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Dimanche 2 Août 2015

Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque témoignages du XIX au XX e siècle. Présenté par Chantal Edel.



Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque  témoignages du XIX au XX e siècle. Présenté par Chantal Edel.



Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque  témoignages du XIX au XX e siècle.

Editions Omnibus
Prix : 29 €
ISBN : 978-225-810615-4  
Parution : 7 mai 2014  
Nombre de pages : 960 


Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque : témoignages / présenté par Chantal Edel éd. Omnibus, 2014.

Par Yves Boulvert 

En vue d’essayer de comprendre les peuples des déserts saharien autant qu’arabique, peuples qui aujourd’hui, ont troqué dromadaires et lances pour 4x4 et kalachnikov, mais demeurent toujours rebelles et imprévisibles, Chantal Edel considère qu’il faut d’abord lire les récits des premiers Européens (après les Arabes comme Ibn Battuta !) partis à leur rencontre. 

Elle a retenu « onze récits d’aventures extrêmes ». Certains sont bien connus, d’autres beaucoup moins. Pourquoi n’avoir pas retenu Philby pour l’Asie, Clapperton, Rohlfs ou Nachtigal pour le Sahara ? Il est vrai qu’outre l’interview, en 1980, de W. Thesiger et la traduction de G. Bell, Chantal Edel a cité des extraits de traductions ou des originaux de la revue de voyages Le Tour du Monde, déjà utilisée par G. Grellet (2010).

Dans chacun des onze grands chapitres correspondants, C. Edel présente l’auteur et replace dans son contexte l’extrait retenu.

Les Britanniques avaient mis en doute le passage de René Caillié à Tombouctou en 1828. Trente ans plus tard, Heinrich Barth le confirma. Géographe cultivé et polyglotte, Barth considère Caillié comme « un homme résolu mais incapable ». Certes, c’était un autodidacte mais, observateur très consciencieux, il a su comprendre les populations rurales rencontrées, examinant jardins et plantations tout au long de sa route. Après Théodore Monod et Henri Jacques-Félix, nous avons pu utiliser ses notations pour notre travail phytogéographique sur la Guinée. Elles nous ont permis conjointement d’établir avec précision son itinéraire ouest-est à travers ce pays qu’il traversa depuis Kakondy-Boké (et non depuis Freetown en Sierra Leone, cf. carte et Acta Geographica III – 2 000).

H. Barth qui envisageait depuis le lac Tchad de « rejoindre Zanzibar pour y dénoncer le trafic des esclaves », ne put traverser l’Afrique centrale animiste qui subissait, chaque saison sèche, des razzias esclavagistes de la part des sultanats sahéliens musulmans, tant le Baguirmi qui repousse l’explorateur que le Bornou où il accompagne une razzia (et non « une expédition de conquête des Ouled-Sliman »). Barth change alors son projet. Il se dirige vers l’ouest, via Zinder, Sokoto, et le Niger, traversé à Say (au sud de Niamey, carte inexacte). Ayant découvert les « crêtes fantastiques » gréseuses du Hombori, il atteint Tombouctou. Après un séjour forcé mais fructueux de huit mois, il prend le chemin de retour longeant jusqu’à Say la vallée du Niger. « Son apport est prodigieux : 20 000 kilomètres de trajets cartographiés », disons plutôt : décrits et reportés. 

Henri Duveyrier, lui aussi, « a reconnu des milliers de kilomètres de pistes » plutôt que « fixé la carte du Sahara central ». Le texte cité concernant les « origines de Touaregs » est extrait de son ouvrage Touaregs du Nord qui fait encore référence. Léopold Panet, métis sénégalais qui, en 1850, relia Saint-Louis du Sénégal à Mogador à travers la Mauritanie est hélas oublié de nos jours, de même que Camille Douls qui put faire publier Cinq mois chez les Maures nomades du Sahara occidental (1887), avant d’être reconnu comme chrétien et exécuté. 

Alphonse de Lamartine relate dans Voyage en Orient (1848) avoir rencontré un Syrien chrétien, Fatallah Sayeghir, qui lui vendit les notes qu’il avait prises lors de l’expédition de Jules de Lascaris de Vintimille, chargé par Napoléon Ier de rechercher en Arabie l’alliance de l’imam Wahhabite Ibn Saoud contre les Ottomans et les Anglais! Une fois le pacte signé le 12 novembre 1811 (comportant le libre passage de l’armée française sur son territoire), ils regagnèrent ensemble Constantinople pour y apprendre le désastre de la Campagne de Russie. Tandis que ce succès diplomatique perdait tout intérêt pour les Français, les Anglais récupérèrent tous les papiers et notes de Lascaris décédé au Caire en 1817 ! 

Richard F. Burton, ancien officier de la Compagnie des Indes et polyglotte exceptionnel, est surtout connu pour sa recherche des sources du Nil avec Speke et sa découverte du lac Tanganyika en 1858. Auparavant, il voulut rééditer l’exploit du Suisse J.L. Burckhardt, entré avant lui à la Mecque en 1812. Déguisé en pèlerin, il embarque en 1853 à Suez pour Yambo, intègre une caravane pour Médine dont il se dit « frappé par l’aspect misérable et théâtral ». A la Mecque, il est admis à l’intérieur de la Kaaba un soir. Il conclut : les infidèles chrétiens « peuvent tenter une visite à la Mecque mais je les assure que les résultats sont loin de répondre aux risques qu’ils courront ainsi ». 

Les autres voyageurs cités de l’Arabie intérieure sont des espions, du moins des agents de renseignements, aux personnalités aussi pittoresques que variées. Tel est le cas de William G. Palgrave (Une année dans l’Arabie centrale, 1862-1863) : d’origine juive, études à Oxford, armée des Indes, converti par les Jésuites, prêtre à Beyrouth. Achevant en France ses études de théologie, il obtient le soutien financier de Napoléon III pour traverser l’Arabie, utiliser Fayçal Ibn Saoud pour contrer les Britanniques! Au retour de son transect Djof-HaïlRial-Halouf, il perd la foi, quitte l’habit et devient consul pour le Foreign Office! 

Auteure de Pèlerinage au Nadjab 1882, lady Anne Blunt entreprend, en 1878-79, avec son époux diplomate, de s’enfoncer dans le désert « pour acheter des purs sangs arabes! » Son récit est intéressant et original : elle est « le premier voyageur à décrire l’intérieur des harems d’Arabie » : femmes et esclaves. Au cours d’une conversation avec un chef « gardien de la grande mosquée de Médine », celui-ci lui dit qu’il y avait « une chose qu’il ne pouvait pas comprendre de la part du gouvernement britannique, c’est qu’il eût quelque intérêt à entraver partout le commerce des esclaves » !

Gertrude Bell, archéologue-orientaliste, parcourt le désert depuis dix ans ; c’est un agent secret de sa Majesté. En janvier 1914, elle part vers le Nadj, en longeant la voie ferrée construite par les Allemands pour les Ottomans entre Damas et Médine. On ne possède cette fois que des lettres familiales et donc spontanées. Parvenue à Haïl, elle change d’orientation : « Je vais à Bagdad : la route du Sud n’est pas possible cette année. Les tribus sont prêtes à bouger… ». Via Palmyre, elle parvient à Constantinople en mai, à temps pour y prendre le train de Londres avant le déclenchement de la Grande Guerre. T.E. Lawrence, espion avéré, dresse, en 1914, l’inventaire des régions frontalières Palestine-Egypte. Dans Révolte dans le désert (1928), il relate sa guerre avec les Bédouins et notamment l’épisode-clef (cf. le film de David Lean, 1962) de la prise d’Akaba en juillet 1917. La conclusion de cet ouvrage est tirée par Wilfred Thesiger qui arpenta quatre années durant (1946-1950), au sud-arabique, le Rub-Al-Khali ou « le quart-vide » (plutôt que « désert des déserts »). Dans une interview de 1980, il déclare : « Ce qui me retient dans le désert, ce sont les gens beaucoup plus que le cadre qui les entoure… (dans la grande tradition) j’ai été le dernier… Le transport animal : il n’y avait pas d’alternative… Une fois parti, je me trouvais totalement isolé du reste du monde… Je ne pouvais compter que sur moi-même… Les Bédouins voulaient… la liberté du désert… maintenant ils ont tous des Land-Rover ! ».


Recension de l'Académie de Académie des sciences d'outre-mer, mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - 




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