Samedi 22 Novembre 2014

Géraldine Mossière, Converties à l'islam. Parcours de femmes au Québec et en France






Édition : Presses de l'Université de Montréal 
Année : 2013
Nombre de pages : 264 
ISBN : 978-2-7606-3186-1.

Publication en partenariat avec le site Lectures.revues.org

Par Maël Dieudonné

La conjonction de deux représentations largement répandues aujourd'hui invite à décrire les femmes de confession musulmane comme victimes d'une double domination : domination spirituelle ou cognitive exercée par la doctrine islamique, qu'elles éprouveraient en tant que croyantes ; domination sociale engendrée par le système patriarcal, qu'elles subiraient en tant que femmes. Celles qui manifestent leur situation en portant le voile se trouvent ainsi régulièrement érigées en figure exemplaire de l'individu dominé. Une telle analyse rend problématique l'existence d'un phénomène de conversion de certaines femmes à l'islam, qu'elle impose de concevoir selon une logique de la contrainte, voire du lavage de cerveau. C'est par exemple dans des moments de détresse psychologique ou de vulnérabilité émotionnelle, et sous l'influence de médiateurs intéressés, qu'elles consentiraient à se faire musulmanes (cette interprétation est également caractéristique de la littérature consacrée aux sectes, comme l'a souligné Romi Sauvayre1). Elle paraît cependant excessivement réductrice, en ce qu'elle contraint à écarter les raisons avancées par les converties elles-mêmes pour expliquer leur geste.

La volonté de renverser cette démarche se trouve au fondement de l'ouvrage que l'ethnologue Géraldine Mossière vient de leur consacrer et qui, en toute vraisemblance, est issu de son travail de thèse. Elle propose de faire justice à l'expérience des converties en la comprenant d'abord à partir des récits qu'elles en livrent, c'est-à-dire en les considérant comme des individus évoluant dans des contextes certes contraignants, mais capables de s'y ménager des espaces d'autonomie. C'est précisément le sens qu'elle reconnaît à leur démarche religieuse, qui les autorise notamment, nous le verrons, à redéfinir leur identité de genre et à réorganiser les rapports homme-femme dans lesquels elles s'inscrivent.

Pour mener à bien ce projet, l'auteur a fort logiquement adopté une démarche ethnographique. Son matériau se compose d'un nombre important d'entretiens, effectués non seulement avec des femmes plus ou moins récemment converties à l'islam (78 en tout), mais aussi avec différents « agents de conversion » les ayant accompagnées dans leur parcours (par exemple des imams). Il inclut également des observations réalisées dans le moment de sociabilité privilégié que constituent les cours dispensés à leur intention dans les mosquées, ainsi qu'une analyse des référents mobilisés dans leurs discours (ouvrages consacrés à l'islam, informations circulant sur Internet, etc.). Il a été collecté pour moitié en France et pour moitié au Québec (choix qui n'est pas justifié, mais l'intérêt de la démarche comparative n'est plus à démontrer) et se trouve présenté en détail dans le premier chapitre de l'ouvrage.

Le second chapitre développe une réflexion méthodologique sur la pertinence de ce matériau, répondant à la critique bourdieusienne de l'analyse des récits de vie. Ces derniers s'avèrent jouer un rôle trop fondamental dans le processus de conversion pour être écartés comme résultant d'une simple « illusion biographique » : ce processus recouvre une véritable transformation identitaire, qui trouve dans la narration de soi un moyen privilégié de s'actualiser. Se convertir, c'est aussi apprendre à raconter sa conversion, pour mettre en cohérence et défendre sa nouvelle identité. Sont ensuite présentées la trajectoire de conversion généralement observée parmi les enquêtées (en neuf étapes allant de la rencontre avec l'islam au travers d'une personne clé, à l'annonce de sa conversion et à la gestion des conflits éventuels qu'elle suscite) ainsi que les propriétés sociales qu'elles présentent de manière récurrente (elles sont généralement âgées de moins de trente ans, ont fait l'expérience du transnational à l'occasion de voyages ou de la fréquentation d'immigrés, et manifestent de fortes aspirations mystiques ou éthiques).

Les chapitres suivant sont consacrés à l'exploration de plusieurs dimensions de l'expérience des converties à l'islam. Dans le troisième, l'auteur montre comment elles se modèlent en fonction de ce qu'elles estiment être l'éthique musulmane authentique, en développant une véritable herméneutique du soi. Dans le quatrième, elle analyse certaines représentations genrées que revendiquent celles-ci (concernant le mariage, l'amour, la sexualité, etc.) pour y reconnaître un véritable féminisme. Dans le cinquième est abordée la question du contexte social dans lequel s'insèrent les conversions, et des difficultés que rencontrent souvent les converties dans leurs rapports avec leur milieu d'origine (lorsqu'il échoue à comprendre leur démarche) et leur communauté d'élection (car elles tendent à défendre une conception de la piété plus stricte que celle des individus nés dans l'islam). Les deux derniers décrivent le statut des musulmans dans les sociétés québécoise et française et présentent les attitudes politiques des converties.

L'ouvrage ne comporte pas de conclusion. Le propos de Géraldine Mossière se trouve cependant bien résumé à mi-parcours, lorsqu'elle brosse le portrait général de ses enquêtées en termes suivants : « fortes d'une compréhension rationnelle et maîtrisée de leur foi, pourvues du sentiment d'être en dialogue personnel et constant avec une entité suprême et omnipotente, progressant par un travail d'introspection permanent sur une trajectoire conçue dans l'authenticité et la vérité, ces femmes se sentent investies d'une capacité d'autonomie qui leur permet de négocier avec les construits sociaux et culturels qui leur sont imposés comme des facteurs limitants. Leur discours positif à l'égard de leur choix religieux témoigne de leur sentiment d'avoir accédé à un puissant vecteur d'agentivité, soutenu et par le Texte et par leur foi. » (p. 150).

Les propos des converties sont heureusement mis en valeur par les nombreux extraits d'entretiens et l'élucidation attentive qu'en propose Géraldine Mossière. Son ouvrage présente une incontestable qualité monographique – sans échapper aux défauts dont celle-ci s'accompagne trop fréquemment. Au-delà de la posture de recherche revendiquée en introduction, il ne manifeste aucune intention théorique, ce qui le prive de tout axe critique ou problématique pour organiser l'analyse. Cette dernière se présente davantage comme une collection d'articles que comme une argumentation progressive, ce dont l'absence de conclusion est assez symptomatique, de même que les multiples redites. Impossible alors de ne pas déplorer l'absence de synthèse de la littérature consacrée aux phénomènes de conversion, et même spécifiquement à la conversion de femmes à l'islam dans les sociétés occidentales, qui est pourtant abondante : différents travaux sont présentés de manière ponctuelle, mais rien n'est dit de l'ensemble qu'ils forment, de leurs lacunes éventuelles ou de ce qui pouvait justifier une nouvelle étude. Au final, cet ouvrage inspire le sentiment regrettable de ne pas rendre justice au remarquable travail d'enquête accompli par son auteur.



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