Vendredi 2 Janvier 2015

(Samuel Laurent) Al-Qaïda en France: Entre exagération et approximation [Libé]

Par Luc MATHIEU, @LucMathieuLibe



La boutique Cultura à la Défense/Les Cahiers de l'Islam ©
L'intérêt de cette enquête, menée par Luc MATHIEU, n'est pas dans le fait qu'il porte sur un personnage médiatique (ce qui n'a pas d'intérêt, et encore moins les attaques ad hominem) mais dans le fait qu'elle montre les mécanismes de fabrication de récits et de construction de fantasmes autour de la question du terrorisme et de l'islamisme radical. Si le discours intégriste est à déconstruire , les récits approximatifs et fictifs, servant à nourrir les peurs sur un sujet comme le terrorisme, doivent aussi être soumis à la rigueur d'une telle opération. Une telle enquête doit être encouragée...

@SamuelLaurent_1
L’autoproclamé «consultant international», habitué des plateaux télé et radio où il assène des vérités alarmistes sur l’Etat islamique et Al-Qaeda, peine à justifier ses approximations.
 


Samuel Laurent n’est ni chercheur, ni diplomate, ni journaliste, ni analyste, ni ancien espion. «Consultant international», comme il se définit lui-même, il était totalement inconnu jusqu’en 2013. Il a depuis écrit trois livres, publiés au Seuil, dont deux à quelques mois d’intervalle cette année : Al-Qaïda en France et l’Etat islamique. Cela lui vaut d’être régulièrement invité dans des émissions de télé et de radio, des matinales de France 2, RTL et RMC aux nocturnes de LCI. Il y parle avec assurance du jihadisme, de l’islamisme, du salafisme, du risque terroriste en France et dans le monde, de la guerre en Syrie et de celle en Irak, des erreurs de la communauté internationale, de l’incompétence des pouvoirs politiques et de l’incurie des services de renseignements.

Samedi 6 décembre, Samuel Laurent était invité sur Canal +. Assis entre la chanteuse Princess Erika et l’humoriste Laurent Baffie, il a asséné ses vérités sur l’Etat islamique (EI), l’organisation jihadiste qui s’est emparée en moins de deux ans d’une large part de l’est de la Syrie et du nord de l’Irak. A l’en croire, 2 000 Français seraient actuellement dans ses rangs, ils recevraient 500 dollars (408 euros environ) en la rejoignant, 1 000 dollars en plus s’ils viennent avec un enfant et, surtout, il serait impossible pour eux de rentrer en France : tous ceux qui veulent partir sont «shootés» (comprendre exécutés par balle).

Exagération. Question, logique, de Thierry Ardisson, animateur de l’émission : «Mais alors, on a tort de s’inquiéter du retour de jihadistes occidentaux dans leur pays ?» Samuel Laurent, d’un coup beaucoup plus hésitant : «Euh non, pas vraiment, en effet, 99% des mecs ne rentreront jamais chez eux, mais Baghdadi [dirigeant de l’EI, ndlr] a une politique très claire : "Vous venez nous bombarder chez nous, on va vous taper chez vous."» D’où vient ce chiffre de 1% de jihadistes qui reviendraient commettre des attentats dans leur pays sur ordre de l’EI ? Et le nombre de Français enrôlés - 2000 - alors que le ministère de l’Intérieur les évalue à moins de 400 en Irak et en Syrie ? Dans l’émission de Canal +, Samuel Laurent n’expliquera jamais comment il est parvenu à ces conclusions. Le problème est que l’on n’en sait pas plus en lisant ses livres. Dans le dernier, publié en novembre, Samuel Laurent affirme d’emblée que l’EI compte 50 000 combattants. Soit près de 20 000 de plus que l’estimation haute de la CIA. Contacté par Libération, l’auteur du Seuil dit qu’il a fait «ses propres calculs» et qu’«au final, les estimations variaient entre 40 000 et 50 000». Pourquoi, dans ce cas, prendre la fourchette haute ?
 

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