Professeur de philosophie. Peintre et conférencière sur Rodin et Chardin. Lectrice et recenseuse… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 24 Octobre 2015

La laïcité : un obstacle au jugement et à la nation

Par Maryse Emel, professeur de philosophie




 
Broché: 176 pages
Editeur : DESCLEE DE BROUWER (1 octobre 2015)
Collection : ESSAI/DOCUMENTS
Langue : Français
ISBN-13: 978-2220077116
Dimensions du produit: 18 x 1,4 x 12,7 cm
 




 

Présentation de l'éditeur La réponse aux attentats de janvier 2015 appelait un renouvellement des idées, des dispositions et des actions de notre pays. Perdurent au contraire les manières de penser les plus paralysantes : la « laïcité » serait la solution au « problème de l'islam », l'effacement de la présence publique du religieux serait la solution au problème des religions. Tout est faux dans cette thèse. Au lieu de chercher une neutralité impossible, qui couvrirait en fait une guerre sournoise, nous devons accepter et organiser la coexistence publique des religions, leur participation à la conversation civique.
En entrant dans la communauté nationale, l'islam est entré dans une nation de marque chrétienne, où les juifs jouent un rôle éminent. Toute politique qui ignore cette réalité court à un échec cuisant, et met en danger l'intégrité du corps civique. Il s'agit donc, tout en préservant la neutralité de l'État, de faire coexister et collaborer ces trois « masses spirituelles ». Loin que la mondialisation réclame l'effacement de la nation et la neutralisation de la religion, c'est son indépendance politique et spirituelle, et son ouverture au religieux, qui permettront à la France de franchir en sûreté et avec honneur la zone de dangers dans laquelle elle est entrée.

Biographie de l'auteur Pierre Manent a été directeur d'études à l'EHESS. Membre fondateur de la revue Commentaire, il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels : La Cité de l'homme (1994), La Raison des nations (2006), Les Métamorphoses de la cité (2010) ou Montaigne. La vie sans loi (2014)
 


Pour Pierre Manent, il ne faut pas hésiter à le dire : nous sommes en guerre avec une religion musulmane expansionniste. Il en appelle à repenser la République à la lumière de cet état de fait. Nos catégories d’analyse ne fonctionnent plus. Il écrit à ce propos : « C’est ici que nous entrons dans le domaine d’une politique possible également éloignée des rêveries de la « diversité heureuse » et des velléités mal refoulées d’un  « retour » des immigrés « chez eux » (p.71).


Publication en partenariat avec nonfiction .


Quand Sartre écrivit Situations, il signifiait par ce terme l’engagement de la liberté de l’homme dans le monde. L’intellectuel ne peut rester extérieur à ce qui se passe dans la Cité et  doit prendre part à l’histoire. Pierre Manent, en appelant son ouvrage, Situation de la France, reprend et prolonge cette analyse en en appelant aussi à l’engagement du lecteur : « Cet essai est un exercice de sincérité. S’il pouvait engager le lecteur, quelque jugement qu’il porte sur mes jugements, à mieux connaître son âme de citoyen, il aurait atteint son but principal »(p.14) . On dit souvent que les intellectuels n’agissent pas. Un écrivain, un philosophe écrit pour être lu. C’est ce que rappelle ici Pierre Manent. Un livre seul ne peut rien s’il n’est prolongé par un acte de compréhension mais aussi par l’action de celui qui adhère à l’analyse. Un philosophe doit être relayé sinon il ne pourra pas grand-chose. Il ne s’agit pas de se donner bonne conscience en écrivant ou en lisant mais bien plutôt de changer l’ordre des choses.
 
Constat : le politique est sans force.

Ce texte rassemble dans l’urgence de la situation, des conseils programmatiques à destination des citoyens, afin de maintenir le pouvoir politique en place, de le faire durer, seule garantie de la paix publique. Ce livre peut se lire comme un Manifeste. Le constat immédiat que dresse l’auteur est la disparition du politique et du souci du bien commun qui lui est attaché. Le souci qui prime en France est le désir individuel et les droits qui s’y rattachent. Pourquoi la disparition du politique ? Parce qu’il n’a plus de « force » : « Aussi riches de ressources matérielles et intellectuelles que nous soyons encore, nous sommes politiquement sans force »(p.13) . Nous sommes incapables de donner force et forme à notre vie commune. Echo à Machiavel pour qui l'efficacité est la morale du prince, car seul un pouvoir fort peut assurer la paix et donc garantir la moralité du peuple. Pierre Manent souligne ainsi la fin de l’Etat fort. Recourir à la laïcité apparaît dès lors comme une marque de faiblesse du politique, un trompe-l’œil impuissant pour assurer le bien commun. 
 
Deux modèles politiques à la conciliation difficile

Que la religion musulmane surgisse comme force politique fut une surprise pour les libéraux et les socialistes. Croyant à la disparition de la religion comme facteur politique, les spécialistes commencèrent par affirmer que sous le vêtement de la religion, « c’était autre chose qui se préparait»(p.19) , cet autre chose étant très flou. Evoquant les théories du désenchantement du monde et la mort prochaine des religions, Pierre Manent en appelle à  une révision de ces postulats qui cachent en fait une attitude de domination à l’égard des autres modèles politiques et religieux que ceux de l’Occident chrétien.  
Les revendications islamistes ne s’inscrivent pas dans le champ social ou politique des droits de l’homme, mais dans le langage de la loi religieuse. Cela signifie qu’il y a deux modèles concurrents, non pas incompatibles, précise Pierre Manent, mais dont la conciliation est difficile. Il y a toutefois un point commun aux deux modèles. De part et d’autre on s’éloigne d’une approche politique de la vie commune. Si la difficulté est dans la conciliation, le point de départ d’une solution digne des hommes, quelle que soit leur origine, est de mener en commun une réflexion fondée sur ce que l’auteur appelle une « amitié civique sincère »(p.28) .
 
« La laïcité interdit de juger l’état présent des lieux » (p.75)

Pour Pierre Manent, nous nous sommes forgés une Cité imaginaire autour de la République laïque. Persévérant dans cette voie nous croyons naïvement que la laïcité telle qu’elle fut appliquée sous la Troisième République, peut s’appliquer de la même façon aujourd’hui à la religion musulmane. Confusion du catholicisme et de l’Islam qui ne peut qu’entraver la réflexion. Nous fonctionnons sur un modèle ancien et utilisons des mots trop éloignés de la réalité à laquelle nous avons à faire. Il nous faut nommer directement la réalité nouvelle écrit Pierre Manent. Le mot adéquat est celui de « guerre ». À cet état de guerre il faut répondre sur le territoire national par ce qu’il nomme « la politique possible ». Qu’entend-il par la ? : «Ce compromis reposera nécessairement sur deux principes qui ne peuvent valoir que s’ils sont honorés ensemble : d’une part les musulmans sont acceptés « comme ils sont », on renonce à l’idée vaine et passablement condescendante de « moderniser » autoritairement leurs mœurs, pour ne rien dire de cette « réforme de l’Islam » à laquelle aspirent avec une passion un peu difficile à comprendre tant d’athées de notre pays ; d’autre part, on préserve, on défend, on « sanctuarise » certains fondamentaux de notre régime et certains traits de la physionomie de la France »(p.71) .
 
Trouver une forme de vie commune.

Pierre Manent insiste sur l’histoire politique. Il faut contextualiser pour ne pas tomber dans un formalisme vide. Si l’Europe a surgi de l’Empire romain, pour s’en libérer au profit de la Cité, appelée d’abord Chrétienté puis Europe, c’est l’inverse en ce qui concerne l’Islam qui n’a jamais pu abandonner la forme impériale. Tout Empire obéit à la loi de l’extension et de la fragmentation.  Les parties les plus éloignées du centre seront les plus difficiles à gouverner. L’Europe chrétienne trouva au contraire sa forme dans la nation. La distinction évangélique entre César et Dieu n’explique rien. C’est tout au plus un récit généalogique. Le principe qui gouverne la nation européenne pour Pierre Manent est « se gouverner soi-même dans un certain rapport à la proposition chrétienne » (p.96). La Cité et la Chrétienté ont en commun le principe de liberté, par la loi et la grâce. Dès lors l’Europe a toujours cherché collaboration et union entre le religieux et le politique : parler de séparation est un contresens.
 
La crise que traverse l’Europe tient au fait que les Droits de l’Homme sont compris comme « les droits illimités de la particularité individuelle ». Dès lors associations et communions n’ont plus que des prétentions d’existence. Ce repli sur soi des individus aboutit à enfermer les musulmans dans les mœurs, et à partir de là dans leurs traditions. Une façon de les exclure du politique… Ne pas sortir de la particularité, c’est manquer le politique. La tâche est de « ranimer la représentation, la conscience et la volonté d’une vie commune » (p.121). Pour cela il faut en revenir à la nation. Abandonner la souveraineté à l’individu transforme les critères du juste. Pour être acceptée une idée se doit d’être acceptée par chacun, ce qui rend impossible et impensable l’idée du bien commun dans un tel système politique atomisé où l’arithmétique remplace la proportionnalité géométrique indispensable à la notion de « commun ». De même parler des « valeurs de la République » comme disposition qui est commune à tous, sans avoir rien de commun est tout à fait absurde.

Mais la raison essentielle qui explique la faillite de l’Etat-nation, est que l’Etat ne renvoie plus qu’à lui-même, excluant la question du régime ou de toute forme politique. Ce qu’on appelle aujourd’hui « gouvernance » c’est ce détachement de l’Etat de tout ce qui relève de l’humain.
 
Des solutions ?

Retrouver un régime représentatif, c’est-à-dire un peuple à représenter : tel est le premier point selon Pierre Manent. Il faut aussi sortir de l’idée fausse selon laquelle il y aurait une « unité » européenne. Cette idée purement formelle relève d’une position idéologique et bureaucratique. L’Europe est un ensemble de nations ayant chacune leurs histoires. L’Europe actuelle n’est qu’un concept politique purement vide. Il faut lui redonner chair.

Commander aux musulmans de « prendre leur indépendance par rapport aux divers pays musulmans qui dépêchent les imams, financent et parfois administrent ou  orientent les mosquées » (p.135) . Commander, cela veut dire prendre une décision. Celle entre autre de participer au niveau local au financement des mosquées, contre la loi de 1905. Appliquer de façon rigide la loi sans tenir compte des circonstances est aujourd’hui un total contresens.

La citoyenneté sera à définir comme reconnaissance des appartenances et ouverture à de multiples liens qu’on peut toujours délier. Appartenir à une nation relève donc d’une décision, d’un engagement. Si j’accepte la nation et ses lois, je gagne ma religion. En rétrécissant le champ de la religion, car elle n’est que partie d’un tout, la religion trouve un espace pour se déployer, en participant à ce tout plus grand que le groupe. Rassembler au lieu de séparer. On comprend dès lors le refus de la ligne de démarcation introduite par la laïcité.

Nous sommes dans l’urgence. Il faut, rajoute Pierre Manent, rendre la parole à l’Eglise en tant que médiatrice et examiner ce lien indélébile entre nation et catholicisme. La religion a toujours été au cœur de la nation française. Il ne s’agit pas de nier mais de comprendre que le politique ne peut s’en dissocier. C’est à ce titre que la nation doit engager les musulmans à la rejoindre afin de construire un réel intérêt commun.



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