Malika HAMIDI est docteure en sociologie de l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS),… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 22 Mars 2014

« Racisme, idéologie post - coloniale … Et les femmes dans tout cela ?»



En Belgique, comme dans d’autres pays d’Europe, nous assistons actuellement à un discours dominant qui semble se normaliser : une partie de la population «  issue de l’immigration » et/ou étrangère, menacerait « l’intégrité culturelle » de la Belgique. Ces derniers adhéreraient à des valeurs passéistes, contraires aux « droits des femmes » puisque les hommes seraient culturellement machistes, sexistes et violents. Quant à « leurs » femmes, elles n’auraient d’autres choix que de se soumettre.
Aussi, il faut reconnaître et dénoncer avec force, que ces pratiques d’un autre âge, souvent justifiées au nom d’une certaine lecture de l’Islam ou de traditions culturelles, ne sont pas uniquement l’apanage des communautés issues de l’immigration. Il s’agit d’un problème de société qui traverse les classes sociales.
Aujourd’hui, les débats politiques font régulièrement références à ces traits spécifiques de leur culture pour justifier telle loi ou mesures disciplinaires, et cette approche de la question des femmes « issues de l’immigration » et/ou musulmanes produit inévitablement une certaine forme d’incompréhension et dessert la cause de ces femmes, alors que la société belge doit leur garantir une citoyenneté égalitaire et une reconnaissance totale.

F.Florin / AFP
Cet article est publié avec l'aimable autorisation de l'auteure.

(Il a été rédigé dans le prolongement d’une conférence organisée par l’association Femmes Musulmanes de Belgique, dont l’auteure est membre fondatrice. La conférence a eu lieu en mars 2007 à Bruxelles dans le cadre de la « Semaine d’Action Contre le Racisme ». Il a été publié dans le journal Mrax Info)
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« Le sexisme de l’Autre »

Dans l’imaginaire collectif, l’homme arabo musulman ferait preuve d’un sexisme spécifique, propre à sa culture au point de parler d’un « sexisme extraordinaire » aux étrangers (C.Delphy, féministe et intellectuelle française, 2006), et qui serait différent de celui de l’homme occidental, belge « de souche ». Cet enfermement de l’homme d’origine étrangère dans cette différence relève du racisme, et au-delà, en attribuant ce sexisme à une culture particulière, ce processus rend invisible les rapports sociaux de sexe inégalitaires dans la société belge à travers ses citoyens et ses institutions (les violences domestiques, les inégalités de salaire entre femmes et hommes…). Nous aurions un sexisme ordinaire socialement « accepté » et un sexisme « extraordinaire » et culturel de l’Autre.
Or cette égalité des sexes, valeur essentielle du modèle occidental pour laquelle nous luttons, est aujourd’hui instrumentalisée à des fins racistes et sexistes. Les groupes « racisés » seraient  plus sexistes que les autres.
 
Ainsi, tout le combat, les politiques et les discours menés au nom des « droits des femmes » peuvent favoriser voir « légitimer » un sentiment raciste car il stigmatise les femmes « issues  de l’immigration ». Mais nous parlerons ici d’un racisme dit subtil (Devine, 1984), moderne (Wieviorka, 1998) et respectable (Bouamama 2004) qui évoque les différences culturelles voir cultuelles pour « légitimer » un traitement spécifique et qui produit inévitablement des discriminations. Il s’agit bien d’une forme de racisme qui enferme les « dominé-e-s » dans leurs différences par rapport au dominant.
 
Aussi, des personnes qui se battent dans des mouvements antiracistes peuvent être porteurs de ce « racisme différentialiste » sans même s’en rendre compte car le sentiment de supériorité voir l’idée de penser que la culture peut être un obstacle à l’émancipation et l’intégration de ces femmes, relève bien de cette forme de racisme. Cette approche fausse toute tentative de lutte pour leur libération et leur reconnaissance dans la société actuelle.


La femme « issue de l’immigration » et/ou musulmane, entre fantasmes et stéréotypes

L’Autre, et en l’occurrence la femme immigrée et/ou musulmane, est donc construite comme « différente ».  Nous sommes face à un « elles » et « nous » symbolique, terreau du racisme mais surtout à un rapport de pouvoir qui placerait la femme « blanche » dans un rapport de domination avec les femmes « racisées » (Laetitia Dechaufour, 2007), il s’agit bien là d’un rapport de pouvoir entre les femmes elles-mêmes. La femme « arabe/immigrée » est instrumentalisée afin de conforter une opposition entre un Occident moderne, éclairé contre un Orient barbare et obscurantiste.
 
Prenons à titre d’exemple les débats autour du foulard islamique qui ont agité la classe politique mais aussi les mouvements féministes en France et en Belgique : afin de lutter contre le symbole par excellence de l’oppression de la femme, en France, une loi a été votée, et en Belgique, le chef d’établissement peut l’interdire à travers le règlement d’Ordre Intérieur. Or ceux qui justement prétendent se battre pour l’émancipation des femmes, soutiennent et cautionnent une loi et un règlement qui justement renvoient ces écolières vers un espace domestique jugé oppressant par ces mêmes mouvements … Une certaine frange des mouvements féministe auraient dû privilégier la cause pour la libération et la lutte contre toutes les formes de domination et non pas le « symbole ».
Dans cette perspective, il convient de préciser que le « voilement » ou le « dévoilement » des femmes ne date pas d’aujourd’hui et a une histoire. À l’époque coloniale déjà, en Algérie, où ces dernières étaient prises en otage au cœur des luttes colonialistes et nationalistes : elles étaient les « gardiennes de la nation » aux yeux des colonisés comme des colonisateurs. Le droit de voiler ou de dévoiler est donc un droit et un privilège que s’arrogeaient les hommes dominants et dominés.
Aussi, tout comme il est essentiel de dénoncer le rapport de domination des hommes sur les femmes, il faut reconnaître qu’il existe un rapport de domination des femmes « blanches » sur les femmes « racisées » (L. Duchaufour) .
 
Il y a urgence aujourd’hui à complexifier notre compréhension des enjeux qui entourent la lutte pour une reconnaissance totale et effective des femmes « issues de l’immigration », et pour aller vers des politiques sociales et économiques qui favorisent l’autonomie de ces femmes.
 
Mais encore faut-il penser et analyser l’imbrication des rapports de domination…Les mouvements féministes doivent se questionner puisqu’elles se battent contre tout système de domination, quel qu’il soit, mais surtout pour tenter d’inscrire à l’agenda politique les revendications de femmes victimes d’une exclusion politique, sociale et économique.


Et si on repensait le féminisme ?

C’est dans un état d’esprit véritablement féministe que nous devons questionner la société belge qui continue de produire des citoyennes de seconde en zone.
Tout comme Bell Hooks, intellectuelle et féministe afro-américaine des années 70, dénonçait le féminisme américain comme un féminisme de genre très classe moyenne, vraiment « blanc » et qui ne s’intéresse pas aux questions socio – économiques ou d’oppression, nous devons dénoncer et dire que la lutte réelle n’est pas seulement une lutte contre le patriarcat. Il est nécessaire de produire une analyse critique qui établit des corrélations entre « race », genre et classe, principales responsables des dominations économiques et politiques dont sont victimes les femmes « issues de l’immigration ».
Ainsi, la critique adressée aux mouvements féministes et à la société civile, est qu’il ne prend pas suffisamment en considération les discriminations spécifiques que vivent les femmes « issues de l’immigration », discriminations tout à la fois sexistes, racistes et sur base de l’appartenance sociale (de classe). Aussi, le fait de déposséder les femmes issues de l’immigration de leurs luttes, de leur confisquer la parole est perçu comme une « violence » symbolique. Nombre de femmes aujourd’hui, notamment les femmes belges de confession musulmanes dénoncent l’instrumentalisation de l’égalité entre les sexes à des fins racistes car ce débat est devenue une stratégie de stigmatisation des femmes « issues de l’immigration » par certains acteurs et actrices de la société civile en attribuant à leur « culture » et la religion musulmane les violences que subissent les femmes. Aujourd’hui, certains mouvements de femmes légitiment leur « mission civilisatrice » à l’endroit de la femme belge de confession musulmane et/ou « issue de l’immigration » en surfant sur l’émotivité des consciences collectives afin de nourrir le sentiment islamophobe.
Il y a reconnaître les grands acquis des luttes féministes en Occident, mais il y a aussi à questionner ce modèle et dire que le féminisme occidental ne détient pas le monopole de la résistance contre toutes les formes de dominations. Tout comme il faut refuser les préjugés idéologiques qui nient toute compatibilité entre la croyance et la lutte féministe…
Chaque femme à la liberté de vivre ou de rompre avec sa culture ou sa religion.
Dans cette logique, il y a urgence à interpeller les mouvements féministes et l’ensemble de la société civile afin qu’elles soient avec toutes les femmes des forces de propositions au sein du politique, des pouvoirs publics, qu’elles se réapproprient un activisme axé sur des pratiques sociales et politiques. Il s’agit de combattre les oppressions « multicouches » dans une société « multiculturelle » et « multiraciale ». Il ne s’agit pas de parler d’une seule et même voix, car cela contredirait le principe de la diversité qu’il faut respecter, mais de faire passer un message auprès des partis politiques, des mouvements sociaux et d’élaborer des stratégies collectives de résistance contre un système inégalitaire.


De la création d’un mouvement de résistance féministe politique, ouvert …Et sans complexe !

Sur certaines luttes, des féministes se trouvent plus proches des mouvements sociaux que d’autres féministes.
Dans une société qui, il faut bien le dire, est structurellement inégalitaire il y a urgence a s’engager en vue de penser et construire un mouvement de femmes et d’hommes pourquoi pas, un projet politique convaincant et créatif qui interpelle et questionne la société belge, le politique dans son approche de la question des femmes « issues de l’immigration ».
Nous définissons cinq principaux axes de réflexion et d’action :
 
la lutte contre les lois et mesures restrictives des libertés en construisant un discours alternatif tout en questionnant à la lumière des luttes de femmes les concepts fondateurs de notre société lutter contre la récupération politicienne et médiatique de la cause des femmes « issues de l’immigration » promouvoir une réflexion et une analyse dans tous les domaines des mécanismes de discriminations pour construire des outils de lutte efficaces et adaptés penser et mettre sur pied des actions d’éducation populaire pour et avec les femmes Dénoncer toute force politique, religieuse, intellectuelle qui dénie le droit à l’émancipation des femmes à partir d’un choix politique, religieux ou social. De nombreuses organisations, associatives, féministes, syndicales et politiques sont confrontées à une « crise » généralisée du militantisme face à une réalité nouvelle. La lutte contre les racismes est l’affaire de tous et la lutte contre les discriminations sexistes ne doit pas être uniquement la seule préoccupation des féministes.Ce n’est pas un combat uniquement contre les discriminations racistes, mais contre toutes les inégalités produites par le système socio-économique, pour une égalité réelle à l’endroit de toutes les couches qui vivent une exploitation.
Il faut dénoncer le racisme institutionnel structurellement présent dans tous les lieux de pouvoir y compris médiatique et qui se traduit par des lois, des mesures, des politiques et des discriminations racistes.
En définitive, la lutte est fondamentalement un combat politique pour une transformation de la société.
En cette période de durcissement social, c’est à partir d’un mouvement de résistance pensé autour des valeurs universelles qui nous unissent que nous devons ensemble construire l’outil associatif pour lutter contre toutes les formes de violence et de discriminations dans une unité et une alliance repensée et rénovée.
 




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