Mardi 6 Juin 2017

Origines du Coran, le Coran des origines (Les)


​Le Coran peut être considéré comme le manifeste d'une formidable révolution intellectuelle qui transcenda de loin les limites de la péninsule arabique. Il n'est pas étonnant de voir des chercheurs de tous horizons s'efforcer de démêler l'écheveau de ses origines. Ce recueil regroupe treize des dix-neuf communications présentées au colloque intitulé Les origines du Coran, le Coran des origines qui s'est tenu à l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres) les 3 et 4 mars 2011 soit un siècle et demi après la parution de l'œuvre de Nöldeke qui rénova les études sur les origines du Coran.




Broché: 318 pages
Editeur : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (5 juin 2015)
Collection : ACTES DE COLLOQUE
Langue : Français
ISBN-10: 2877543218
ISBN-13: 978-2877543217
Dimensions du produit: 24 x 1,7 x 16 cm


 

Recension issue de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer  (1) selon les termes de la licence Creative Commons Paternité.

Les origines du Coran, le Coran des origines : actes du colloque international organisé à la
Fondation Simone et Cino del Duca et à l’Académie des inscriptions et belles-lettres les 3 et
4 mars 2011 / François Déroche, Christian Julien Robin et Michel Zink (éd.)
éd. Académie des inscriptions et belles-lettres, 2015
cote : 60.43


​Le Coran peut être considéré comme le manifeste d'une formidable révolution intellectuelle qui transcenda de loin les limites de la péninsule arabique. Il n'est pas étonnant de voir des chercheurs de tous horizons s'efforcer de démêler l'écheveau de ses origines.

Ce recueil regroupe treize des dix-neuf communications présentées au colloque intitulé Les origines du Coran, le Coran des origines qui s'est tenu à l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres) les 3 et 4 mars 2011 soit un siècle et demi après la parution de l'œuvre de Nöldeke qui rénova les études sur les origines du Coran.

Dans son allocution de bienvenue, notre regretté confrère Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions, salue avec reconnaissance la présence de plusieurs éminents savants de l'Académie des Sciences de Berlin-Brandebourg, membres du groupe de recherches Corpus Coranicum et évoque les noms de quelques célèbres islamologues français tels Silvestre de Sacy, Caussin de Perceval, William Marçais, Gaston Wiet et tant d'autres qui ont illustré la recherche sur les origines de l'islam et du texte coranique.

La première communication, celle de François Déroche (Collège de France), retrace la genèse de la Geschichte des Korans, (Histoire du Coran) publiée en 1861 par Théodor Nöldeke, (1836-1950), jeune chercheur de 25 ans qui s'était donné pour but de relater les vicissitudes du texte coranique depuis les premières récitations mecquoises jusqu'à sa mise en forme définitive sous le califat de Othman. Il était l'auteur d'une Historia corani critica, dissertation (selon le terme employé par Renan) couronnée en 1859 par le prix du budget de l'Académie des Inscriptions, en même temps que les ouvrages de deux autres auteurs.

Pourvue d'un excellent appareil critique, la communication de Christian Julien Robin, (Académie des Inscriptions et Belles Lettres), traite de l'Arabie telle qu'elle apparaît à la lecture du Coran (pp. 27-74). Cet intervenant admet d'emblée et à bon droit que le Livre est déroutant pour l'historien du fait de la pauvreté des références historiques ou géographiques. Il s'attarde avec une grande érudition sur les cas de la Sourate 30 (Les Romains) et de leur défaite (devant les Perses) à laquelle il est fait allusion, de la rupture de la digue de Marib (ouAl Arim, Sourate 34, Saba, châtiment de l'incrédulité des Sabéens), des Gens de la Fosse (Sourate 85, al-Borouj, Les constellations) , allusion au massacre des chrétiens de Najran par le roi himyarite juif Joseph dit Dhu Nuwas en novembre 523, des Compagnons de l'Eléphant (sourate 105, expédition d'Abraha contre La Mecque, pour laquelle il nous présente des gravures rupestres préislamiques). Il en conclut (p. 64) qu'à ces quelques exceptions près, le Coran est un « texte sans contexte », dont l'histoire réelle est presque absente.

Gerald Hawting (LSOAS) analyse les relations de la bataille de Badr qui nous sont données dans le Coran (Sourate 8 Al Anfal: le butin) et dans la Sira d'Ibn Ishaq. Il apporte d'intéressantes notations sur l'attitude d'Abou Soufyan et dans sa conclusion (p. 91) il établit un parallèle entre Badr et la victoire de Moïse sur Pharaon dans le récit biblique tandis que son compatriote Keith Small (London School of Theology) étudie la transmission des textes et les variantes observables dans les Corans des premiers temps de l'islam.

Hassan Chahdi (EPHE) étudie les variantes du système graphique (Rasm) que l'on peut observer dans un très ancien manuscrit fragmentaire conservé à la bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg sous le nom de Marcel 18. Il observe que le texte coranique a évolué au fur et à mesure de la formation du système graphique, ce qui fait rebondir l'éternel débat entre tenants du Coran incréé et du Coran créé.

La vision eschatologique du Coran a inspiré deux communications: celle de Mehdi Azaiez (UC Leuwen) qui traite des contre-discours contenus dans le Texte et des défis et controverses au sujet de la venue de l'Heure. Cet auteur nous livre une intéressante comparaison entre les contre-discours du Coran et ceux qui sont contenus dans le traité talmudique du Sanhédrin. L'autre communication est celle de Ghassan el-Masri (Académie de Berlin) qui, sous le titre Min al Ba'ad ila al-Ahira (2) traite de l'influence des poètes de la Jâhilyya (ère préislamique): Imru al-Qays, (surnommé le Prince des poètes et selon un hadith peu fiable, leur guide en enfer) Tarafa, Amr ibn Kultum, Harit, Zuhayr etc, les sept auteurs des Mu'allaqat, sur les concepts coraniques relatifs à l'au-delà. Il insiste sur les notions qui lui paraissent fondamentales de dunya et de ahira.

Eléonore Cellard (Inalco et EPHE) étudie l'évolution de la vocalisation des exemplaires du Coran pendant les trois premiers siècles de l'islam : son enquête est partielle, limitée à huit fragments, mais elle constitue un bon point de départ méthodologique pour une étude d'ensemble. Viviane Comerro (Inalco) s'interroge sur les raisons pour lesquelles le Coran a été écrit et comment il l'a été. Reconnaissant que toute vérité historique est impossible à atteindre dans  ce qui touche au domaine subjectif de la foi, elle considère que fixer une révélation divine par l'écriture est l'acte fondateur d'une communauté. De sa contribution, on retiendra deux points importants : 1/ Le Coran était un texte écrit bien avant sa mise en forme définitive par Zaïd ibn Thabit, sous le Califat de Othman (644-656) 

2/ On ne saurait trop insister sur le rôle d'Ibn Shihab al-Zuhri, lettré et compilateur quraychite au service des Omeyades dont les textes influencèrent largement le Sahih de Bukhari.

   La contribution d'Alain George (Edimbourg) est consacrée à un palimpseste acquis en 1895 par une Ecossaise, Mrs Smith Lewis, auprès d'un colporteur rencontré à Suez. Probablement venu d'un monastère de Palestine, ce document se composait d'une partie chrétienne (syriaque) et de quelques feuillets coraniques (partie arabe) qui furent étudiés par Alphonse Mingana puis envoyés à Leipzig et perdus en 1914. Ils furent retrouvés par Mingana à Leyde en 1936 et firent l'objet d'une publication qui ne connut pas de succès en raison de la mauvaise réputation scientifique de Mingana, connu comme faussaire. Ces documents ont été restaurés à Cambridge en 2009-2011 et les premières recherches effectuées ont permis d'établir qu'il s'agit d'un témoignage de première importance pour l'étude des origines du Coran.

  La contribution de Michael Marx (Berlin) apporte une intéressante information aux spécialistes d'histoire contemporaine. Ce chercheur nous apprend en effet que l'article 246 du Traité de Versailles exige de l'Allemagne la restitution au roi Hussein du Hedjaz d'un exemplaire du Coran ayant appartenu au Calife Othman ibn Affane, confisqué dans la mosquée de Médine par les autorités militaires turques qui voulaient en faire don à l'Empereur d'Allemagne.

Dans les coulisses de la conférence de Versailles, cette affaire donna lieu à divers entretiens et à un échange de notes diplomatiques: il apparut rapidement que ces codex coraniques avaient été confisqués, de même que plusieurs objets de valeur qui se trouvaient près du tombeau du Prophète, par Fakhri Pacha (Fakhreddine Pacha, le Lion du désert ), commandant militaire de Médine qui se distingua en 1918 par sa résistance acharnée dans la défense de cette ville, mais qu'ils n'avaient jamais été remis aux Allemands ainsi que la représentation allemande à Versailles le fit justement valoir.

Il n'en fut plus question. Cependant, des clichés d'un codex coranique conservé au palais de Topkapi (Topkapi Serayi) à Istanbul furent retrouvés par la suite par les soins de la Korankommission de Munich et finalement déposés à la Frei Universität Berlin par les soins d'un doctorant d'Angelika Neuwirth, elle-même élève du Professeur Anton Spitaler lequel les avait abrités à son domicile pendant les raids aériens de 1944. Ils sont conservés sous les cotes Coran Seray Medina 1a et Coran Seray Medina 1b. Quelle preuve avons-nous qu'il s'agit véritablement du Coran d'Othman? Le débat reste ouvert.

Claude Gilliot (Université de Provence) pose le problème de la préhistoire du Coran notamment par une étude critique des sourates mecquoises: le Coran est né dans un espace donné en un temps donné et pourrait avoir subi l'influence des lectionnaires en usage chez les chrétiens monophysites.

Ainsi que le rappelle un des contributeurs, Hassan Chahdi, l'étude des origines du Coran est un sujet extrêmement sensible en raison du statut sacré du Livre. L'on ne peut que louer l'initiative des l'Académie qui a encouru ce risque, de même que l'on ne peut que rendre hommage au travail des chercheurs qui nous ont ici ouvert des pistes de réflexion et fait progresser nos connaissances sur un des livres majeurs de l'histoire de l'Humanité.

Jean Martin

1 Les recensions de l'Académie de Académie des sciences d'outre-mer est mis à disposition selon les termes de la licence Creative    Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.
2 Littéralement " Des Lointains jusqu'à la proximité ", c'est-à-dire des temps anciens jusqu'à la Révélation.



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