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Mardi 26 Mars 2013

"Reconstruire la pensée religieuse de l'Islam" de Mohammed Iqbal (2/3)



Mohammed Iqbal
Nous vous proposons la suite de la recension de l'ouvrage de Mohammed Iqbal "Reconstruire la pensée religieuse de l'Islam".  Le lecteur trouvera la permiere partie de la recension ici.

La conception de Dieu et la signification de la prière

Mohammed Iqbal part de la question suivante : L'individualité n'implique t-elle pas le fini ? Dans ce cas si Dieu est un individu, un égo, comment peut-on parler de son caractère infini ? Selon Iqbal, l'infini dans le cas présent ne fait pas référence à l'infinité spatiale. La nature est perçue, d'un point de vue scientifique, non pas comme un ensemble statique mais comme une structure d'évènements liés entre eux. De cette relation mutuelle découlent les concepts de temps et d'espace. Ces deux concepts sont des potentialités de l'Ego ultime et qui sont partiellement réalisées sous une forme mathématique. Au delà de Dieu et de son activité créatrice, Mohammed Iqbal précise qu'il n'est ni temps ni espace pour L'isoler par rapport aux autres égos. L'infinité de Dieu consiste non pas dans l'infinité spatiale mais dans les potentialités infinies de son activité créatrice, cette infinité peut donc prendre de l'extension. Toujours en se référant au texte coranique, Mohammed Iqbal cite les autres éléments de la conception de Dieu : la puissance créatrice, la connaissance, l'omnipotence et l'éternité.
Comme nous l'avons vu précédemment, Mohammed Iqbal a rappelé la vocation supérieure de la religion par rapport à la philosophie, cette quête de sens qui se traduit par l'acte d'adoration ou la prière. La prière islamique est composée de prières individuelles et collectives. Mohammed Iqbal rappelle la dimension sociale de la prière collective, l'association accroît le sentiment de perception de l'homme normal, son émotion est plus intense. L'institution islamique de la prière tend à élargir progressivement la sphère de l'association humaine. La prière incarne, chez le croyant, le désir qu'il éprouve dans son for intérieur de recevoir une réponse dans le terrifiant silence de l'univers.

Mohammed Iqbal ajoute que la direction particulière du culte de l'islam renforce cette cohésion de groupe et que la prière annihile les barrières sociales et ethniques entre les différents croyants. Pour illustrer son propos, il parle de la potentielle et importante révolution culturelle qui s'opérait en Inde si un brahmane appartenant à une caste aristocratique venait à prier aux côtés d'un intouchable.

L'égo humain : sa liberté et son immortalité

Le Coran met en exergue le caractère unique de l'homme. Avec cette conception, l'homme est de ce fait déchargé du pêché des autres et il peut, par le fruit de ses actions, atteindre la félicité divine. L'idée de rédemption est donc contraire au texte coranique. Ce dernier mentionne trois choses :
 
L'homme est l'élu de Dieu [1]
L'homme, en dépit de toutes ses fautes, est destiné à être le vicaire de Dieu sur terre [2]
L'homme reçoit en dépôt une libre personnalité qu'il a accepté à ses risques et périls [3]

Mohammed Iqbal va s'efforcer de dresser, au cours de cette conférence, une comparaison de la vision de l'âme et de l'égo selon différents philosophes ou écoles de pensée. Il rappelle, en premier lieu que, aussi surprenant que cela puisse paraître, la question de l'unité de la conscience humaine qui constitue le centre de la personnalité humaine n'a jamais présenté de grand intérêt pour les penseurs musulmans.
 
Les penseurs musulmans se sont inspiré de la pensée grecque, rappelle Iqbal, et avec l'expansion de l'empire musulman, différentes confessions apportèrent leur visions et leur conception de l'âme : les juifs, les nestoriens, les zoroastriens. Ces derniers, dont la culture a longtemps dominé l'Asie centrale et occidentale, ont une vision de l'âme qui a un caractère dualiste, cette image est aussi présente dans la pensée théologique musulmane. Le Coran mentionne trois formes de connaissance : l'histoire, la nature et l'expérience intérieure. C'est ce dernier point que le soufisme s'est efforcé, nous précise Iqbal, de comprendre seul. Il évoque par la suite des penseurs comme Hallâj (m. 922), Shah Waliullah de Delhi (m. 1722) et surtout Jamal-ud-Din Afghâni (m. 1897) dont Mohammed Iqbal reconnait l'important travail de réforme mais tout en déplorant sa dispersion et lui reprochant de ne pas avoir consacré entièrement son travail à l'islam en tant que système de croyances et de conduites humaines.

Mohammed Iqbal affirme que la seule voie qui s'offre aux musulmans, est d'aborder les connaissances modernes avec une attitude respectueuse et indépendante et dans le même temps à apprécier les enseignements de l'islam à la lumière de ces connaissances. Il évoque par la suite la vision de l'égo selon l'école de théologie musulmane dont Al Ghazali est le principal représentant. Selon cette école, l'égo est une substance spirituelle simple, indivisible et immuable. Cependant l'intérêt de cette école, précise M. Iqbal, n'était pas tant d'ordre psychologique que métaphysique, mais que nous considérions l'entité âme comme explication des faits de notre expérience consciente ou comme base d'immortalité. Mohammed Iqbal cite Kant, Descartes avec lequel il exprime son désaccord sur la vision de l'âme. L'islam reconnaît un fait important de la psychologie humaine, poursuit Iqbal, et notamment concernant le fait de pouvoir agir librement et l'Islam maintient cette liberté comme facteur constant et non diminué de la vie et de l'égo. La prière en Islam redonne à l'égo "la possession de soi"..

La question de l'immortalité, à l'époque moderne, est principalement d'ordre éthique. Mohammed Iqbal cite, notamment, la vision de Kant à ce sujet : c'est une sorte de foi dans l'accomplissement des revendications de la justice, chez l'homme, en tant qu'il aspire à des idéaux infinis, l'immortalité est au delà de la raison spéculative, c'est un postulat de la raison pratique.

Mohammed Iqbal évoque, par la suite, la vision coranique de la destinée de l'homme. Cette dernière est en partie éthique et en partie biologique. Le Coran fait référence à la notion de "Barzakh" qui un état entre la mort et la résurrection. Le Coran semble, ajoute Iqbal, considérer la résurrection comme un phénomène universel de la vie, valable à la fois pour les oiseaux et les animaux (S6, V38). Le Coran stipule trois choses :
 
-L'égo a un commencement dans le temps et ne préexistait pas à son émergence dans l'ordre spatio-temporel.
 
-Suivant la conception coranique, il n'y a pas de possibilité de retour sur terre.
 
-Ce caractère fini ne constitue pas une infortune.
 
Mohammed Iqbal précise que la vie offre à l'égo un champ d'activité et que la mort est une étape de mise à l'épreuve de l'activité synthétique de l'égo. C'est l'acte qui prépare donc l'égo à la dissolution ou qui l'entraîne pour une carrière future. Selon Iqbal, l'immortalité personnelle ne nous appartient pas comme un droit, elle s'obtient par un effort personnel. Il ajoute que l'une des erreurs du matérialisme a été de croire que la conscience finie épuise son objet.


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[1] Sourate 20, V122
[2] Sourate 2, V30
[3] Sourate 33, V72



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