Mustapha Chérif, Professeur des Universités est philosophe et théologien. Il est le lauréat du… En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 21 Juillet 2013

Ramadhan : Le calcul et la vision


Nous republions ici l'article du Pr. Chérif relatif à la question de la détermination du début du Ramadhan par le biais de la science.



 Il est clair que la religion peut être autant source de bonheur que de malheur. Tout dépend de son interprétation et mode d’application. Tout comme les autres dimensions essentielles de l’existence, telle la raison, celle-ci peut être source de progrès ou de barbarie. Pour les matérialistes, la religion est présentée comme seulement ce qui vient interdire et la modernité comme ce qui veut autoriser. Il faut sortir de cette dichotomie. La foi alliée à la raison à travers l’histoire a prouvé qu’elle peut produire de la civilisation. Jeûner durant le mois de Ramadhan, devrait humaniser les comportements. A condition d’en comprendre le sens.

Le premier croissant, hilal, de la lune, astre lumineux le plus proche de la Terre, est le repère qui rythme la vie sur terre. La nuit du doute est une occasion pour observer le ciel et contempler sa beauté, surtout en plein été et dans les pays du Sud.

Foi et science

Le Coran institue le sawm sur la base de la vision: « Quiconque d’entre vous qui verra le mois qu’il jeûne pendant ce mois. » Le Prophète (Qsssl) dans un hadith authentique précise :

                « Jeûnez quand vous le voyez et cessez le jeûne quand vous le voyez.»

Il faut dépasser la polémique au sujet du calcul et de la vision. La science est objective, ont peut s’appuyer sur ses calculs. Il n’y a rien qui s’oppose à la foi. On constate que les nouvelles générations exigent d’avoir un calendrier qui permette de prédire les mois lunaires avec certitude de façon globale. Aujourd’hui, des scientifiques musulmans répondent par l’affirmatif.
Il y a des raisons pratiques avancées, car l’incertitude sur le début du mois peut causer des problèmes pour les entreprises, pour les administrations et les citoyens. La capacité de planifier ses activités à l’avance est indispensable. Un calendrier «instable», ne permet pas d’être utilisé par les sociétés musulmanes comme un instrument de civilisation moderne, en face du calendrier grégorien devenu planétaire. 

De plus, certains aspirent à symboliser l’unité de l’Umma sur la base d’un calendrier commun et fixe, afin de célébrer les temps forts de l’Islam en même temps. Cependant, il ne faut pas confondre uniformisation et cohérence. Il ne suffit pas que le croissant soit visible et de surcroit connu à l’avance en un point de la Terre pour que le début du mois soit décidé dans tous les pays. Le décalage horaire et la position propre à chaque région ne peuvent être occultés. C’est le rapport au lieu de vie de chaque peuple, le lien étroit, à dimension humaine, à la lune et au mouvement des astres qui sont déterminants.
La révélation décrit les phénomènes naturels et cosmiques qui doivent faciliter le rapport à la nature et la connaissance de la marche du temps: « Ils t’interrogent sur les premières lunaisons – dis: ce sont des jalons du temps, à l’usage des hommes, et pour le pèlerinage.» (2:189) Et « C’est Lui qui a fait du soleil un flamboiement, de la lune une lumière, qu’Il en mesure en stations pour vous faire connaître le nombre des ans et le calcul…» (10:5).

Le signe de la lumière

La vision du croissant, ru’yat-al-hilal, n’est pas seulement le moyen de compter le temps. Elle renvoie à un symbole mathal, celui du coeur du croyant qui cherche à s’illuminer de la lumière Divine, et se prépare à revivre la «descente» du Saint Coran, comme s’il était révélé à lui-même. Le signe de la lumière de la Révélation accueillie par le coeur humain, est symbolisé par le croissant lunaire progressif.

Selon les calculs d’astrophysiciens, à qui il faut faire confiance, le croissant de lune à l’oeil nu ne sera pas visible le 10 août. Le constat de la vision permettra de confirmer que le mois de Chaâbane fera peut-être 30 jours. Comme le souligne avec raison l’astrophysicien algérien Nidhal Guessoum: «L’observation du croissant conduit les chercheurs à proposer des solutions de plus en plus compliquées menant tout droit à une impasse. Ces solutions consistent à introduire des technologies et des systèmes d’analyse et de communication, en temps réel complètement démesurés…La solution « Kepler » consiste tout simplement à prendre conscience que l’astronomie d’aujourd’hui est non seulement capable de déterminer la position de la lune à chaque seconde, mais aussi la probabilité de son observation par l’oeil humain dans une région donnée du globe, et cela bien à l’avance.»

Il y a un charme, une dimension du mystère, à allier foi et science, que nul calcul en temps réel ne peut remplacer. La vision confirmative peut se faire à l’œil nu ou par le biais des observatoires. Si elle est confirmée, d’une manière légale, conformément aux recommandations du Prophète, les citoyens doivent suivre les autorités religieuses du pays où ils résident. Les cultures ne sont pas homogènes, il faut accepter la diversité et pratiquer la tolérance. Nulle contrainte en religion. Ramadhan Karim.
Ce mois spirituel est unique, car le jeûne, lié à l’abstinence, est un acte secret qui concerne le rapport personnel intime de l’être humain et son Créateur. Il permet de prendre du recul face à l’éphémère, de faire son examen de conscience et se souvenir que l’être humain est corps et esprit. Ni course effrénée, ni immobilisme, la vie attend de chacun mesure et équilibre. Le Ramadhan est un moment privilégié pour retrouver les conditions de solidarité nécessaires, pour un partage qui transcende la vie de chaque individu en vue du bien de la communauté.
Les dérives sociales et économiques constatées ne peuvent faire oublier le sens profond du mois de Ramadhan, qui est d’apprendre à vivre en fonction de la foi que la vie dernière est meilleure, tout en sachant assumer raisonnablement l’épreuve de l’existence sur terre. Le mouvement, l’équilibre, la mesure sont à la base de la vie créatrice. L’homme doué de raison peut allier calcul scientifique à l’avance et confirmation de la vision à l’œil nu. L’un n’empêche pas l’autre. 



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