Lundi 3 Octobre 2016

La guerre d’extermination en Syrie et la fin du sens commun (The Conversation)


Les opérations militaires d’Assad et de Poutine en Syrie ont un nom : c’est une guerre d’extermination. Celle-ci atteint désormais une échelle sans précédent : le bombardement délibéré des civils, notamment femmes, enfants et secouristes des Casques Blancs, ainsi que des hôpitaux n’est pas nouveau. Mais elle a désormais un caractère systématique avec un objectif clair : tuer, encore tuer, tout ce qui peut l’être. C’est une guerre totale dans laquelle la Russie de Poutine expérimente de nouvelles armes, comme ces bombes qui peuvent pénétrer les abris et les pulvérisent ensuite.




Nicolas Tenzer est professeur associé International Public Affairs, Sciences Po – USPC. A enseigné la philosophie politique à Sciences Po de 1986 à 2001, puis à Paris School of International Affairs (Sciences Po) dans le Master International Public Affairs. Enseigne également à l'ENA et est professeur invité dans de nombreuses universités étrangères (Etats-Unis, Canada, Corée du Sud, Maroc, Serbie, etc.) tant sur les sujets de géopolitique et les questions internationales que sur les processus de décision (policy-making process et la stratégie publique (Public Strategy). A été aussi rapporteur à la Cour des comptes, chef de service au Commissariat général du Plan et chargé de plusieurs missions internationales pour le gouvernement français et l'Union européenne. Auteur de 21 ouvrages, dont Philosophie politique (PUF, 1994), Les Valeurs des Modernes (Flammarion, 2003), France : la Réforme impossible ? (Flammarion, 2004), Quand la France disparaît du monde (Grasset, 2008), Le monde à l'horizon 2030. La règle et le désordre (Perrin, 2011), La France a besoin des autres (France, 2012). Préside le Centre d'étude et de réflexion pour l'Action politique (CERAP), un think tank indépendant de tout parti et groupe d'intérêt et dirige la revue Le Banquet.

Alep, le 27 septembre. Le corps sans vie d'un enfant vient d'être sorti des décombres. Karam al-Masri/AFP

Les opérations militaires d’Assad et de Poutine en Syrie ont un nom : c’est une guerre d’extermination. Celle-ci atteint désormais une échelle sans précédent : le bombardement délibéré des civils, notamment femmes, enfants et secouristes des Casques Blancs, ainsi que des hôpitaux n’est pas nouveau. Mais elle a désormais un caractère systématique avec un objectif clair : tuer, encore tuer, tout ce qui peut l’être. C’est une guerre totale dans laquelle la Russie de Poutine expérimente de nouvelles armes, comme ces bombes qui peuvent pénétrer les abris et les pulvérisent ensuite.

Beaucoup, y compris dans un propos sensible et poignant, l’ambassadeur de France auprès des Nations unies, ont fait à juste titre l’analogie avec Guernica : l’aviation de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste avaient anéanti la ville tandis que les troupes franquistes agissaient au sol. En Syrie aussi, les avions russes dominent les airs tandis que les troupes de l’armée du régime et du Hezbollah soutenu et armé par l’Iran agissent à terre.


Cette guerre d’extermination est promise à s’intensifier dans les jours et les semaines qui viennent. Des crimes de guerre de plus en plus évidents et que la Russie ne cherche même plus à dissimuler s’ajoutent aux crimes contre l’humanité commis par le pouvoir d’Assad, notamment dans les prisons du régime où les tortures les plus sadiques sont une pratique courante.

« Tout est désormais vain »

Cela, tout le monde le sait, ou devrait le savoir. Innombrables sont les écrits où cela fut exposé depuis plus de cinq ans. Tout est parfaitement documenté.

Tous ont dit et répété à l’envi que le « plus jamais cela » – proféré à nouveau après Auschwitz, Srebrenica, le Cambodge, le Rwanda, etc. – était devenu pitoyable.

Tous ont dit, convoquant les auteurs classiques, que l’indifférence était le pire péché, que le silence était crime, que l’inaction était complicité.

Tous ont dit et répété encore, moi comme tant d’autres, qu’il fallait sauver Alep et la Syrie, appliquer les principes de la « responsabilité de protéger », faire respecter militairement une zone de non-survol, qui reste encore une option possible, intervenir en somme.

Tous ont dit et redit que seuls les États-Unis, avec leurs alliés, en étaient capables et que c’était leur responsabilité première. Et ses plus fidèles soutiens, par ailleurs, ont dénoncé la pleutrerie de Barack Obama, son irresponsabilité, son cynisme, parfois sa stupidité et, pour tout dire, sa responsabilité devant l’histoire. À la faillite morale des États-Unis s’ajoute ainsi sa déroute stratégique.

Tous ont dit, y compris l’auteur de ces lignes, que toute négociation avec la Russie, non pas solution, mais premier agresseur, était un jeu de dupes, que cela la renforçait en Syrie comme ailleurs.

Tous ont dit et redit que les multiples projets de trêve étaient voués à l’échec – et ils le furent, souvent plus vite que les plus pessimistes ne le pensaient.

Tous ont dit et redit combien les mots diplomatiques – préoccupation, elle-même parfois vive ou même très vive, « injonction de », « demande expresse que », « condamnation sans ambiguïté de » – ajoutaient de l’indécence aux souffrances.

Tous, enfin, ont considéré, avec réalisme, que l’ONU ne pouvait rien faire, car bloquée par la capacité de veto de la Russie – et souvent de la Chine – au Conseil de sécurité.

Et tous ont vu, enfin, les visages gris et terreux, zébrés de sang séché, le crâne parfois éclaté, les corps démembrés et éviscérés, des enfants assassinés et pour les plus chanceux – provisoirement – les pleurs et les larmes devant des linceuls sans fin – ceux de leur père, de leur mère, de leur frère, de leur sœur ; ils ont été bouleversés, ont pleuré eux aussi, ont appelé à l’action, ont dénoncé une prétendue « impuissance » qui n’est qu’un mot pudique pour dire la veulerie et l’indignité.


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