Actuellement doctorant en histoire contemporaine, sa thése porte sur le discours religieux dans les… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 2 Mars 2013

Introduction à l'enjeu confessionnel dans les manuels d’arabe pour francophones



 L'arabe, une langue d'avenir en France ? Si l'on en juge par les débats actuels sur l'intégration ou sur l'Islam, rien n'est moins certain. En effet, l'enseignement de l'arabe, pourtant centenaire, semble laissé à l'abandon par l'éducation nationale, au profit des institutions islamiques qui ont capté la demande. Au travers de cette contribution, sujet de sa thèse, l'auteur dresse l'état de l'enseignement de l'arabe en France en tentant d'en dégager "la part d'islamité". 


Il n’est rien qui ne concerne l’arabité et l’islamité sans déclencher de vifs débats dans les sphères de décisions de notre pays [1] ; nous voulons parler au premier chef ici de nos organes d’Education nationale en relation avec la langue arabe évidemment. Nous assistons depuis plusieurs années à un net recul de l’arabe en tant que pratique de l’enseignement public tandis que - par un principe de vases communicants – l’enseignement de cette langue connaît un succès croissant dans le cadre privé, associatif et quelquefois même franchement confessionnel. La vague éditoriale puissante qui est l’objet de notre étude menace-t-elle l’enseignement de l’arabe conduit par l’initiative publique ?

Cette contribution est ainsi l’occasion d’un éclairage panoramique sur l’état de l’enseignement de l’arabe en France. Il s’agit ici d’y entreprendre une biopsie, une plongée dans les éditions afin d’en pondérer la part d’islamité. C’est en outre l’occasion d’en saisir l’évolution depuis les années 60 et d’en dresser un état des lieux actuel sur tous les plans. Le marché du livre dans le domaine témoigne aujourd’hui d’une vitalité éditoriale sans précédent. L’émergence récente [2] de la sphère confessionnelle a jeté un éclairage nouveau sur les récentes configurations d’apprentissages et les motivations d’apprenants jusqu’alors délaissé aux espaces confessionnels.

Il s’agit des questions de :
- la typologie des manuels d’arabe ;
- la définition de la langue arabe qu’ils véhiculent (communicationnelle, confessionnelle) ;
- l’évaluation des contenus religieux ;
- du rapport de ces contenus religieux avec la citoyenneté.
 

Typologie des manuels : un classement à trois volets

 Ces dernières années témoignent d’une profusion de manuels d’arabe diversifiés tant dans leurs méthodes que dans leurs objectifs, et que l’on peut décliner en trois catégories distinctes :

1. La première, la plus ancienne en France, est le support d’une didactique de l'arabe langue étrangère représentée par les efforts du service public de l’Education Nationale française. Ces manuels sont généralement conçus à l’initiative d’universitaires et d’enseignants d’envergure nationalement reconnue [3] et s’inscrivent dans le cadre d’une laïcité rigoureuse, allant parfois jusqu’à bannir tout référent religieux fût-il idiomatique. L’enseignement de l’arabe s’y trouve dans le projet d’écriture pratiquement départi de toute dimension confessionnelle. Dans ce registre, la langue est abordée comme un outil de communication, considérée avant tout sous un prisme culturel, vecteur d’une ouverture internationale et sans doute aussi en rupture volontaire avec les contenus religieux.

2. Dans une deuxième catégorie de manuels, on trouve l'utilisation, plus récente, de la langue arabe à coloration musulmane à travers des méthodes conçues en France et des manuels importés des pays arabo-musulmans. Ces manuels sont, pour l’essentiel, pris en charge par des éditeurs musulmans désireux d’offrir en plus d’un savoir islamique diffusé par des livres de religion, un enseignement de l’arabe [4] Des versions parallèles sont aussi conçues par des amateurs et téléchargeables gratuitement sur Internet.

3. Internet : un phénomène hybride qui se manifeste à travers l’émergence d'un troisième axe : l’enseignement de l’arabe sur plateforme web [5], constituant une sphère aussi nouvelle qu’effervescente. Dans cette catégorie d’enseignement de l’arabe en ligne, les réseaux sociaux (blogs ; forums ; partage vidéo) sont sans doute la plateforme websociale la plus effervescente. On ne compte plus désormais, en sous catégories de ces sites web, les blogs consacrés à la prédication islamique (en partie de tendance salafiste tels que Salaf Ahl Sunna [6] ou ‘Ilm Chari’a [7]. Quoique l’activité principale de ces officines soit bien-sûr de nature prosélyte, elles intègrent une dose appréciable d’apprentissage de l’arabe liturgique.

En termes quantitatifs, le nombre de sites tenus par des mouvances salafistes est considérable et multiforme. L’apprentissage de l’arabe y est généralement associé et présenté soit dans des rubriques « apprentissage », soit à travers des liens vers d’autres sites, des conseils de lectures (majoritairement tournés vers la méthode de Médine) et qui laissent apparaître par endroits des mises en garde sur tel auteur, ou telle école .[8] Les sections consacrées à l’apprentissage de l’arabe sont accompagnées de leçons, sous la forme de sermons religieux (ḫuṭab) rappelant le caractère sacré de la langue arabe en islam.

Cette typologie générale des manuels et supports d’apprentissage de l’arabe laisse en outre observer que chaque méthode semble avoir son public. Si le premier volet s’adresse à des apprenants scolarisés ou autodidactes en situation d’enseignement extensif dispensé dans le cadre scolaire ou universitaire, les deuxième et troisième volets répondent surtout à des attentes confessionnelles d’une partie de la population musulmane issue de l’immigration ou convertie pouvant se résumer à une « recherche identitaire à base « ethnique » ou religieuse » pour reprendre la description de Brigitte Tahhan, ancienne inspectrice régionale d’arabe de l’académie de Versailles [9].
Enfin, à en croire le directeur de l’Observatoire de l’enseignement de l’arabe qui prépare un état des lieux des librairies musulmanes en France, il semble se remarquer une nette prépondérance des livres d’origine saoudienne à tendance réputées wahhabites [10] dans les foyers de concentration de librairies musulmanes en région parisienne, il s’agit peut-être d’un reflet de l’état des librairies musulmanes de France, sinon au niveau des orientations doctrinales, du moins au niveau du succès de ce genre de stock.
En clair, en termes mercatiques, nous assistons à la compétition de produits relevant de deux conceptions que l’on serait tenté de percevoir a priori comme antinomiques. A des manuels véhiculant un arabe destiné à la simple communication humaine (portée par les méthodes les plus anciennes, les plus élaborées, les plus diffusées dans le public, conformes aux principes laïcs), font actuellement pièce des ouvrages confinant l’arabe au rôle d’outil strictement liturgique (lecture Coran, aḥādīṯ, prières) diffusés dans le privé et plus récents.

Quelle part d’islamité dans ces manuels et supports ?

Si on admet qu’il y a du contenu islamique, il faut avant tout que l’on soit d’accord sur ce dont on parle. C’est précisément un des problèmes épistémologiques essentiels de notre travail [11]. Ceci suppose donc une méthode que nous allons aborder dans cette deuxième partie. Comment donc procéder pour prendre la mesure de cette islamité ?

Le projet est délicat car si le référent religieux est apparent, il n’est pas pour autant évident à qualifier et pourrait par conséquent entraîner de fausses mesures. Par exemple, est ce que la présence d’une basmallah calligraphiée en préambule d’édition est un élément significatif du discours religieux ou n’est-ce plutôt qu’un label destiné au « consommateur » attestant que le document est « certifié » islamique, fait par un musulman et/ou à l’adresse d’un public musulman ? Pour répondre à cette question, cela suppose au préalable, d'effectuer un travail terminologique bâti sur un dépouillement de textes ainsi que sur une analyse conceptuelle connexe.

Si le manuel s’adresse à un francophone, non musulman, cela veut dire que bismillah implique un appel de note en bas de page (« ḥamdulillāh » expression coranique … employée dans la praxis… ; « inšā’allāh » : expression venue de la sunna selon laquelle il est malséant de se projeter dans le future sans l’avoir dite… »). Si au contraire le public est arabophone et musulman la question du religieux ne se pose pas dans la mesure où l’expression est intégrée dans sa mémoire « confessionnelle » et/ou « culturelle ».

L’islamité est ainsi délicate à évaluer car cela implique de distinguer le contenu didactique relevant du liturgique et le référent religieux comme composante du décor, plus formel que signifiant. Vous percevez le coté délicat et labile de l’islamité d’un livre : certains contenus vont être certes liturgiques à l’endroit du lecteur, et auront pour vocation de nourrir son espace mental de croyant. En revanche, il en est d’autres qui sont tout au plus des éléments relevant du décor culturel et civilisationnel accompagnant nécessairement un univers linguistique.

Encore, sur ce point, si l’on admet qu’il n’est de langue naturelle en dehors d’un univers linguistique (preuve a contrario dans le cas de l’Esperanto), l’analyse de Lorcerie (1984) sur les ELCO jette un éclairage intéressant sur l’objet de notre réflexion. En effet, les conclusions de cette chercheuse aboutissent à insérer le religieux par rapport à l’enseignement de l’arabe comme composante civilisationnelle. La part religieuse des cours dispensés dans le cadre des ELCO fait écho à des pratiques du pays d’origine de l’enfant (orthopraxie, coutumes culturelles) ayant pour vocation de re-tisser un lien avec la mémoire culturelle du pays dont sont issus ses parents. Il y a de cela dans les manuels d’arabe dont nous faisons le recensement, à la différence que le public-cible n’y est pas nécessairement d’origine ethnique arabe.
Incidemment, il se pose la question de la spécificité de l’arabe comme objet d’apprentissage dans des éditions où la prépondérance de l’enseignement confessionnel est telle qu’il est parfois difficile d’identifier, dans les contenus, les objectifs didactiques énoncés en introduction de manuel. En effet, peut-on encore parler d’apprentissage de l’arabe quand la langue sert d’outil à une instruction religieuse ? Ce point nous conduira d’emblée à réfléchir aux difficultés à dissocier l’arabe comme objectif final d’enseignement, et l’arabe comme outil d’une éducation religieuse (nous désignons par « arabe cultuel » [12] l’apprentissage de la langue bâti principalement sur de la littérature religieuse (qur’ān/aḥādiṯ), et dont la principale ramification est l’enseignement de la foi et de la morale musulmanes[13]).

Nous nous proposons de classer la typologie de l’élément religieux en trois parties, selon la prégnance décroissante de la langue dans le processus d’apprentissage :

a. Le religieux comme élément culturel : Apprendre l’arabe sur la base d’un contenu didactique composé en partie de matière religieuse (souvent présentée comme constitutive de la culture islamique ou arabo-islamique) ;

b. Le religieux comme finalité de l’apprentissage de la langue : Apprendre l’arabe comme préparation à l’’instruction islamique (contenu didactique en partie fondé sur de la littérature islamique). Dans ce cas, l’apprentissage de la langue reste réel mais précède celui de la religion.

c. Le religieux comme ressort de l’apprentissage de l’arabe : Apprendre l’islam en apprenant l’arabe (les contenus didactiques sont exclusivement religieux). Ici, enfin, l’apprentissage de la langue se réduit à celui d’un canal au service de la religion dès le début du cursus. Ou, pour s’exprimer en termes didactiques et lever toute ambigüité, il n’est plus question ici de performance langagière
 
 

Des stratégies éditoriales axées de plus en plus sur le religieux : analyse à macro-échelle

Il pourrait se trouver incidemment que le contexte éditorial révèle des connotations à la sphère du religieux. L’ordre chronologique de parution des ouvrages et le déroulement de leur curricula font souvent du manuel d’arabe un préalable, parfois indispensable, à l'éducation islamique laquelle se présente comme un aboutissement. Par exemple, le troisième tome d’une même collection d’arabe conduit l'étudiant à aborder in fine un manuel distinct d’éducation islamique chez le même éditeur [14].
Nous avons recensé les informations disponibles sur les auteurs, les éditeurs et les autres concepteurs des manuels étudiés selon les quatre critères suivants: l'historique de l'éditeur/école/institut; les méthodes d'enseignement et les programmes; le contexte éditorial (les collections, les manuels édités, etc.); les publics-cibles. Ces informations laissent bien entrevoir des stratégies éditoriales. Or celles-ci ne sont pas toujours perceptibles dans les préambules eux-mêmes, lesquels restent la plupart du temps laconiques, éventuellement laudatifs, et dépourvus de référent confessionnel [15]. D’autres encore, adjoignent des éléments de cours religieux en deuxième partie d’ouvrage visant l’acquisition de schèmes par la répétition et la mémorisation du Coran ou d’éléments d’instruction religieuse [16].

Une relation d’inféodation à une organisation musulmane et des activités parallèles islamiques sont aussi très caractéristiques chez les nouveaux concepteurs. Nous ne pouvons pas rentrer dans le détail pour chaque éditeur, mais voici les données chiffrées qui les caractérisent :
- 182 méthodes recensées [17].
- 71 d’entre elles sont des méthodes d’arabe présentant du référent religieux. Elles ont été produites par 21 éditeurs spécialisés dans des produits et services islamiques
- Enfin, de ces 21 éditeurs seuls 4 sont réellement spécialisés dans l’enseignement de l’arabe. Tous offrent, en parallèle, une gamme d’ouvrages consacrés à l’islam et destinés spécifiquement à un public musulman (prophétologie pour les enfants, bréviaires, instruction religieuse, fiqh, orthopraxie, etc.). [18]

Dans la forme éditoriale que nous abordons maintenant nous constatons à nouveau la présence d’une dynamique fortement orientée vers les demandes en culture religieuse d’un public (mesurable en unités de famille) de confession musulmane. En effet, des activités telles que concours de mémorisation du Coran, compétitions sportives, chorales, forums, conférences, formation de formateurs en langue arabe, tressent effectivement les mailles d’un environnement confessionnel dont l’ambition dépasse à présent de loin le seul enseignement linguistique. Nous parlons désormais d’un cadre structurant pour ne pas dire protecteur. Nous sommes passés ici du simple tutorat individuel (élèves) à de l’action sociale de masse (la ğamā‘a, ou congrégation musulmane d’une région, d’un pays).

Des stratégies dans le contenu du manuel : analyse à micro-échelle

Jusqu’à présent, au terme d’un premier examen de ces manuels, nous avons constaté que leur orientation globale dont nous venons de faire état, n’exclut pas une typologie en sous-catégories selon les spécificités visées par les divers concepteurs. Pour exemples de cette diversité, évoquons les critères suivants :

- référent musulman (statut de l’iconographie, et dans son sillage de l’idéal musulman ; décor du monde islamique classique ; datation et nécrologie sur le registre hégirien ; communication d’expression islamique (expressions idiomatiques musulmanes).

- présence du discours moralisateur, à la fois à l’intention du parent/répétiteur et de l’élève (récits islamiques édifiants ; références religieuses faisant autorité ; etc.).

- positionnements doctrinaux : valeurs des attributs divins ; condamnations à l’encontre des bida‘[19] ; sacralité de la Tradition et de ses figures ; sacralité de l’arabe come langue divine et caution religieuse de son apprentissage.

- « hiatus de l’Histoire »[20] : prétention à l’historicité des récits coraniques, prophétiques, etc. ; présentation des actes de foi comme relevant de l’histoire.
- alternance stratégique de l’apprentissage de l’arabe avec des programmes d’éducation islamique.[21]

- approches d’enseignement implicites et explicites quant aux structures morphosyntaxiques de la langue.

- agencement stratégique entre : sémantisme et mémorisation ; graphie, déchiffrement et lecture.

- position de rupture avec les études modernes et occidentales sur l’arabe[22].

- Dans un petit nombre de manuels dotés de préambules didactiques, leurs auteurs prêtent à la connaissance puis à la maîtrise de l’arabe une vertu séculaire d’aide à l’intégration des apprenants dans le milieu européen qui est désormais leur (les jeunes générations de l’immigration n’ont plus le projet de retour au pays). Cette remarque, pour anodine et pieuse qu’elle puisse paraître méritera sans doute une analyse beaucoup plus affinée dans notre travail de thèse, étant donné qu’elle reprend à son compte l’un des acquis de la sociologie et de la didactique moderne [23]: la réconciliation du migrant avec son passé linguistique et culturel est un facteur structurant dans son milieu d’accueil. Pour preuve, l’expérience novatrice conduite en ce moment en Allemagne dans le cas de l’école Rülti [24]
 

Des tensions nées de l’asymétrie d’effectifs entre les dynamiques privées et publiques

Du côté public : crainte du repli communautaire

Les médias dont nous rendons compte ici en premier lieu sont à l’origine de la publicité donnée à ce problème ceci, en stipendiant en particulier le silence coupable des autorités de décision en la matière [25].
En parallèle, les universitaires n’ont pas manqué non plus de faire entendre leur préoccupation sur le déclin de l’arabe dans leur espace de magistère. Leur langage et leurs conclusions sont toutefois d’une teneur plus mesurée et technique comme par exemple dans deux articles signés dans des périodiques de grands tirages en 2004 [26] et à l’occasion du Centenaire de l’agrégation d’arabe e n 2006 [27] pour alerter notamment contre l'abandon de cette langue aux associations communautaires [28].
Ensuite, se sentant évidemment interpelés, les voix du champ politique n’ont pas tardé à retentir à leur tour. Des sénateurs de bords différents en appellent au secours de la République en péril face au challenge de « l’arabe en pleine croissance dans les mosquées » en des termes de haute rhétorique.[29]
Représentant enfin le niveau populaire, les blogs, forums et réseaux sociaux préoccupés de la Chose publique font également écho à ce débat… auquel s’est récemment greffée une nouvelle flambée des esprits au sujet de l’initiative du PS d’intégrer l’arabe dans les cursus du collège, fut-ce à titre d’hypothèse de travail purement théorique[30] .

Du côté des sphères privées : crainte d’atteinte à l’identité

Ces appréhensions sont perceptibles dans les discours d’organisations islamiques sur l’enseignement de l’arabe en France. Prenons pour exemple les actions de l’ISESCO, organe emblématique dans ce domaine, et fidèlement représentatif d’une vision panislamique de la culture, selon laquelle l’arabe est l’un des plus puissants ciments de la Oumma après celui du crédo islamique du Tawḥīd. Ce que l’on retrouve dans la littérature intellectuelle islamiste d’expression arabe sous la vedette de ‘urūba (arabité) [31]. De ce postulat découle naturellement un devoir sacré de défense de l’arabe pour les communautés musulmanes de la diaspora, en tant que dernier rempart de leur identité et de leur dignité.
C’est dans cet esprit que l’ISESCO en partenariat avec les éditions Granada lance périodiquement des projets triennaux (plan de formation nationale, forum, colloques, études, etc.) au nombre desquels ne manque jamais de figurer le soutien « aux États membres non arabophones et les communautés musulmanes à l’extérieur du monde islamique ».[32] Ces idées trouvent un écho à travers d’autres initiatives [33].

Conclusion

Pour conclure cette communication, il nous paraît opportun de souligner que la situation de glissement de l’arabe de la sphère publique vers celle du privé, si elle est un fait avéré, est encore loin de nous livrer une analyse claire de ses tenants et aboutissants. Le dictionnaire le plus employé à son endroit, vous l’aurez constaté, est celui des passions entourant cette montée de l’enseignement d’arabe de la sphère privée. Sans doute, conviendra-t-il donc d’examiner une convergence de phénomènes idéologiques et sociétaux.
Ce sujet de travail cache probablement beaucoup plus de complexité que son intitulé le laisse voir. Il se pourrait aussi que ce phénomène de masse de manuels se révèle finalement éphémère du fait d’une programmation d’apprentissage souvent peu élaborée et d’un cadre éditorial volatil, face à une concurrence croissante des supports internet. Enfin, bien que ce phénomène concerne à diverses proportions tout l’espace européen notre recherche se limitera au cadre national.
 

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[1] Se référer notamment aux récentes interventions du Vice Président de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de son ancien secrétaire. Cf. note 43 de la présente contribution.

[2] Un premier examen laisse observer qu’une forte proportion de ces éditions est ultérieure à l’année 2000. (Pour complément, cf. CHEIKH, Y. L’enseignement de l’arabe en France - Les voies de transmission. Langues et migrations. Revue Hommes et migrations, novembre-décembre 2010, N°1288).

[3] …comme Blachère, R ; Reig, D ; Deheuvels, L-W; Neyreneuf, M ; Al-Hakkak, G ; Tahhan, B ; Canamas, C ; Boudaakkar, M ; Schmidt, J-J.

[4] Cf. éditions el-Kiteb, Editions du Safran, L’Univers du savoir, Jeunesse sans frontières, Granada, etc.

[5]Bernard GODART présente le web comme un acteur jouant « aujourd'hui un rôle déterminant en matière de guide religieux : (…) dispensant sur un nombre incroyable de sites toute une gamme de conseils, d'avis, quelquefois personnalisés (…). Certains sites sont devenus le canal privilégié de communication des groupes salafistes : aux forums de discussion sophistiqués sur l'interprétation de tel verset ou de tel hadith se rajoute les éternelles condamnations de ceux qui sont sortis de la « voie juste », mais aussi la diffusion d'images du jihad en Tchétchénie ou en Iraq. » (cf. Islam de France, Islam en France, Texte de la 647e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 2 octobre 2007).

[6] SALAF AHL SUNNA [en ligne]. Mis à jour le 12/11/09. Consulté le 03/08/11. Disponible sur : http://noyon.sounna.free.fr/index.php/Cours-d-arabe/La-priere-SSALAT/extensions/id-menu-28.html ;

[7] ‘ILM CHARI’A [en ligne]. Mis à jour le 03/08/2011. Consulté le 03/08/2011. Disponible sur : http://3ilm.char3i.over-blog.com/article-programme-d-apprentissage-des-bases-de-la-langue-arabe-logiciel-61642362.html).

[8] Cf. un passage instructif sur : http://3ilm.char3i.over-blog.com/

[9] « Alors que, dans l’enseignement scolaire, la langue est considérée avant tout comme un outil de communication, la demande du public (familles, élèves, étudiants) est bien différente : le communautarisme, l’ethnicisation, fragilisent l’édifice construit patiemment durant plusieurs décennies pour faire de l’arabe une des langues de l’École. » Contribution intitulée « pédagogie de l’arabe en France » dans : Manuels d’arabe d’hier et d’aujourd’hui, France - Maghreb, XIXe - XXIe siècles. Journée d’étude organisée par la Bibliothèque nationale de France, 29/09/2009)

[10] Pour preuve, certaines signatures d’auteurs emblématiques de ce pays et de cette mouvance : Ibn Uthaymin, Ibn Bâz.
[11] A ce titre, Lorcerie (1984 ) conclut, dans son étude des manuels d’ELCO, qu’il convient de dissocier l’éducation islamique, « visant à étayer la foi, et l’enseignement d'une culture religieuse », la différence tenant « à la réserve personnelle du maitre (concepteur) et à la nature des exigences vis-à-vis des élèves ».
[12] Cf. Pixelgraf ; Famillemusulmane.com. J’apprends l’arabe à mon enfant : Savoir lire et écrire. Paris : Pixelgraf, Famillemusulmane.com, 2007. Nadwî (al-), A. ; Sawâlih, A ; Ayyûb, M. Qisas al-nabiyyîn. Paris : Al-Madrassah, 2002 ; al-Nadwî, A. ; Ayyûb, M. Sîra Khâtim al-nabiyyîn. Paris : Al-Madrassah, 2010 ; ZEINO, M. Pour apprendre l'arabe et le Coran facilement. Paris : Editions Tawhid, 2002, 108 p ; ZEINO, M. Apprendre l'arabe et le Coran pour les francophones [livre, CD]. Paris : Zeino, 2007, 70 p ; ORIENTICA. Al-Mu'allim 1,2 en DVD : pour apprendre le Coran, les invocations et la langue arabe. [DVD] - Paris : Orientica. [Langue d’accès : arabe – français] ; GENERALIA MULTIMEDIA. IQRA : Apprendre l'arabe le Coran et les Hadiths. [CD-ROM]. Paris : Orientica, Generalia Multimedia, 2003, etc.

[13] Cf. ZOUITEN, C. Les histoires de mon alphabet arabe. Paris : Tawhid, 2006, 36 p ; IBN AJURRUM, Le cadeau somptueux (Commentaire de Al-Ajourroumiyyah). Paris : Dâr As-Safinah, Collection : Les Bilingues, 2010. AFFES, H. Collection : « J'aime la langue arabe » - Valise de l’enseignant – Guide de l’enseignant - Manuel de l’élève – Cahier d’activités - Niveaux 1-4. Paris : Ed. Jeunesse Sans Frontières, 2007, etc.

[14] cf. Jeunesse sans Frontière; Univers du Savoir; al-Madrassah; Granada, et bien d’autres.

[15] Cf. certains volumes des collections « j’aime l’arabe » des éditions Jeunesse sans Frontière.

[16] Cf. Ayoub, M. J'apprends l'arabe (Niveaux 1,2). Paris : Langue d’accès : arabe - français, La Madrassah, 1991, 95 p ; Ayoub, M. La grammaire simplifiée. (Al-nahwu al-muyassar). Paris : La Madrassah. s.l.n.d ; AFFES, H. Collection : « L'arabe pour les jeunes », Niveaux 1-4 - Valise de l’enseignant – Guide de l’enseignant - Manuel de l’élève – Cahier d’activités -Paris : Ed. Jeunesse Sans Frontières, 2008.), etc.

[17] Sans compter les manuels de morphologie/grammaire et les guides de conversation / tourisme / voyage.
[18] L’origine islamique de ces éditeurs expose les manuels à la problématique des stratégies de communications publicitaires. En effet, il y a généralement un encart publicitaire réservé aux ouvrages de religion de l’éditeur.
[19] Les éditions Granada et Jeunesse Sans frontières offrent des programmes plus élaborés et plus complets que la moyenne des méthodes que nous avons recensées jusqu’à présent et jouissent d’un certain prestige dans les « écoles associatives » en France (CHEIKH, 2010). Cependant, bien qu’elles prétendent cantonner l’éducation islamique dans des collections distinctes, l’examen des contenus didactiques révèlent néanmoins un fond confessionnel.
 
[20] Cf. Introduction de ABDOURRAHIM, F. Méthode d'apprentissage de langue arabe utilisée à l'université de Médine - Tome 1 - 3e édition, revue et corrigée - Editions el-Kiteb, 2010, 199 p.

[21] Une récente enquête menée par l’Ined et l’Insee fait apparaître que la langue d’origine peut être une ressource potentielle à l’intégration. (Cf. Condon, S . Régnard, S. Héritages et pratiques linguistiques des descendants d’immigrés en France. Langues et migrations, n°1288, novembre-décembre 2010.) Lire également Vigner, G. La scolarisation des enfants nouvellement arrivés en France. Langues et Cités, n°13, Nov. 2008 : « Si l’on choisit d’œuvrer en faveur du plurilinguisme au sein de l’institution scolaire, une démarche pertinente consisterait à prendre en compte, à côté des langues habituelles de diffusion scolaire, les langues issues de l’immigration. Dans cette perspective, il est non seulement possible, mais aussi utile, d’envisager des actions qui rendent ces langues plus visibles, ceci dans un double but : d’une part, permettre aux enfants de migrants de comprendre qu’ils viennent de cultures dignes de respect et qu’ils sont porteurs de compétences plurilingues qu’ils doivent pouvoir mieux exploiter, d’autre part, amener leurs camarades francophones natifs à découvrir, grâce à eux, le monde dans son infinie richesse culturelle ».

[22] Située dans le quartier turc de Neukölln, à Berlin, l’Ecole Rütli enseigne la langue arabe comme un moyen d’intégration des populations musulmanes immigrées en Allemagne. Cf. http://www.dw-world.de/dw/article/0,,6336271,00.html et http://www.liberation.fr/monde/0101108639-la-voie-sans-issue-du-college-allemand.
[23] Cf. Introductions, notes et commentaires de IBN AJURRUM, Le cadeau somptueux (Commentaire de Al-Ajourroumiyyah). Paris : Dâr As-Safinah, Collection : Les Bilingues, 2010 : Note p.30 :« De plus ce type de position (NDR : le fait d’inclure le sens de « signe » au mot Kalâm) a été propagé par des innovateurs (moubtadi’ah), dont le but final était de nier qu’Allah parle en émettant des sons qui soient audibles. Or, la notion de kalâm désigne « quelque chose de prononcé, qui est compris/noutq moufahm (cité dans Al Houlalou al dhahabiyya ‘ala touhfati asSaniyyah, p.28 note2). Nous ne suivons donc pas le commentateur dans sa voie, car nous sommes convaincus que la Parole d’Allah est constituée de sons émis et audibles : c’est le Noble Quran. Telle est la position des Gens de la Sunnah et de la Communauté (ahlu sunna wal jama’a). »

[24] Nous empruntons le concept au philosophe iranien Daryush Shayegan (Le regard mutilé – schizophrénie culturelle: pays traditionnels face a la modernité. Paris : Albin Michel, 1988) auquel se réfère Dominique Avon pour caractériser et remettre en cause les prétentions à l’historicité de certains ouvrages récents d’intellectuels musulmans (AVON, D. L’autre histoire de Tariq Ramadan, dans Libération.fr, 15/11/2006). L’Atlas du Coran des éditions Sana s’en fait récemment l’écho.
[25] Pour citer l’un des articles plus retentissants : « les chefs d'établissements étant extrêmement réticents à ouvrir des classes d'arabe aussi bien dans les établissements défavorisés où l'on craint que cette langue ne contribue à la ghettoïsation de l'établissement que dans les lycées de centre-ville où l'on craint que l'ouverture de cette option attire dans ce lycée des populations "à problèmes" », PERUCCA, B. La langue arabe chassée des classes, Le Monde, 15.10.09 : http://www.lemonde.fr.
 
[26] DEHEUVELS, L ; LAGRANGE, F. La langue arabe, un enjeu social. Dans Libération, Tribune 16/03/2004 : www.liberation.fr/tribune/0101481893-la-langue-arabe-un-enjeu-social ; DEHEUVELS, L ; LAGRANGE, F ; AYOUB, G. Les professeurs d'arabe sur la touche. Dans Libération, Tribune. 06/07/04 :

[27] Cf.Situation de l'offre du service public et enjeux de l'enseignement de l'arabe aujourd’hui : la « masse manquante », DEHEUVELS, L-W ; DICHY, J. Actes du colloque Centenaire de l'agrégation d'arabe, 1906-2006 Les études arabes en France : quelles perspectives ? quels enjeux ?, DESCO, 2008.

[28] Suite à la non publication des dates et de la fermeture du CAPES en 2011, l’AFDA réagit sur son site web en invoquant notamment « la pressante nécessité de sortir la langue des lieux de repli communautaire et d'assurer un enseignement conformes exigences d’érudition, de neutralité et d’objectivité informées de notre tradition universaliste » : http://afdarabisants.blogspot.com/2010/06/fermeture-du-capes-darabe-en-2011.html

[29] Cf. Question n° 0639S posée par M. Yannick Bodin publiée dans le JO Sénat du 01/10/2009 - page 2273 : « Par contre, l'enseignement de l'arabe est en pleine croissance dans les mosquées, dans le cadre d'un enseignement religieux et cela, en concurrence et au détriment d'un enseignement laïc avec tous les risques de dérive communautariste. Il lui demande donc ce que le ministère de l'éducation nationale prévoit (…) pour s'assurer de son encadrement par l'enseignement public laïque. ».
Réponse JO 20/01/10 page 230 : « (…) Il est souhaitable (…) plutôt que par des organismes ou des associations qui ne disposent pas des mêmes moyens pédagogiques, et qui peuvent être influencés par divers groupes ou groupuscules. (…) ».
M. Yannick Bodin : « (...) Il y a urgence, au nom du nécessaire respect de la laïcité et des valeurs de la République. En effet, malheureusement, certains de ces jeunes qui apprennent l'arabe dans d'autres lieux que ceux de l'école publique viennent ensuite défendre en son sein des thèses incompatibles avec les enseignements qui y sont dispensés, tels le créationnisme ou certaines vérités révélées. Le mysticisme l'emporte alors sur la raison. (…) ».
Question n° 10391 posée par M. Jacques Legendre, publiée dans le JO Sénat du 08/10/2009 - page 2344 : « (…) C'est pourquoi il lui demande quelles mesures seront prises pour lutter contre le lent déclin de l'enseignement de l'arabe et favoriser au contraire son développement dans le triple souci de promouvoir la diversité culturelle, de favoriser l'intégration de jeunes issus de l'immigration et de dynamiser les relations économiques avec les pays arabes. ». Réponse JO 14/01/2010 p.74

[30] Cf. notamment http://storage.canalblog.com/96/71/855143/68032682.pdf ; http://figanieres-allo.kazeo.com/le-ps-me-fait-peur/le-ps-me-fait-peur,r390877.html ; http://forum21.aceboard.fr/1130-5939-62207-0-Pauvre-Martine-pere-doit-etre-fier-elle.htm#id988049
[31] Attirons l’attention de nos lecteurs sur le glissement sémantique subi par ce terme depuis les années d’effervescence du nationalisme arabe. Il s’agit bien ici, sous la plume d’auteurs tels que S.R. Al-BOUTI d’une arabité non-ethnique mais plutôt perçue comme supra-linguistique et unissant les musulmans arabophones ou pas en tant que legs culturel commun. (Muhammad Sa‘id Ramadan al-Būṭī, Al-Bidāyāt :Bākūratu A‘mālī, Damas, 2009 : Dâr al-Fikr, Chapitre : « aqā’iq ‘an našāt al-qawmiyya », page 349 et passim).

[32] Cf. Etat de l’enseignement de l’arabe et de la culture islamique ; L’européanisation méthodique des enfants des communautés musulmanes au moyen de la scolarisation et des médias. Actes du colloque : L’identité des musulmans et leurs cultures en Europe, ISESCO, 1995 : www.isesco.org.ma/francais/strategy/documents/Stratég%20occident.pdf et http://www.isesco.org.ma/francais/actionPlan/action.php?idd=TDD_REF_ACT

[33] Comme par exemple : le Forum pour la Promotion de l’enseignement de la langue arabe en Occident. Janvier 2009, siège de l’UNESCO, Paris, ISESCO, ÉDITIONS GRANADA.

 



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