Mardi 26 Aout 2014

[JOL Press] "L'État islamique est dans une logique apocalyptique"


Entretien avec Wassim Nasr, journaliste, veilleur-analyste pour France 24 et spécialiste du Moyen-Orient et des mouvements djihadistes.



« L’Etat islamique ne craint pas d’attirer les Etats-Unis vers l’Irak : au contraire, il pense qu’il est en train d’accomplir la prophétie »(Crédit photo: Oleg Zabielin / Shutterstock.com
 
« L’Etat islamique est plus qu’un simple groupe terroriste. Il allie idéologie et sophistication militaire. Il est incroyablement bien financé. Cela va au-delà de tout ce qu’il nous a été donné de voir », a déclaré le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, jeudi 21 août. Malgré les frappes aériennes américaines qui durent depuis deux semaines contre les bastions djihadistes en Irak, et les appels internationaux à lutter contre lui, l’Etat islamique poursuit sa conquête du territoire dans une logique de « fin du monde ».

Bagdad : le maillon fort ?
  JOL Press : Le territoire que l’Etat islamique contrôle est-il aussi vaste qu’il le prétend ? Pourquoi n’a-t-il pas encore pris Bagdad ?
 

Wassim Nasr : Oui, il contrôle un pan important du territoire syrien et irakien. Même s’il y a beaucoup de grandes étendues désertiques inhabitées, notamment en Irak, l’Etat islamique contrôle des villes importantes et des champs gaziers stratégiques. Bagdad n’a jamais vraiment été en danger, pour la simple raison que la situation démographique de la ville a changé depuis la chute de Saddam Hussein. Bagdad, qui était une ville à majorité sunnite, est devenue majoritairement chiite entre 2003 et aujourd’hui.

L’Etat islamique n’a donc jamais investi cette grande agglomération qui ne lui est pas favorable. Il lui faudrait des ressources humaines et matérielles énormes pour tenir Bagdad. Investir la ville avec armes et bagages, comme il l’a fait à Mossoul ou Fallouja, n’est pas dans la logique de l’Etat islamique. En d’autres mots, l’EI a les moyens de son ambition, jusqu’à ce qu’il se heurte à un terrain hostile.

Par contre, il opère dans la ceinture sunnite de Bagdad, au nord et au sud de la ville. Là, il a une certaine liberté d’action, il peut harceler l’armée, la police, commettre des attentats à l’intérieur de la ville. Mais il est encore loin de planter son drapeau noir dans Bagdad.
 
Le « rempart » kurde
  JOL Press : En s’attaquant au Kurdistan, principal allié des Etats-Unis, l’Etat islamique n’a-t-il pas pris un gros risque ?
 

Wassim Nasr : En fait, jusqu’à maintenant, l’Etat islamique n’a pas attaqué directement le Kurdistan. Il a attaqué les peshmergas [combattants kurdes, ndlr] dans des zones contestées avec Bagdad, hors des frontières administratives du Kurdistan tracées en 1991, après la première guerre du Golfe, quand les Kurdes ont obtenu leur autonomie.

Après 2003 et la chute de Saddam Hussein, les peshmergas ont avancé et sont sortis du Kurdistan administratif. Désormais, avec la débandade de l’armée irakienne, les Kurdes ont continué leur expansion et pris des zones riches en pétrole, comme Kirkouk. Ils veulent créer une sorte de ceinture de sécurité autour de leur territoire, mais cela n’a pas vraiment fonctionné, parce que l’Etat islamique a repris certaines de ces zones.

Après la débandade de l’armée irakienne, les Kurdes ont été perçus par le monde entier comme les uniques remparts contre l’Etat islamique. Il était donc inévitable que l’Etat islamique se retourne contre eux. Les djihadistes se sentaient obligés d’opérer une sorte d’attaque préventivepour se protéger, sans pour autant dépasser les frontières administratives du Kurdistan.

Les Kurdes, par ailleurs, ont un rôle assez ambigu. Ils ont aidé l’armée irakienne à certains moments. De même, en Syrie, certains Kurdes aident l’armée syrienne et d’autres combattent Bachar al-Assad. Les Kurdes ne sont pas une entité homogène, il y a beaucoup de mouvances au sein de leur groupe : on trouve même des Kurdes, notamment dans la ville d’Halabja, qui rejoignent les rangs des djihadistes de l’Etat islamique. À mon sens, le danger pour le Kurdistan vient plutôt de ces gens-là que d’une invasion avec tentes, chars et drapeaux de l’Etat islamique.
 

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