Dimanche 20 Juillet 2014

Rencontre avec Mohamed-Ali Adraoui : La pratique du ramadan en France



Mohamed-Ali Adraoui (Photo Itélé)
Cette Rencontre avec Mohamed-Ali Adraoui, clôture la série de nos publications sur la pratique du ramadan en France. Les autres Rencontres sont à retrouver par ici .

Mohamed-Ali Adraouichercheur à l'Institut Universitaire Européen de Florence (European University Institute), coauteur avec Leyla Arslan de L'islam en France pour les  nuls.

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Les Cahiers de l’islam : Comment expliquez-vous l’attachement des musulmans de France, notamment des jeunes générations, à la pratique du ramadan ?

Mohamed-Ali Adraoui : Un certain degré d'attachement à la pratique du jeûne durant le mois de Ramadan, et plus généralement la reconnaissance de la part d'un grand nombre de personnes qu'il s'agit d'une période spécifique de l'année propice à une vie de famille plus resserrée voire à une spiritualité plus éveillée, ne sont pas des phénomènes nouveaux. Il y a toutefois une conscience plus grande de l'importance de respecter cette injonction cultuelle qui est également une norme de vie de nombreuses communautés musulmanes. Aussi, ce à quoi on assiste relève d'une visibilité plus grande de l'attachement à ce mois et non une identification forcément plus intense. Auprès des jeunes générations, c'est le même principe. Par définition, il est très difficile de dire qu'elles sont plus regardantes par rapport à ce pilier de l'islam que par le passé puisque par le passé elles n'étaient pas en âge de pratiquer ou de ne pas pratiquer. On assiste donc à une forme de normalité sociologique puisque l'attachement à ce mois, ainsi qu'au mode de vie spécifique qui lui fait écho, est dans la lignée de leur héritage parental et n'est pas le résultat d'une prise de conscience due à des facteurs extérieurs. 
 
Les Cahiers de l’islam : N’y a-t-il pas là un réinvestissement du religieux comme lieu de mémoire (J.-P Willaime) et d’affirmation d’une identité ?

Mohamed-Ali Adraoui : Il y a davantage, à mon humble avis, une reformulation des principes, normes et pratiques liées à l'islam comme religion à partir de l'inscription dans le terreau français. Le mois de Ramadan est ainsi comparable à ce que l'on peut observer en étudiant la sociologie de l'alimentation dite "halal". On reprend une injonction religieuse (mais qui peut également être plus sociale ou culturelle) et on la redéfinit à partir d'une identité sociologique "française", c'est-à-dire établie à partir des codes de consommation et des modes de comportement majoritaires observables au sein de notre société. En cela, évoquer une "identité musulmane" est problématique parce que cela signifierait faire fi de la dynamique principale qui donne à être observée, à savoir l'atomisation des acteurs et donc des croyants musulmans (ceci est également vrai pour les autres appartenances confessionnelles). Un exemple précis : dans la vie quotidienne durant ce mois (qui n'est d'ailleurs pas une exception), lorsqu'un croyant a une décision à prendre sur la meilleure manière de réaliser son culte, de concilier vie professionnelle et vie familiale ou de se comporter avec autrui, ce qu'il fait est le fruit de son propre jugement et rarement d'une prise en compte d'un avis religieux se voulant autorisé. Il y a donc d'abord individualisation voire atomisation de la pratique. 
 
Les Cahiers de l’islam : Faut-il voir dans l’engouement que provoque le jeûne du mois du ramadan chez les musulmans de France un ‘‘défi au vivre-ensemble ou à la laïcité’’ (pour paraphraser J. Césari  ) ? En quoi le jeûne participe-t-il du vivre-ensemble en France ?Autrement dit, a-t-il un impact sur le plan social ?

Mohamed-Ali Adraoui : Il n'y a pas, selon moi, de défi à quoi que ce soit, sauf circonstances particulières comme lorsque des moniteurs ont il y a quelques années dans une ville de banlieue parisienne été pris à partie parce que la réalisation de leur jeûne pouvait d'après certains nuire à leur capacité de s'occuper des enfants dont ils avaient la charge. Des questions peuvent se poser ça et là, mais c'est le cas pour toute pratique sociale et religieuse, il n'y a pas d'exception. Ce à quoi on assiste, c'est véritablement l'ancrage de cette pratique et de ce moment de l'année pour certains musulmans à la vie de la cité de manière plus générale. A l'école par exemple, si changement mineur il doit y avoir parce que des personnes jeûnent, cela se fait en bonne intelligence à supposer d'ailleurs que beaucoup demandent des changements. Au demeurant, si l'on interroge certains non musulmans comme c'est le cas dans de nombreuses enquêtes, les reproches liés à cette pratique religieuse sont pratiquement inexistants. Ce n'est pas cette partie de la socialisation musulmane qui est mentionnée comme possiblement problématique. C'est même le contraire si on a à l'esprit certains discours sur le port du foulard. Certains acteurs médiatiques se posent des questions comme on l'a vu récemment lors de la Coupe du Monde de football quand certains se sont demandés si certains joueurs de l'Equipe de France comptaient jeûner durant la compétition qui coïncidait, pour partie, avec le mois de Ramadan. Mais là encore, peut-on dire qu'il y a eu débat ou que l'effet curiosité à joué plus qu'autre chose. 
 
Les Cahiers de l’islam : Existe-t-il en Europe une régulation de cette pratique ?
 
Mohamed-Ali Adraoui : Sur le plan juridique, à ma connaissance, il n'y a rien de spécifique à la pratique du jeûne durant ce mois dans les pays européens. La norme est la liberté de conscience et de pratique religieuse. Je ne crois pas que d'aucuns réfléchissent aujourd'hui (sauf cas exceptionnel) à une remise en question des conditions de l'exercice d'une pratique devenue assez largement banale.



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