Dr Moreno al Ajamî. Médecin, Docteur en Littérature et Langue arabe, Islamologue, Théologien,… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 27 Mai 2017

Le sens littéral, un concept novateur non-interprétatif et non-herméneutique


Nous publions ci-joint la présentation doctorale de l'Islamologue Al Ajami Moreno. Cette dernière porte sur l'analyse littérale des termes dîn et islâm dans le Coran.




Le concept de sens littéral est au cœur de notre récente thèse doctorale en islamologie ayant pour intitulé : Analyse Littérale des termes dîn et islâm dans le Coran. Dépassement spirituel du religieux et nouvelles perspectives exégétiques. Contrairement à l’évidence supposée du thème indiqué, les résultats de notre recherche bousculent nombre de certitudes propres à l’Islam, mais aussi à l’islamologie. En effet, bien que la compréhension des termes-clefs dîn et islâm semble en apparence assurée, nous nous sommes proposé d’en réinterroger la polysémie dans le Coran tant sont profondes leurs intrications sémantiques, historiques, dialectiques et tant leur capital symbolique est manifeste. D’une part, l’on sait de manière documentée que l’Islam compris en tant que religion est issu d’un processus historique, mais l’on peine à comprendre la genèse et le rôle du Coran au sein de ce parcours. Nous avons donc interrogé quelques points relevant du non-dit et de l’impensé : Quels sont les rapports réels du référent scripturaire coran avec la religion dite Islam ? En quelle mesure le Coran est-il le document fondateur de cette religion ? Le Coran définit-il l’Islam en tant que religion ? Le Coran avait-il vocation à fournir les rites et les législations de l’Islam ? Dans le cas contraire, quels sont le but, la fonction, le message du Coran ? Globalement, quels sont les liens textuels et conceptuels exacts entre le Coran et la religion Islam ? Peut-on réellement établir la signification du Coran compte tenu de la circularité herméneutique plus que millénaire entre le corpus coranique et celui de la religion Islam ?  Autrement dit, en notre compréhension du Coran quelle est la part réelle du texte coranique et celle de l’apport interprétatif de l’Islam ? 

La résolution de cette problématique nous a donc conduit à la détermination du concept central de notre recherche : le sens littéral. Ce concept est sémantiquement général, mais, s’agissant d’une recherche coranique, nous avons été amené à élaborer  une méthodologie à même de le déterminer : l’Analyse Littérale du Coran.  Nous allons ci-dessous détailler le parcours et la définition de ces deux éléments clefs, mais précisons d’emblée que le concept de sens littéral et la méthode qui l’accompagne ne sont logiquement en rien comparables à la démarche dite littéraliste. (1)

Herméneutique & Sens littéral


Afin d’élaborer un paradigme et une pragmatique fonctionnelle permettant la détermination du sens du Coran sans passer par les boucles herméneutiques de sens classiques ou islamologiques, il nous aura été nécessaire d’explorer préalablement trois axes fondamentaux: 1– Questionnement herméneutique ; 2– Paradigme du document-coran ; 3– Méthodologie d’analyse du texte coranique. 

– Du point de vue herméneutique, une étude transversale du concept de vérité herméneutique nous a permis de pointer les limites du “tout n’est qu’interprétation” et l’existence de failles théoriques au cœur même du dogme herméneutique. Partant de cette « critique de la raison herméneutique », nous avons montré l’existence possible d’un espace de sens dit sens littéral ou sémique, c’est-à-dire le sens délivré par le texte hors phénomène interprétatif.  Par suite, nous avons théorisé cette notion de sens littéral et mis en évidence ce qui du point de vue des mécanismes cognitifs d’obtention le différencie radicalement des interprétations. Pour ce faire, nous avons proposé plusieurs modélisations permettant de distinguer ce qui relève du sens littéral de ce qui est interprétation ou surinterprétation. De même, nous avons montré que le sens littéral représente la « détermination des faits selon l’énoncé », c’est-à-dire la signification minimale portée par l’énoncé, celle que l’on ne peut ni lui ajouter ni lui ôter. Le sens littéral est ainsi « la plus petite unité de sens probante partageable dont la signification ne peut être infirmée par tout ou partie du texte. » Le sens littéral est ainsi probant et partageable, reproductibilité rationnelle fondant son caractère d’éligibilité scientifique. De ce fait, nous avons soutenu contre le dogme herméneutique ambiant l’existence d’un sens littéral déterminant un espace de sens non interprétatif,  compréhension qui de principe est donc non-herméneutique. Autrement formulé, nous avons démontré que si toute interprétation est une forme de compréhension, toute compréhension n’est pas nécessairement une interprétation.

– Du point de vue paradigmatique, et concernant le document-coran, nous avons pris comme postulat de départ l’hypothèse suivante : le Coran est un corpus clos. Ceci se justifie directement du fait de la situation historique incertaine du Coran due aux rétroprojections interprétatives en lien avec l’histoire des premiers musulmans, du discours coranique constamment diffracté, des nombreuses références intertextuelles auxquelles il allude, ainsi qu’à sa compréhension fortement dépendante  des exégèses classiques. La notion de corpus clos signifie selon notre approche que nous supposons que ce texte est « un document suffisant à la détermination intra-coranique du sens littéral ». C’est cette notion d’intratextualité, essentielle pour notre analyse, qui permet de mettre en œuvre un principe connu de longue date : tafsîr al–qur’ân bi-l–qur’ân ou explication du Coran par lui-même, antique défi qui, en réalité, n’a jamais été relevé.

– Du point de vue méthodologique et en présence d’un texte aussi interprété que le Coran, notre recherche nous a amené à développer une approche méthodologique procédant algorithmiquement à la détermination du sens littéral et court-circuitant les processus interprétatifs. Cette méthode ne vise pas  ce que l’on nomme l’analyse littéraire, mais elle est spécifiquement adaptée à la détermination du sens littéral coranique, d’où sa dénomination fonctionnelle : Analyse Littérale du Coran. En tenant compte de ce que nous avons précisé quant à la nature non-interprétative et non herméneutique du sens littéral, nous donnons de l’Analyse Littérale du Coran la définition suivante : « Méthodologie non-interprétative, non-herméneutique, d’analyse sémantique intratextuelle et algorithmique pour la détermination du sens littéral au sein du corpus clos coranique. »  

Ce processus comporte 5 phases : 1- Analyse lexicale ; 2- Analyse sémantique ; 3- Analyse contextuelle ; 4- Analyse de la convergence coranique ; 5- Résolution du sens littéral. L’articulation logique de ces étapes génère une approche algorithmique de la détermination du sens littéral coranique. Plus finement, ce processus comporte 37 étapes de résolution. Signalons que l’analyse contextuelle occupe une place centrale au sein de cet arbre de décision. Trois niveaux contextuels sont ainsi systématiquement recherchés : le contexte général de la sourate, le contexte proche donné par la construction discursive, le contexte d’insertion du verset. En cela, l’analyse littérale du Coran s’oppose au découpage du texte coranique tout autant qu’aux contextualisations, qu’il s’agisse des circonstances de révélation ou d’autres indications para-historiques ou sociologiques. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces différentes étapes implique que nous avons étudié en détail les données et les outils spécifiques disponibles informant et induisant l’interprétation lors des mécanismes de compréhension textuelle de tel ou tel verset du Coran.

Cette démarche critique concerne en premier lieu les ressources lexicales, les sources interprétatives et l’intertextualité : corpus exégétique, corpus juridico-canonique, corpus hadistique, corpus biblique, corpus islamologique, corpus traductionnel. S’y ajoute les sources historiques : circonstances de révélation, hagiographies, histoire musulmane et non-musulmane. Cet examen serré a mis en évidence les biais propres à ces matériaux et leur responsabilité directe majeure sur les circularités herméneutiques interprétatives qui tiennent lieu de compréhension du texte coranique. Notre méthodologie ne fait donc pas recours à l’intertextualité et, à l’opposé, elle est strictement intra-coranique, intratextuelle. Elle diffère donc tout autant des approches exégétiques musulmanes classiques que des « Nouvelles approches du Coran » développées par l’islamologie. 

Analyse littérale des termes dîn et islâm


Nantis de ces outils théoriques et pratiques nous avons appliqué notre méthodologie d’analyse littérale aux termes-clefs dîn et islâm. Autrement dit, quels sens littéraux peut-on déterminer pour ces deux concepts qui, de toute évidence, ne sont compris qu’en fonction de la grille de lecture fournie par l’Islam ? Précisons qu’en fonction de la démarche intratextuelle propre à l’analyse littérale, la détermination de ces sens littéraux, outre les versets occurrents pour ces deux termes, a mobilisé 820 versets impliqués en cette démarche croisée. 

• Dans un premier temps ont été analysées les 92 occurrences coraniques du terme dîn, soit 79 versets, nous citerons les faits principaux suivants :

- L’approche philologique a permis d’expliquer la grande polysémie du terme dîn en montrant l’existence de quatre origines étymologiques différentes : dîn dérive selon les cas coraniques soit du terme dên en pehlevi, soit du concept avestique de daênâ, soit de l’araméo-hébraïque dân, soit enfin de la racine arabe dâna.

- Sur les 43 acceptions de dîn possibles en langue arabe au moment coranique supposé, nous retrouvons 15 significations :   Foi ; foi ; voie ; Voie ; Rétribution ; rétribution ; croyance ; culte ; rituel ; tradition ; coutume ; obéissance ; sentence ; jugement ; usage. Signalons que les sens de Foi, Voie, Rétribution sont des néologismes coraniques. De fait, la polysémie que nous avons constatée est bien supérieure à celle d’ordinaire plus réduite dans les usages musulmans et islamologiques qui pour dîn dans le Coran ne retiennent guère plus de trois significations : Rétribution, religion, culte ou autres équivalents.

- Fait important, dès lors qu’on ne lit pas ce terme selon la grille de lecture de l’Islam, mais selon une approche analytique littérale, nous n’avons pas identifié de versets où dîn pourrait prendre le sens de religion. 

- Tout aussi notable, nous avons constaté que le choix lexical coranique était directement lié aux contextes et, qu’à un même contexte, correspondait une même signification. Cette observation confirme rétrospectivement l’importance de l’analyse contextuelle. Pour le terme dîn, nous avons relevé 10 contextes différents :  théologico-dogmatique ; eschatologique ; théologico-religieux ; politico-religieux ; théologique et politique ; théologico-spirituel ; politico-militaire ; évènement circonstancié ; théologie ontologique ; pragmatique. Or, plus de la moitié des occurrences de dîn s’exprime en trois contextes, dans l’ordre d’importance  : contexte théologico-dogmatique (dîn/foi, 29 occurrences) ; contexte eschatologique (dîn/Rétribution, 19 occurrences) ; contexte théologico-religieux (dîn/voie, 15 occurrences). L’on note que les significations majoritaires traduisent un détournement sémantique et conceptuel du terme dîn – qui pour les Arabes était principalement représenté par la notion de dîn al–‘arab, voie culturelle et cultuelle des Arabes – vers le concept de foi monothéiste, ce qui cerne avec précision les intentions coraniques en matière de dîn. 

- Ces observations indiquent que le Coran n’emploie donc pas le terme-clef dîn pour traiter ou même définir une nouvelle religion, mais pour qualifier et définir la nouvelle foi/dîn portée par le message coranique. Logiquement donc d’un point de vue littéral, mais contrairement à l’affirmation courante en islamologie, nous n’avons pas noté d’évolution diachronique significative de l’emploi du terme dîn dans le Coran en fonction des périodes dites mecquoise et médinoise.

- Au final, l’on déduit de ces faits littéraux que le Coran n’avait pas pour fonction principale de définir une nouvelle religion, mais bien une nouvelle foi, foi/dîn monothéiste dont la nature et le contenu sont didactiquement explicités en opposition au polythéisme arabe ambiant. Ce n’est donc que postérieurement au Coran que la construction de l’Islam a conféré au terme dîn le sens de religion.

• Dans un deuxième temps, les 8 occurrences coraniques du terme islâm ont été analysées, soit 8 versets seulement. Notons que si l’on suppose un lien direct et fort entre Coran et Islam, cette rareté terminologique interpelle. En réalité, la force de ce lien ne résulte que de l’efficacité des boucles herméneutiques mises en place, car l’analyse littérale a mis en évidence les faits littéraux suivants : 

- Nous n’avons trouvé que deux lignes de sens littéral coranique pour islâm : abandon plénier de soi à Dieu (ou remise de soi à Dieu) et reddition, sujétion. Par ailleurs, aucun argument étymologique ou sémantique ne permet d’affirmer qu’islâm en tant que substantif  de la forme verbale IV aslama signifie paix ou soumission contrairement aux idées reçues ou plaidées. 

- Le terme islâm dans le Coran ne qualifie pas la religion éponyme, mais la Voie spirituelle proposée par le Coran. De fait, le sens d’abandon de soi à Dieu/al–islâm est un néologisme coranique, affirmation démontrable par le Coran lui-même et en 6 versets le terme islâm s’inscrit bien en un contexte théologico-spirituel. L’étude contextuelle montre que le concept coranique islâm indique la modalité de la Voie de réalisation spirituelle. Cette démarche est purement intérieure et d’ordre ésotérique, elle est sans liens orthopraxiques établis. Le terme islâm n’a donc pas de dimension religieuse, mais une portée pleinement spirituelle. 

- Tout comme pour l’emploi du terme dîn, nous n’avons pas constaté d’évolution diachronique du terme islâm dans le Coran. Il revêt sa totale portée spirituelle première dès la fin de la période mecquoise. 
       
- Comme nous allons l’expliciter infra, l’’ensemble des données relatives au sens littéral du terme-clef islâm décrit le concept coranique d’islam-relation (à Dieu) que l’on peut opposer au concept islamique d’islam-religion (l’Islam).  

Synthèses & Perspectives


L’analyse littérale des termes-clefs dîn et islâm a fourni de nombreux résultats en rupture avec les éléments constitutifs de divers paradigmes propres à l’Islam. Elle apporte aussi des matériaux critiques qui se démarquent de l’ensemble des positionnements islamologiques contemporains. Afin d’éviter à notre tour d’interpréter les sens littéraux mis à jour, nous nous sommes limité aux leviers de sens les plus directement apparents dont voici les principaux :   

 - Le Coran est un corpus clos délivrant les informations nécessaires et suffisantes pour établir le sens littéral de ses propres énoncés. L’expérience littérale que nous avons menée montre que le texte coranique est un document particulièrement apte à l’analyse contextuelle intratextuelle et à une approche méthodologique non-herméneutique représentée en l’occurrence par notre Analyse littérale.

 

- Nous avons constaté le divorce herméneutique entre le Coran et l’Islam. Nombre de paradigmes fondamentaux de l’Islam, qui par mécanismes herméneutiques nous semblent inscrits dans le texte coranique, apparaissent du point de vue littéral soit différents, soit en opposition ou contradiction, soit inexistants. Ce faisant, nous avons démontré à de nombreuses reprises que le Coran ne dit pas ce que l’Islam lui fait dire.

- Ce  différentiel littéralement apparent entre propos coranique et discours islamique indique formellement que le Coran est un document-texte antérieur à la religion Islam puisque s’il lui avait été postérieur il aurait été réarrangé pour être concordant. C’est donc par une puissante emprise interprétative que l’Islam a mis en conformité, non pas le texte coranique mais le sens du texte.

- Notre recherche sur l’emploi des termes dîn et islâm par le Coran lu à la lumière des lignes de fractures qui se dégagent de la comparaison entre propos coranique et propos de l’Islam a permis de distinguer deux concepts radicalement différents, l’un est coranique, l’autre islamique. Le premier compose l’islam-relation : le Coran à partir des sens de foi, voie, Voie, qu’il confère à l’ancien terme arabe dîn et de la notion d’entier abandon de soi à Dieu/al-islâm formalise la réalisation spirituelle en Dieu. Cette Voie est entièrement fondée sur la foi monothéiste, elle constitue le cœur  mystique du message coranique. Le second, l’islam-religion, résulte de l’histoire post-coranique qui a investi différemment la terminologie du Coran en construisant la notion de dîn/religion et en réduisant le terme islâm à un simple dénominatif de ladite religion : l’Islam. Nous avons par ailleurs en notre thèse exploré les raisons terminologiques ayant justifié le choix sémantique et technique de ce détournement herméneutique.

- De manière complémentaire, notre recherche littérale a remis en cause l’existence au sein du Coran d’un corpus religieux propre à la constitution d’une religion, Islam y compris. Cela implique que l’on ne puisse littéralement trouver dans le Coran la notion de loi/sharî‘a, le Coran se revendique en tant que Voie, mais pas en tant que Loi. Ce constat s’oppose au postulat de l’Islam. Tout au plus retrouve-t-on l’indication de grandes lignes rituelles somme toute communes aux autres religions monothéistes, ce que le Coran du reste revendique. Ces éléments épars  sont à proprement parler les linéaments constitutifs de ce que dut être le proto-islam au temps coranique. Ce constat s’oppose au postulat des coranistes actuels. La Voie/islâm et la foi/dîn sont intrinsèquement corrélées et ce cheminement spirituel vers Dieu ne passe pas par une démarche religieuse particulière, elle est strictement individuelle et non partageable. Ce constat s’oppose au postulat du soufisme confrériste. 

– Si le Coran ne traite pas d’une nouvelle religion, mais d’une nouvelle foi, il est attendu qu’il n’établisse pas de « Loi ». Ainsi, l’analyse de l’occurrence en S9.V29 a montré que la notion de jizya comprise comme impôt de capitation est une construction exégétique et que le sens littéral coranique en est tribut de capitulation, propos sans aucun rapport avec le statut des dhimmis, concept politique post-coranique donc. De même, en S24.V2, la « Loi divine/dînu–llâh » censée traiter des cas d’adultère s’est révélé seulement être  une sentence de Dieu rendue au sujet d’un cas particulier et ne faisant pas loi. Pareillement, il appert que le segment-clef de S5.V3 ne signifie pas « ce jour, J’ai parachevé votre religion/dîna-kum », mais a pour sens littéral : « ce jour, J’ai parfait votre rituel/dîna-kum », le rituel en question ayant uniquement trait au Pèlerinage. 

- En matière de Salut de l’âme et en raison de ses positions méta-religieuses, le Coran développe une théologie inclusive   opposée point par point à la théologie exclusive propre à l’Islam. Selon le Coran, premièrement : non-exclusive de la foi, du fait de son origine ontologique la foi personnelle a une dimension universelle, toutes les expressions de foi monothéiste sont équivalentes en valeur. Deuxièmement : non-exclusive religieuse, la pluralité religieuse a pour raison d’être la diversité des hommes, toutes les formes religieuses sont acceptables. Troisièmement, non-exclusive du Salut : ce ne sont point les religions qui détiennent un passe pour le Salut, mais celui-ci repose sur la foi traduite en actes positifs. À l’inverse, le triptyque islamique est foncièrement exclusif : exclusive de la foi musulmane, exclusive de la religion Islam, exclusive du Salut pour les seuls musulmans. En cela, l’Islam n’a fait que suivre les religions monothéistes l’ayant précédé. Ces éléments essentiels confirment que le Coran dépasse la question religieuse en la ramenant à sa juste réalité, une construction humaine, et en affirmant que le propos divin n’est pas de constituer ou de défendre telle ou telle religion. Il est ainsi offert et ouvert la possibilité d’un surpassement d’ordre spirituel des clivages religieux et une vraie opportunité d’échanges, de compréhension et de respect interreligieux.

Conclusion

La mise en évidence de l’existence d’un sens littéral non interprétatif et non-herméneutique n’est en rien une anti-herméneutique, mais représente une avancée théorique et pratique au sein de l’Herméneutique. D’un point de vue islamologique et exégétique, l’Analyse littérale que nous avons pratiquée s’est avérée un outil efficace de contournement des nombreuses boucles herméneutiques à l’œuvre dans l’ensemble des études coraniques. Pragmatiquement, cette méthodologie permet de désigner les interprétations et de les déconstruire, ainsi que d’envisager le texte coranique selon une approche originale pleinement intratextuelle, il est ainsi possible de comprendre le Coran par le  Coran. 

Puisque le sens littéral est hors champ de l’interprétation, les résultats de notre recherche quant au termes-clefs dîn et islâm différent grandement des interprétations classiques, mais aussi islamologiques. Globalement, ces résultats remettent en question le lien entre le Message coranique et l’Islam compris en tant que religion. Ce faisant, ils mettent en lumière le biais principal des études coraniques : comprendre le Coran en fonction des paradigmes de l’Islam et non par le Coran lui-même et idem pour les démarches islamologiques qui sont en réalité toutes aussi dépendantes des paradigmes islamiques. Il en est de même pour les emprunts et apports extra-islamiques mis en jeu par l’islamologie alors qu’ils sont très incertains et à haute valeur interprétative. La détermination du sens littéral permet aussi d’expliquer les difficultés de compréhension du texte coranique lorsqu’elles résultent de différences et divergences entre le propos du Coran et les affirmations de l’Islam. Il est ainsi possible de restaurer la cohérence interne du texte coranique qui s’avère le plus souvent engendrée par des interprétations inadéquates voulues par et pour la construction de l’Islam.  

Si la détermination du sens littéral des termes-clefs, dîn et islâm remet en question les certitudes les plus ancrées, cette déconstruction n’est pas pour autant délétère. Au contraire, elle ouvre un vaste champ de compréhension du discours coranique. À ce sujet, nous en avons évoqué quelques intéressantes perspectives tant pour le renouveau d’une pensée musulmane ressourcée au Coran que pour une compréhension de l’altérité et un progrès véritable en matière de respect interreligieux. 

Dr Moreno Al Ajamî


(1) En effet, ce que l’on nomme littéralisme n’est en rien une lecture de la lettre, mais un ensemble d’interprétations superposées au texte coranique. Ce système interprétatif détermine la compréhension du Coran à partir d’un vaste corpus exégétique extra-coranique de nature interprétative ; l’on peut y distinguer cinq catégories principales : les hadîths exégétiques prophétiques et les propos/khabar de Compagnons ; les circonstances de révélations/asbâb an–nuzul ; l’hagiographie prophétique/Sîra ; les avis exégétiques/aqwâl d’autorités anciennes ; les isrâ’îlliyyât/sources judéo-chrétiennes. La lettre du Coran dont tant se réclame le littéralisme est ainsi l’otage herméneutique de l’Islam. Concrètement, la fidélité à la lettre revendiquée par le littéralisme n’est que fidélité à l’opinion d’interprètes reconnus par l’orthodoxie musulmane. Ceci explique aussi que le mouvement salafo-wahhabite actuel se revendique du littéralisme, non pas qu’il soit ainsi conforme ou contraint par le Coran, mais, qu’au contraire, le littéralisme lui permet par un recours sélectif à ces sources extra-coraniques de justifier plus aisément  , prétendument au nom du Coran, ses propres croyances.



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