport à Dieu sur l’impossibilité juridique de prêter serment sur autre chose que sur Dieu, même si les sources ultérieures hésitent à attribuer une telle position devenue hérétique à une figure du calibre d’Abū Ḥanīfa [12]. En 218/833, le débat évolue suite à l’instauration de la miḥna par le calife abbasside al-Maʾmūn (m. 218/833) à l’instigation de juristes et théologiens proches du pouvoir [13]. Les traditionnistes, d’abord indécis et peu enclins à se mêler de théologie, s’unissent finalement autour de la thèse du caractère incréé (ġayr maḫlūq) du Coran et entrent pour ainsi dire de force sur la scène théologique.
En somme, le IIIe/IXe s. est un champ de bataille entre deux attitudes opposées face aux sciences religieuses et au savoir en général : celle des traditionnistes centrée autour du hadith, de sa compilation et de son analyse critique, et celle des juristes et des théologiens qui formalisent dès cette époque un ensemble de procédés inférentiels pour saisir la réalité du caché à partir du manifeste ou les nouveaux cas à partir de précédents juridiques. Ces deux attitudes face au savoir sont bien illustrées par les deux types d’exercices à visée gymnastique qui caractérisent ces deux milieux. D’une part, les séances de muḏākara (de la racine ḏkr, mémoriser) typiques des traditionnistes et consistant à se réciter les uns aux autres des traditions prophétiques ou des noms de transmetteurs suivant des règles fixées à l’avance, et de l’autre, la célèbre munāẓara (de la racine nẓr, spéculer) ou disputatio qui caractérise à la fois les juristes et les théologiens et les rapprochent aussi bien dans leurs pratiques intellectuelles que dans leurs méthodologies [14]. Pour mieux comprendre le rapport qu’entretiennent les traditionnistes avec le savoir religieux, il faut se rappeler que ce n’est qu’à la fin du IIIe/IXe s. et au début du IVe/Xe s. que les grandes compilations de hadith comme celles de Muslim et d’al-Buḫārī voient le jour, et qu’avant de devenir canoniques, elles se sont heurtées à de très grandes résistances de la part de traditionnistes fermement opposés à l’idée d’isoler des traditions considérées comme authentiques et de les consigner une fois pour toutes, craignant qu’elles ne mettent en péril, en la rendant obsolète, toute l’entreprise de critique textuelle permanente qu’ils maintenaient vivante, réversible et critiquable [15].
La figure la plus marquante de ce camp est le célèbre traditionniste Aḥmad Ibn Ḥanbal (m. 241/855), et bien qu’il ne soit pas directement question de lui dans cette étude, son attitude intransigeante vis-à-vis du droit et de la théologie mérite d’être présentée parce qu’elle constitue une sorte de boussole ou, du moins, un pôle extrême avec lequel tous les traditionnistes devaient composer. L’aura et le charisme d’Ibn Ḥanbal, dus à sa très grande piété ainsi qu’à son immense culture en traditions prophétiques, furent renforcées aux yeux des traditionnistes et du peuple de Bagdad par la miḥna dont il sortit vainqueur en refusant d’admettre face à ses questionneurs le caractère créé du Coran [16].
S’agissant du droit, Ibn Ḥanbal refuse de faire école et exprime des réticences à voir ses opinions juridiques consignées et collectées : seuls les propos du Prophète et des Compagnons méritent de faire autorité. Son attitude vis-à-vis d’al-Šāfiʿī, qui fut son maître en droit, évolue vers plus d’hostilité à l’issue de la miḥna [17], et ce n’est que vers la fin du IIIe/IXe s. que les ḥanbalites commencèrent à nouveau à attribuer rétrospectivement à Ibn Ḥanbal des propos élogieux à l’égard d’al-Šāfiʿī. Le raisonnement juridique d’Ibn Ḥanbal consiste à évaluer et comparer les sources censées parler d’elles-mêmes sans recourir à une quelconque autorité humaine nécessaire ment faillible [18]. Mais il connut le destin des grandes figures de cette époque et, au IVe/Xe s., une école juridique ḥanbalite vit le jour aux côtés des trois autres. Ce destin paradoxal mérite d’être signalé tant il caractérise les traditionnistes et détermine au sein du champ intellectuel leur stratégie, guidée à la fois par une volonté naturelle de s’imposer en supplantant les autres groupes et un désir de s’effacer derrière la voie des Anciens. Comme nous le verrons en conclusion de notre étude, cette même tension traverse la stratégie hérésiographique d’al-Ašʿarī.
En théologie, l’opposition d’Ibn Ḥanbal à tout raisonnement est plus catégorique, parce qu’il ne s’agit pas seulement de rejeter une méthode rationnelle au profit de textes qui parlent d’eux-mêmes comme c’est le cas pour le droit, mais de contester l’idée même d’une quête théorique inutile et dangereuse qui ne sert qu’à faire multiplier les sectes et les hérésies. Cela se manifeste le plus clairement par une condamnation non pas des adversaires ǧahmites et muʿtazilites instigateurs de la miḥna (car cela va de soi), mais des traditionnistes issus du propre camp d’Ibn Ḥanbal et qui se sont mis à pratiquer le kalām afin de faire triompher la thèse de l’incréation du Coran. Cette condamnation ne passe pas par une série d’arguments consignés dans des traités de théologie, mais, en cohérence avec le refus ḥanbalite de s’engager dans une quelconque disputatio, par un ensemble d’actions hostiles et violentes.
Dans un article dédié à ces théologiens issus des rangs des traditionnistes, Christopher Melchert rapporte les anecdotes illustrant l’attitude d’Ibn Ḥanbal et des ḥanbalites à leur égard. Al-Karābīsī (248/862 ou en 245/859), chef de file des lafẓiyya, grand disciple bagdadien d’al-Šāfiʿī, est accusé d’hérésie pour avoir intro duit l’idée d’une prononciation créée du Coran. Dāwūd al-Iṣfahānī al-Ẓāhirī (m. 270/884), pour avoir distingué entre incréation et adventicité du Coran, n’est pas reçu par Ibn Ḥanbal lors de son séjour à Bagdad. Les funérailles d’al-Muḥāsibī (m. 243/857) sont boycottées par les ḥanbalites et le peuple de Bagdad. De même, al Buḫārī (m. 256/870), auteur de l’un des recueils canoniques de hadith, est chassé de Nichapour pour avoir professé des idées proches d’al-Karābīsī. Le célèbre al-Ṭabarī (m. 310/923) est enfermé chez lui par des ḥanbalites [19]. De même, lorsque plus tard, al-Ašʿarī se rend chez al-Barbahārī (m. 329/941) en espérant être accueilli triomphalement par les ḥanbalites de Bagdad comme le grand défenseur de la sunna, ce dernier refuse de l’accueillir [20]. Une citation qu’al-Barbahārī attribue au Successeur (tābiʿ) Muḥ. b. Sīrīn résume bien cette attitude ḥanbalite : « Je crains qu’en connaissant [ces débats] il en reste une trace en moi [21]. » À l’époque classique, cette con damnation du kalām deviendra la marque distinctive du ḥanbalisme dans sa lutte contre l’ašʿarisme, lequel plaçait par conséquent l’obligation d’une investigation rationnelle au cœur de sa propre vision de l’orthodoxie [22].
Christopher Melchert a montré que ces « semi-rationalistes » étaient tous plus ou moins issus des rangs du šāfiʿisme, situé doctrinalement et méthodologiquement entre le ḥanbalisme et les « gens de l’opinion » ḥanafites [23]. Al-Šāfiʿī, dont les propres positions restent insaisissables pour les historiens, a attiré autour de lui des gens venus de tous les horizons, dont des juristes qui s’intéressent au kalām. À partir du milieu du IIIe/IXe s., un certain nombre de ces théologiens commencent à se définir comme kullābites et à revendiquer l’héritage théologique d’Ibn Kullāb.
Abū Muḥammad ʿAbdallah b. Saʿīd Ibn Kullāb (m. 251/855) était en effet la figure la plus importante de ce mouvement. Il était contemporain d’Ibn Ḥanbal, même si ce dernier ne semble jamais l’avoir critiqué personnellement. D’ailleurs, on ne connaît pas grand-chose de sa vie, ce qui signifie que sa notoriété est posthume et qu’elle est due en grande partie à ses disciples. Son intégration dans une histoire du kalām sunnite commence avec al-Ašʿarī, qui lui consacre trois longs passages de sa doxographie, et continue avec les historiographes ašʿarites ultérieurs comme ʿAbd al-Qāhir al-Baġdādī (m. 429/1037), qui retrace les débuts de la théologie sunnite dans un texte que nous examinerons plus loin, puis avec al-Šahrastānī (m. 548/1153), pour qui Ibn Kullāb, al-Qalānisī et al-Muḥāsibī préparent le terrain à l’ašʿarisme et s’opposent déjà à la théologie muʿtazilite, en affirmant notamment la réalité des attributs divins24. Dans une toute autre perspective, Ibn Taymiyya (m. 728/1328) évoquera quelques siècles plus tard la pensée d’Ibn Kullāb et de ses disciples pour mieux réhabiliter celle d’Ibn Ḥanbal. Historiquement, le kullābisme survécut deux générations après al-Ašʿarī avant d’être complètement absorbé par l’ašʿarisme. Ainsi, ʿAbd al-Ǧabbār (m. 415/1025) discute encore plus souvent des thèses d’Ibn Kullāb que de celles d’al-Ašʿarī et considère parfois les deux courants comme identiques l’un à l’autre.
Dans sa monographie sur les attributs divins chez al-Ašʿarī parue en 1965, Michel Allard fait d’Ibn Kullāb, d’al-Muḥāsibī et d’al-Qalānisī (suivant en cela al Šahrastānī), les trois précurseurs sunnites d’al-Ašʿarī [25]. L’année suivante, Josef van Ess reconstruit la biographie et le système théologique d’Ibn Kullāb dans un article qui fait encore référence, et qu’il complète dans une section de sa Theologie und Gesellschaft consacrée aux théologiens sunnites de cette époque et incluant, en plus de notre théologien, des notices sur al-Muḥāsibī, Dāwūd al-Iṣfahānī, al-Karābīsī et al-Buḫārī [26]. Dans son article, Josef van Ess situe la pensée d’Ibn Kullāb dans le cadre des débats théologiques de l’époque et dans une histoire générale du kalām. Il montre l’influence de l’imamite Hišām b. al-Ḥakam, actif vers la fin du IIe/VIIIe s., sur deux points importants de sa doctrine des attributs : la spécificité de l’attribut « éternité », qui ne peut s’appliquer à d’autres attributs, et le rapport des attributs divins à Dieu, qu’Ibn Kullāb définit comme « ni identiques à Dieu ni autres que Lui ». Cette dernière formule doit également à Abū al-Huḏayl al-ʿAllāf (m. 227/841 (?)), son contemporain, qui l’appliquait quant à lui aux attributs entre eux. C’est également dans le sillage de la dissociation faite par Abū al-Huḏayl entre la parole de Dieu et ses différentes occurrences qu’Ibn Kullāb introduit sa célèbre distinction entre la parole divine, intention ou signification (maʿnā) unique et éternelle résidant en Dieu, et ses différentes traces (rasm) et expressions (ʿibārāt) lesquelles sont créées. Ainsi, la multiplicité des langues de la révélation (arabe, hébraïque…) et des actes de langage qu’on y trouve (ordre, information…) ne portent pas atteinte à l’unité de cette parole, qui se situe éternellement en Dieu au-delà de toutes ces manifestations. Ibn Kullāb eut également des débats avec ʿAbbād b. Sulaymān (m. fin IIIe/IXe s.), à qui il doit une partie de sa théorie de la localisation de Dieu, qui se démarque de celle des autres sunnites de la même époque en évitant subtilement tout anthropomorphisme. Signalons enfin que sa théorie de l’action s’inscrit dans la continuité de celle d’al-Naǧǧār (m. 220/835), dont le déterminisme annonce les théories sunnites ultérieures.
Nous aurons l’occasion au cours de cette étude d’examiner de plus près certains aspects de la pensée d’Ibn Kullāb. En effet, les positions de ce théologien et de ses disciples sont amplement abordées dans nos fragments, dont l’auteur n’est autre qu’Abū al-ʿAbbās al-Qalānisī, le dernier représentant de cette première école de théologiens sunnites.
Extrait de : Ziad Bou Akl. Une doxographie sunnite du IVe/Xe siècle. Walter de Gruyter, 33, 2021, Scientia Graeco-Arabica, 978-3-11-073742-4. 10.1515/9783110732740. hal-03094515
Les querelles entre traditionnistes et théologiens commencent à prendre forme à la fin du deuxième et au début du troisième siècle autour de la question controversée du statut ontologique du Coran qui constitue le point de départ de la théologie sunnite. Dans un premier temps, la question a porté sur l’altérité de la parole divine par rapport à Dieu lui-même, et c’est en ce sens que les traditionnistes s’abstenaient de dire du Coran qu’il est créé. Ils ne s’opposaient pas seulement à des théologiens comme Ǧahm b. Ṣafwān (m. 128/745) qui refusait d’admettre que Dieu puisse parler comme les hommes et préférait dire qu’Il « créait une parole », mais aussi à Abū Ḥanīfa qui fondait la thèse de la création ou de l’altérité du Coran par rapport à Dieu sur l’impossibilité juridique de prêter serment sur autre chose que sur Dieu, même si les sources ultérieures hésitent à attribuer une telle position devenue hérétique à une figure du calibre d’Abū Ḥanīfa [12]. En 218/833, le débat évolue suite à l’instauration de la miḥna par le calife abbasside al-Maʾmūn (m. 218/833) à l’instigation de juristes et théologiens proches du pouvoir [13]. Les traditionnistes, d’abord indécis et peu enclins à se mêler de théologie, s’unissent finalement autour de la thèse du caractère incréé (ġayr maḫlūq) du Coran et entrent pour ainsi dire de force sur la scène théologique.
En somme, le IIIe/IXe s. est un champ de bataille entre deux attitudes opposées face aux sciences religieuses et au savoir en général : celle des traditionnistes centrée autour du hadith, de sa compilation et de son analyse critique, et celle des juristes et des théologiens qui formalisent dès cette époque un ensemble de procédés inférentiels pour saisir la réalité du caché à partir du manifeste ou les nouveaux cas à partir de précédents juridiques. Ces deux attitudes face au savoir sont bien illustrées par les deux types d’exercices à visée gymnastique qui caractérisent ces deux milieux. D’une part, les séances de muḏākara (de la racine ḏkr, mémoriser) typiques des traditionnistes et consistant à se réciter les uns aux autres des traditions prophétiques ou des noms de transmetteurs suivant des règles fixées à l’avance, et de l’autre, la célèbre munāẓara (de la racine nẓr, spéculer) ou disputatio qui caractérise à la fois les juristes et les théologiens et les rapprochent aussi bien dans leurs pratiques intellectuelles que dans leurs méthodologies [14]. Pour mieux comprendre le rapport qu’entretiennent les traditionnistes avec le savoir religieux, il faut se rappeler que ce n’est qu’à la fin du IIIe/IXe s. et au début du IVe/Xe s. que les grandes compilations de hadith comme celles de Muslim et d’al-Buḫārī voient le jour, et qu’avant de devenir canoniques, elles se sont heurtées à de très grandes résistances de la part de traditionnistes fermement opposés à l’idée d’isoler des traditions considérées comme authentiques et de les consigner une fois pour toutes, craignant qu’elles ne mettent en péril, en la rendant obsolète, toute l’entreprise de critique textuelle permanente qu’ils maintenaient vivante, réversible et critiquable [15].
La figure la plus marquante de ce camp est le célèbre traditionniste Aḥmad Ibn Ḥanbal (m. 241/855), et bien qu’il ne soit pas directement question de lui dans cette étude, son attitude intransigeante vis-à-vis du droit et de la théologie mérite d’être présentée parce qu’elle constitue une sorte de boussole ou, du moins, un pôle extrême avec lequel tous les traditionnistes devaient composer. L’aura et le charisme d’Ibn Ḥanbal, dus à sa très grande piété ainsi qu’à son immense culture en traditions prophétiques, furent renforcées aux yeux des traditionnistes et du peuple de Bagdad par la miḥna dont il sortit vainqueur en refusant d’admettre face à ses questionneurs le caractère créé du Coran [16].
S’agissant du droit, Ibn Ḥanbal refuse de faire école et exprime des réticences à voir ses opinions juridiques consignées et collectées : seuls les propos du Prophète et des Compagnons méritent de faire autorité. Son attitude vis-à-vis d’al-Šāfiʿī, qui fut son maître en droit, évolue vers plus d’hostilité à l’issue de la miḥna [17], et ce n’est que vers la fin du IIIe/IXe s. que les ḥanbalites commencèrent à nouveau à attribuer rétrospectivement à Ibn Ḥanbal des propos élogieux à l’égard d’al-Šāfiʿī. Le raisonnement juridique d’Ibn Ḥanbal consiste à évaluer et comparer les sources censées parler d’elles-mêmes sans recourir à une quelconque autorité humaine nécessaire ment faillible [18]. Mais il connut le destin des grandes figures de cette époque et, au IVe/Xe s., une école juridique ḥanbalite vit le jour aux côtés des trois autres. Ce destin paradoxal mérite d’être signalé tant il caractérise les traditionnistes et détermine au sein du champ intellectuel leur stratégie, guidée à la fois par une volonté naturelle de s’imposer en supplantant les autres groupes et un désir de s’effacer derrière la voie des Anciens. Comme nous le verrons en conclusion de notre étude, cette même tension traverse la stratégie hérésiographique d’al-Ašʿarī.
En théologie, l’opposition d’Ibn Ḥanbal à tout raisonnement est plus catégorique, parce qu’il ne s’agit pas seulement de rejeter une méthode rationnelle au profit de textes qui parlent d’eux-mêmes comme c’est le cas pour le droit, mais de contester l’idée même d’une quête théorique inutile et dangereuse qui ne sert qu’à faire multiplier les sectes et les hérésies. Cela se manifeste le plus clairement par une condamnation non pas des adversaires ǧahmites et muʿtazilites instigateurs de la miḥna (car cela va de soi), mais des traditionnistes issus du propre camp d’Ibn Ḥanbal et qui se sont mis à pratiquer le kalām afin de faire triompher la thèse de l’incréation du Coran. Cette condamnation ne passe pas par une série d’arguments consignés dans des traités de théologie, mais, en cohérence avec le refus ḥanbalite de s’engager dans une quelconque disputatio, par un ensemble d’actions hostiles et violentes.
Dans un article dédié à ces théologiens issus des rangs des traditionnistes, Christopher Melchert rapporte les anecdotes illustrant l’attitude d’Ibn Ḥanbal et des ḥanbalites à leur égard. Al-Karābīsī (248/862 ou en 245/859), chef de file des lafẓiyya, grand disciple bagdadien d’al-Šāfiʿī, est accusé d’hérésie pour avoir intro duit l’idée d’une prononciation créée du Coran. Dāwūd al-Iṣfahānī al-Ẓāhirī (m. 270/884), pour avoir distingué entre incréation et adventicité du Coran, n’est pas reçu par Ibn Ḥanbal lors de son séjour à Bagdad. Les funérailles d’al-Muḥāsibī (m. 243/857) sont boycottées par les ḥanbalites et le peuple de Bagdad. De même, al Buḫārī (m. 256/870), auteur de l’un des recueils canoniques de hadith, est chassé de Nichapour pour avoir professé des idées proches d’al-Karābīsī. Le célèbre al-Ṭabarī (m. 310/923) est enfermé chez lui par des ḥanbalites [19]. De même, lorsque plus tard, al-Ašʿarī se rend chez al-Barbahārī (m. 329/941) en espérant être accueilli triomphalement par les ḥanbalites de Bagdad comme le grand défenseur de la sunna, ce dernier refuse de l’accueillir [20]. Une citation qu’al-Barbahārī attribue au Successeur (tābiʿ) Muḥ. b. Sīrīn résume bien cette attitude ḥanbalite : « Je crains qu’en connaissant [ces débats] il en reste une trace en moi [21]. » À l’époque classique, cette con damnation du kalām deviendra la marque distinctive du ḥanbalisme dans sa lutte contre l’ašʿarisme, lequel plaçait par conséquent l’obligation d’une investigation rationnelle au cœur de sa propre vision de l’orthodoxie [22].
Christopher Melchert a montré que ces « semi-rationalistes » étaient tous plus ou moins issus des rangs du šāfiʿisme, situé doctrinalement et méthodologiquement entre le ḥanbalisme et les « gens de l’opinion » ḥanafites [23]. Al-Šāfiʿī, dont les propres positions restent insaisissables pour les historiens, a attiré autour de lui des gens venus de tous les horizons, dont des juristes qui s’intéressent au kalām. À partir du milieu du IIIe/IXe s., un certain nombre de ces théologiens commencent à se définir comme kullābites et à revendiquer l’héritage théologique d’Ibn Kullāb.
Abū Muḥammad ʿAbdallah b. Saʿīd Ibn Kullāb (m. 251/855) était en effet la figure la plus importante de ce mouvement. Il était contemporain d’Ibn Ḥanbal, même si ce dernier ne semble jamais l’avoir critiqué personnellement. D’ailleurs, on ne connaît pas grand-chose de sa vie, ce qui signifie que sa notoriété est posthume et qu’elle est due en grande partie à ses disciples. Son intégration dans une histoire du kalām sunnite commence avec al-Ašʿarī, qui lui consacre trois longs passages de sa doxographie, et continue avec les historiographes ašʿarites ultérieurs comme ʿAbd al-Qāhir al-Baġdādī (m. 429/1037), qui retrace les débuts de la théologie sunnite dans un texte que nous examinerons plus loin, puis avec al-Šahrastānī (m. 548/1153), pour qui Ibn Kullāb, al-Qalānisī et al-Muḥāsibī préparent le terrain à l’ašʿarisme et s’opposent déjà à la théologie muʿtazilite, en affirmant notamment la réalité des attributs divins24. Dans une toute autre perspective, Ibn Taymiyya (m. 728/1328) évoquera quelques siècles plus tard la pensée d’Ibn Kullāb et de ses disciples pour mieux réhabiliter celle d’Ibn Ḥanbal. Historiquement, le kullābisme survécut deux générations après al-Ašʿarī avant d’être complètement absorbé par l’ašʿarisme. Ainsi, ʿAbd al-Ǧabbār (m. 415/1025) discute encore plus souvent des thèses d’Ibn Kullāb que de celles d’al-Ašʿarī et considère parfois les deux courants comme identiques l’un à l’autre.
Dans sa monographie sur les attributs divins chez al-Ašʿarī parue en 1965, Michel Allard fait d’Ibn Kullāb, d’al-Muḥāsibī et d’al-Qalānisī (suivant en cela al Šahrastānī), les trois précurseurs sunnites d’al-Ašʿarī [25]. L’année suivante, Josef van Ess reconstruit la biographie et le système théologique d’Ibn Kullāb dans un article qui fait encore référence, et qu’il complète dans une section de sa Theologie und Gesellschaft consacrée aux théologiens sunnites de cette époque et incluant, en plus de notre théologien, des notices sur al-Muḥāsibī, Dāwūd al-Iṣfahānī, al-Karābīsī et al-Buḫārī [26]. Dans son article, Josef van Ess situe la pensée d’Ibn Kullāb dans le cadre des débats théologiques de l’époque et dans une histoire générale du kalām. Il montre l’influence de l’imamite Hišām b. al-Ḥakam, actif vers la fin du IIe/VIIIe s., sur deux points importants de sa doctrine des attributs : la spécificité de l’attribut « éternité », qui ne peut s’appliquer à d’autres attributs, et le rapport des attributs divins à Dieu, qu’Ibn Kullāb définit comme « ni identiques à Dieu ni autres que Lui ». Cette dernière formule doit également à Abū al-Huḏayl al-ʿAllāf (m. 227/841 (?)), son contemporain, qui l’appliquait quant à lui aux attributs entre eux. C’est également dans le sillage de la dissociation faite par Abū al-Huḏayl entre la parole de Dieu et ses différentes occurrences qu’Ibn Kullāb introduit sa célèbre distinction entre la parole divine, intention ou signification (maʿnā) unique et éternelle résidant en Dieu, et ses différentes traces (rasm) et expressions (ʿibārāt) lesquelles sont créées. Ainsi, la multiplicité des langues de la révélation (arabe, hébraïque…) et des actes de langage qu’on y trouve (ordre, information…) ne portent pas atteinte à l’unité de cette parole, qui se situe éternellement en Dieu au-delà de toutes ces manifestations. Ibn Kullāb eut également des débats avec ʿAbbād b. Sulaymān (m. fin IIIe/IXe s.), à qui il doit une partie de sa théorie de la localisation de Dieu, qui se démarque de celle des autres sunnites de la même époque en évitant subtilement tout anthropomorphisme. Signalons enfin que sa théorie de l’action s’inscrit dans la continuité de celle d’al-Naǧǧār (m. 220/835), dont le déterminisme annonce les théories sunnites ultérieures.
Nous aurons l’occasion au cours de cette étude d’examiner de plus près certains aspects de la pensée d’Ibn Kullāb. En effet, les positions de ce théologien et de ses disciples sont amplement abordées dans nos fragments, dont l’auteur n’est autre qu’Abū al-ʿAbbās al-Qalānisī, le dernier représentant de cette première école de théologiens sunnites.
Extrait de : Ziad Bou Akl. Une doxographie sunnite du IVe/Xe siècle. Walter de Gruyter, 33, 2021, Scientia Graeco-Arabica, 978-3-11-073742-4. 10.1515/9783110732740. hal-03094515
Références
_____________________
[1] Joseph Schacht, The Origins of Muhammadan Jurisprudence, Oxford, Clarendon Press, 1979.
[2] Les principales critiques de ce modèle émanent de Wael Hallaq. Citons-en deux en lien avec notre propos. D’une part, Hallaq conteste la notion de coutumes régionales anonymes et homogènes qui seraient à la base des « écoles personnelles » que l’on connaît, et attribue dès le départ un rôle fondateur à la réflexion personnelle d’autorités juridiques qui se sont imposés dans les différentes régions. Voir Wael B. Hallaq, « From Regional to Personal Schools of Law? A Reevaluation », Islamic Law and Society, 2001, vol. 8, no 1, p. 1–26. Ensuite, il remet en cause le rôle attribué à al-Šāfiʿī ainsi que l’impact de sa Risāla dans la fondation de la théorie légale dont il situe la réelle émergence à la fin du IIIe/IXe et au début du IVe/Xe s. dans des milieux juridiques qui ont rétrospectivement fait d’al Šāfiʿī le fondateur de cette discipline. Voir Id., « Was al-Shāfiʿī the Master Architect of Islamic Juris prudence? », International Journal of Middle East Studies, 1993, vol. 25, no 4, p. 587–605.
[3] Sur l’importance du raʾy, l’évolution du terme et son usage par les partisans et les opposants de ce procédé, voir Janette Wakin et Aron Zysow, « Raʾy », EI2, 2007, vol. XII [Supplément], p. 706–710.
[4] Pour une mise au point des débats récents sur les débuts de la consignation des traditions prophétiques et la question de leur authenticité, voir G. H. A. Juynboll, Muslim tradition. Studies in chronology, provenance, and authorship of early ḥadīth, Cambridge/Londres/New York, Cambridge University Press, 1983, p. 1–8. Voir aussi Gregor Schoeler, Écrire et transmettre dans les débuts de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 1–14.
[5] Voir à ce sujet les différentes études regroupées dans G.H.A. Juynboll, Muslim tradition, op. cit.
[6] Cette distinction entre traditionnistes et traditionalistes fut introduite par Makdisi pour distinguer les muḥaddiṯūn de profession ou traditionnistes, de ahl al-ḥadīṯ qu’il qualifie de traditionalistes (George Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History I », Studia Islamica, 1962, no 17, p. 37–80). La distinction entre les deux termes n’est pas systématique dans les sources. Le terme ahl al-ḥadīṯ désigne à la fois la profession et l’idéologie qui lui est associée (Richard Frank, « Elements in the Development of the Teaching of al-Ashʿarī », Le Muséon, 1991, vol. 104, p. 142 nt. 3 ; voir aussi les remarques de Christopher Melchert dans « Traditionist-Jurisprudents and the Fra ming of Islamic Law », Islamic Law and Society, 2001, vol. 8, no 3, p. 386). Je préfère pour ma part m’en tenir au terme de « traditionnistes » plus neutre et objectif, y compris dans le syntagme « théologiens traditionnistes » (mutakallimū ahl al-ḥadīṯ) fréquemment utilisé par l’auteur de notre texte.
[7] Christopher Melchert, The Formation of the Sunni Schools of Law, 9th–10th Centuries C.E., Leyde/ New York/Cologne, Brill, 1997, p. 13–18. Pour une comparaison des différents usages du hadith au IIIe/IXe s. dans le raisonnement juridique, voir du même auteur « Traditionist-Jurisprudents and the Framing of Islamic Law »,art. cit., p. 388–393.
[8] Voir à ce sujet Ahmed El Shamsy, The Canonization of Islamic Law. A Social and Intellectual History, New York, Cambridge University Press, 2015. L’auteur tente de réhabiliter, contre les thèses révisionnistes de Wael Hallaq (voir supra) et de Norman Calder, l’importance des écrits de l’Imam et leur influence directe sur un réseau de disciples qui se constituèrent en école dès le IIIe/IXe s.
[9] Pour les premières définitions du terme sunnite, voir G. H. A. Juynboll, « An excursus on the ahl as-sunna in connection with Van Ess, Theologie und Gesellschaft, vol. IV », Der Islam, 1998, vol. 75, no 2, p. 318–330.
[10] Voir Charles Pellat, « Nābita », EI2, 1992, vol. VII, p. 845. Sur les ḥašwiyya, voir Jon Hoover, « Ḥashwiyya », EI THREE, 2016 [en ligne].
[11] Pour une approche conjointe de ces deux aspects dans le premier kalām en lien avec les autres sciences de l’époque, voir Marwan Rashed, « Les débuts de la philosophie moderne (VIIe-IXe siècle) » dans Philippe Büttgen et al. (eds.), Les Grecs, les Arabes et nous: enquête sur l’islamophobie savante, Paris, Fayard, 2009, p. 121–169.
[12] Wilferd Madelung, « The Origins of the Controversy Concerning the Creation of the Koran » dans J.M. Barral (ed.), Orientalia hispánica sive Studia F.M. Pareja octogenario dicata. 1, Arabica-islamica. Pars prior, Leyde, Brill, 1974, p. 504–525.
[13] Les événements de la miḥna sont largement documentés par les sources de l’époque et ont fait l’objet de nombreuses études. En plus de l’étude de Wilferd Madelung (supra) qui retrace l’évolution du débat avant et pendant la miḥna, on pourra consulter l’analyse politique du rapport de forces entre pro-ʿalides et sunnites à la veille de la miḥna dans Dominique Sourdel, « La politique religieuse du calife abbâside al-Ma’mûn », Revue des Etudes Islamiques, 1962, vol. 30, p. 27–48. Enfin, pour une vision d’ensemble et une synthèse des événements et des sources, voir Josef van Ess, Theology and Society in the Second and Third Centuries of the Hijra. A History of Religious Thought in Early Islam, traduit par John O’Kane et Gwendolin Goldbloom, Leyde/Boston, Brill, 2017, vol. III, p. 483–543.
[14] Sur la muḏākara dans les milieux traditionnistes, voir C. Melchert, The Formation of the Sunni Schools of Law, 9th–10th Centuries C.E., op. cit., p. 18–22. Pour une présentation détaillée de différents types de muḏākara et une description de cette pratique telle qu’elle apparaît dans les sources, voir Munir-ud-Din Ahmed, « The Institution of al-Mudhākara », Zeitschrift der Deutschen Morgen ländischen Gesellschaft, 1969, Supp. I, part 2, p. 595–603. Sur la munāẓara, voir Abdessamad Belhaj, Argumentation et dialectique en islam, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.
[15] Jonathan A. C. Brown, The Canonization of al-Bukhārī and Muslim. The Formation and Function of the Sunnī Ḥadīth Canon, Leyde/Boston, Brill, 2007.
[16] Pour une présentation de la vie et de la pensée d’Ibn Ḥanbal, voir Christopher Melchert, Ahmad ibn Hanbal, Oxford, Oneworld, 2006.
[17] A. El Shamsy, The Canonization of Islamic Law, op. cit., p. 196–197.
[18] Pour une illustration de ce raisonnement juridique, voir Susan A. Spectorsky, « Aḥmad Ibn Ḥanbal’s Fiqh », Journal of the American Oriental Society, 1982, vol. 102, p. 461–465.
[19] Christopher Melchert, « The Adversaries of Aḥmad Ibn Ḥanbal », Arabica, 1997, vol. 44, no 2, p. 234–253.
[20] Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’al-Ash’ari et de ses premiers grands disciples, Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1965, p. 207–209.
[21] Abū Yaʿlā, Ṭabaqāt al-ḥanābila, 2 vol., éd. Muḥammad Ḥāmid al-Fiqqī, Le Caire, 1952, vol. II, p. 38–39. Sauf mention contraire, toutes les traductions sont miennes.
[22] Les rivalités entre ḥanbalites et ašʿarites à l’époque classique ont été longuement abordés par George Makdisi. Voir par exemple G. Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History I », art. cit., et George Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History II », Studia Islamica, 1963, no 18, p. 19–39. Voir aussi R. Frank, « Elements in the Development of the Teaching of al-Ashʿarī », art. cit., qui compare les deux systèmes et la relation entre al-Ašʿarī et al Barbahārī.
[23] C. Melchert, « The Adversaries of Aḥmad Ibn Ḥanbal », art. cit., p. 247–248.
[24] Shahrastani, Livre des religions et des sectes, vol. I, traduit par Daniel Gimaret, Peeters/Unesco, 1986, p. 312–313.
[25] M. Allard, Le problème des attributs divins, op. cit., p. 133–146.
[26] Josef van Ess, « Ibn Kullāb et la miḥna », Arabica, traduit par Claude Gilliot, 1990, vol. 37, no 2, p. 173–233 [Josef van Ess, « Ibn Kullāb und die Miḥna », Oriens, 1965–1966, vol. 18–19, p. 92–142]. Voir aussi J. van Ess, Theology and Society, op. cit., vol. IV, p. 203–247.
[1] Joseph Schacht, The Origins of Muhammadan Jurisprudence, Oxford, Clarendon Press, 1979.
[2] Les principales critiques de ce modèle émanent de Wael Hallaq. Citons-en deux en lien avec notre propos. D’une part, Hallaq conteste la notion de coutumes régionales anonymes et homogènes qui seraient à la base des « écoles personnelles » que l’on connaît, et attribue dès le départ un rôle fondateur à la réflexion personnelle d’autorités juridiques qui se sont imposés dans les différentes régions. Voir Wael B. Hallaq, « From Regional to Personal Schools of Law? A Reevaluation », Islamic Law and Society, 2001, vol. 8, no 1, p. 1–26. Ensuite, il remet en cause le rôle attribué à al-Šāfiʿī ainsi que l’impact de sa Risāla dans la fondation de la théorie légale dont il situe la réelle émergence à la fin du IIIe/IXe et au début du IVe/Xe s. dans des milieux juridiques qui ont rétrospectivement fait d’al Šāfiʿī le fondateur de cette discipline. Voir Id., « Was al-Shāfiʿī the Master Architect of Islamic Juris prudence? », International Journal of Middle East Studies, 1993, vol. 25, no 4, p. 587–605.
[3] Sur l’importance du raʾy, l’évolution du terme et son usage par les partisans et les opposants de ce procédé, voir Janette Wakin et Aron Zysow, « Raʾy », EI2, 2007, vol. XII [Supplément], p. 706–710.
[4] Pour une mise au point des débats récents sur les débuts de la consignation des traditions prophétiques et la question de leur authenticité, voir G. H. A. Juynboll, Muslim tradition. Studies in chronology, provenance, and authorship of early ḥadīth, Cambridge/Londres/New York, Cambridge University Press, 1983, p. 1–8. Voir aussi Gregor Schoeler, Écrire et transmettre dans les débuts de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 1–14.
[5] Voir à ce sujet les différentes études regroupées dans G.H.A. Juynboll, Muslim tradition, op. cit.
[6] Cette distinction entre traditionnistes et traditionalistes fut introduite par Makdisi pour distinguer les muḥaddiṯūn de profession ou traditionnistes, de ahl al-ḥadīṯ qu’il qualifie de traditionalistes (George Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History I », Studia Islamica, 1962, no 17, p. 37–80). La distinction entre les deux termes n’est pas systématique dans les sources. Le terme ahl al-ḥadīṯ désigne à la fois la profession et l’idéologie qui lui est associée (Richard Frank, « Elements in the Development of the Teaching of al-Ashʿarī », Le Muséon, 1991, vol. 104, p. 142 nt. 3 ; voir aussi les remarques de Christopher Melchert dans « Traditionist-Jurisprudents and the Fra ming of Islamic Law », Islamic Law and Society, 2001, vol. 8, no 3, p. 386). Je préfère pour ma part m’en tenir au terme de « traditionnistes » plus neutre et objectif, y compris dans le syntagme « théologiens traditionnistes » (mutakallimū ahl al-ḥadīṯ) fréquemment utilisé par l’auteur de notre texte.
[7] Christopher Melchert, The Formation of the Sunni Schools of Law, 9th–10th Centuries C.E., Leyde/ New York/Cologne, Brill, 1997, p. 13–18. Pour une comparaison des différents usages du hadith au IIIe/IXe s. dans le raisonnement juridique, voir du même auteur « Traditionist-Jurisprudents and the Framing of Islamic Law »,art. cit., p. 388–393.
[8] Voir à ce sujet Ahmed El Shamsy, The Canonization of Islamic Law. A Social and Intellectual History, New York, Cambridge University Press, 2015. L’auteur tente de réhabiliter, contre les thèses révisionnistes de Wael Hallaq (voir supra) et de Norman Calder, l’importance des écrits de l’Imam et leur influence directe sur un réseau de disciples qui se constituèrent en école dès le IIIe/IXe s.
[9] Pour les premières définitions du terme sunnite, voir G. H. A. Juynboll, « An excursus on the ahl as-sunna in connection with Van Ess, Theologie und Gesellschaft, vol. IV », Der Islam, 1998, vol. 75, no 2, p. 318–330.
[10] Voir Charles Pellat, « Nābita », EI2, 1992, vol. VII, p. 845. Sur les ḥašwiyya, voir Jon Hoover, « Ḥashwiyya », EI THREE, 2016 [en ligne].
[11] Pour une approche conjointe de ces deux aspects dans le premier kalām en lien avec les autres sciences de l’époque, voir Marwan Rashed, « Les débuts de la philosophie moderne (VIIe-IXe siècle) » dans Philippe Büttgen et al. (eds.), Les Grecs, les Arabes et nous: enquête sur l’islamophobie savante, Paris, Fayard, 2009, p. 121–169.
[12] Wilferd Madelung, « The Origins of the Controversy Concerning the Creation of the Koran » dans J.M. Barral (ed.), Orientalia hispánica sive Studia F.M. Pareja octogenario dicata. 1, Arabica-islamica. Pars prior, Leyde, Brill, 1974, p. 504–525.
[13] Les événements de la miḥna sont largement documentés par les sources de l’époque et ont fait l’objet de nombreuses études. En plus de l’étude de Wilferd Madelung (supra) qui retrace l’évolution du débat avant et pendant la miḥna, on pourra consulter l’analyse politique du rapport de forces entre pro-ʿalides et sunnites à la veille de la miḥna dans Dominique Sourdel, « La politique religieuse du calife abbâside al-Ma’mûn », Revue des Etudes Islamiques, 1962, vol. 30, p. 27–48. Enfin, pour une vision d’ensemble et une synthèse des événements et des sources, voir Josef van Ess, Theology and Society in the Second and Third Centuries of the Hijra. A History of Religious Thought in Early Islam, traduit par John O’Kane et Gwendolin Goldbloom, Leyde/Boston, Brill, 2017, vol. III, p. 483–543.
[14] Sur la muḏākara dans les milieux traditionnistes, voir C. Melchert, The Formation of the Sunni Schools of Law, 9th–10th Centuries C.E., op. cit., p. 18–22. Pour une présentation détaillée de différents types de muḏākara et une description de cette pratique telle qu’elle apparaît dans les sources, voir Munir-ud-Din Ahmed, « The Institution of al-Mudhākara », Zeitschrift der Deutschen Morgen ländischen Gesellschaft, 1969, Supp. I, part 2, p. 595–603. Sur la munāẓara, voir Abdessamad Belhaj, Argumentation et dialectique en islam, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.
[15] Jonathan A. C. Brown, The Canonization of al-Bukhārī and Muslim. The Formation and Function of the Sunnī Ḥadīth Canon, Leyde/Boston, Brill, 2007.
[16] Pour une présentation de la vie et de la pensée d’Ibn Ḥanbal, voir Christopher Melchert, Ahmad ibn Hanbal, Oxford, Oneworld, 2006.
[17] A. El Shamsy, The Canonization of Islamic Law, op. cit., p. 196–197.
[18] Pour une illustration de ce raisonnement juridique, voir Susan A. Spectorsky, « Aḥmad Ibn Ḥanbal’s Fiqh », Journal of the American Oriental Society, 1982, vol. 102, p. 461–465.
[19] Christopher Melchert, « The Adversaries of Aḥmad Ibn Ḥanbal », Arabica, 1997, vol. 44, no 2, p. 234–253.
[20] Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’al-Ash’ari et de ses premiers grands disciples, Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1965, p. 207–209.
[21] Abū Yaʿlā, Ṭabaqāt al-ḥanābila, 2 vol., éd. Muḥammad Ḥāmid al-Fiqqī, Le Caire, 1952, vol. II, p. 38–39. Sauf mention contraire, toutes les traductions sont miennes.
[22] Les rivalités entre ḥanbalites et ašʿarites à l’époque classique ont été longuement abordés par George Makdisi. Voir par exemple G. Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History I », art. cit., et George Makdisi, « Ashʿarī and the Ashʿarites in Islamic Religious History II », Studia Islamica, 1963, no 18, p. 19–39. Voir aussi R. Frank, « Elements in the Development of the Teaching of al-Ashʿarī », art. cit., qui compare les deux systèmes et la relation entre al-Ašʿarī et al Barbahārī.
[23] C. Melchert, « The Adversaries of Aḥmad Ibn Ḥanbal », art. cit., p. 247–248.
[24] Shahrastani, Livre des religions et des sectes, vol. I, traduit par Daniel Gimaret, Peeters/Unesco, 1986, p. 312–313.
[25] M. Allard, Le problème des attributs divins, op. cit., p. 133–146.
[26] Josef van Ess, « Ibn Kullāb et la miḥna », Arabica, traduit par Claude Gilliot, 1990, vol. 37, no 2, p. 173–233 [Josef van Ess, « Ibn Kullāb und die Miḥna », Oriens, 1965–1966, vol. 18–19, p. 92–142]. Voir aussi J. van Ess, Theology and Society, op. cit., vol. IV, p. 203–247.