Les cahiers de l'Islam
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Samedi 29 Novembre 2014

Le combat-pour-Dieu et l'État islamique chez Sayyid Qotb, l'inspirateur du radicalisme islamique actuel

Par Olivier Carré



Texte extrait de la Revue française de science politique, 33e année, n°4, 1983. pp. 680-705. Sous licence creative commons.

« A nous l'action, à Dieu le succès », disait le fondateur des Frères musulmans, Hasan Al-Bannâ, un jour de mars 1928,  à l'en croire [1], à ses premiers disciples. « Faisons un serment d'obédience à Dieu, par lequel nous serons des soldats du message de l'Islam, message qui contient la vie de notre patrie et la force de la nation musulmane... Notre groupement sera en premier, et foncièrement, une idée avec toutes ses implications et toutes les actions qui en découlent. Nous sommes des frères au service de l'Islam, nous sommes "les Frères musulmans"

Voilà l'acte de naissance du mouvement islamiste égyptien, sous le nom de Frères musulmans. Sadate, le collègue de Nasser depuis l'Académie militaire en 1936, fait connaissance avec Bannâ en 1940. Incarcéré en 1941 pour intelligence avec l'Axe, Sadate s'évade en 1944 et recourt aussitôt à Bannâ, et, dit-il, «fournitures d'armes et entraînement se font en commun». Bannâ et Nasser entrent en contact en 1944, par l'intermédiaire de Sadate. Nasser est même considéré comme membre de l'Association des Frères musulmans sous le surnom de Abd al Qâdir Zaghloul, par le Frère qui maintiendra personnellement le contact jusqu'à quelques semaines avant la tragique cassure entre Nasser, maître absolu de l'Egypte, et les Frères, en octobre 1954 : Hasan Al-'Ashmâwi [2] (à ne pas confondre avec Salih Ashmâwi, toujours vivant). A la mort de son fondateur et maître à penser, le mouvement connaît trois tendances. La tendance conserva­trice est celle du propre père de Bannâ, Abd Al-Rahmân. La tendance extrémiste est celle de Salih Ashmâwi, qui lancera, de sa propre autorité, en janvier 1951, la revue Al-Da'wa. Une tendance médiane est inspirée par le cheikh Al-Bâqûri (futur ministre de Nasser) et par l'officier libre Kamâl Eddine Husayn, celui que «le complot de Qotb» en 1965 sera supposé placer, au lieu de Nasser, à la tête de l'Etat. En octobre 1951, sont annoncées à la fois l'annulation du décret militaire de dissolution des Frères et la désignation — sous les pressions du Palais, murmure-t-on — du nouveau guide général, Hodaybi, alors âgé de 60 ans. Neutralisées par cette décision, les luttes de tendance n'en demeurent pas moins, à terme. C'est dans ce climat d'insécurité de la Direction que la base agit en 1949-1953. Les silences, ou les lenteurs, ou les contradictions, ou les imprécisions de la Direction intérimaire puis du guide permettent aux activistes d'agir de manière isolée sans mettre en cause le serment d'obédience prononcé naguère entre les mains de Bannâ. La guérilla du Canal est dirigée par la Phalange des Frères, et c'est en coopération étroite avec les Frères que les officiers libres montent leur putsch de juillet 1952, avec succès. Mais tout est prêt pour que Nasser joue puissamment, une fois au pouvoir, des divisions entre les Frères. Pourtant, il ne réussira à s'en débarrasser, toutes tendances réunies, que par sa police, ses tribunaux militaires, ses potences et ses tortures. La «grande épreuve» nassérienne est, en creux, la preuve de la solidité, de l'enracinement et de la maturité d'un mouvement que Nasser, très informé de l'intérieur même du mouvement, atteignit pourtant de plein fouet à un moment critique de la vie interne du mouvement. L'épreuve ne l'épuisera pas ; au contraire, elle l'enrichira et le radicalisera. C'est peau neuve et endurcie qu'il émergera des prisons et des tortures en 1971. Sayyid Qotb est le grand inspirateur de ce nouveau souffle.

Sayyid Qotb, né en 1906 dans un village proche d'Assiout, diplômé, comme Bannâ, d'une manière d'« Ecole normale supérieu re», Dâr al-'Uloûm, est à la fois enseignant de plusieurs matières, au Caire, et homme de lettres, collègue et ami d'un Taha Hussein, d'un Tawfik Al-Hakim, d'un Aqqâd, trois grands écrivains égyptiens contemporains. Il séjourne aux Etats-Unis deux ans et demi, en 1949-1951, pour un stage pédagogique. Il relate à ce propos :

«Je suivais une ligne agressive contre cette "ignorance anté-islamique" moderne et occidentale, avec des croyances religieuses bafouillantes et des situations sociales, économiques, morales désastreuses. Toutes les repré­sentations des "hypostases" de la Trinité, du péché originel, de la Rédemption, n'ont fait que du mal à la raison et à la conscience ! Et ce capitalisme d'accumulation, de monopoles, d'intérêts usuriers, tout d'avidi­té ! Et cet individualisme égoïste qui empêche toute solidarité spontanée autre que celle à laquelle obligent les lois ! Cette vue matérialiste, minable, desséchée de la vie ! Cette liberté bestiale qu'on nommait " la mixité"! Ce marché d'esclaves nommé "émancipation de la femme", ces ruses et anxiétés d'un système de mariages et de divorces si contraire à la vie naturelle ! Cette discrimination raciale si forte et si féroce ! etc. En comparaison, quelle raison, quelle hauteur de vue, quelle humanité, en Islam » [3].

Il adhère, dès son retour des Etats-Unis, à l'Association des Frères musulmans, fin 1951, où il est nommé responsable de la Section de la propagande, autrement dit de la mission, du message, de l'idéologie : da'wa. Il refuse les avances que lui fait Nasser fin 1952 pour établir les statuts et programmes du futur Rally de la Libération. On le voit, au contraire, distribuer des tracts aux côtés des communistes en 1954, comme il l'avait déjà fait, comme membre du parti Sa'diste à l'époque, contre Farouk et les Anglais, en 1951-1952. Arrêté et torturé gravement fin 1954, il passera le restant de sa vie en prison, hormis huit mois de liberté — un piège, selon ses amis — de décembre 1964 à août 1965. Le vieux et malade Guide général, Hodaybi, privé de son fidèle bras droit 'Awda (pendu fin 1954), semble alors s'en remettre à Qotb pour les affaires des Frères dans leur clandestinité. Qotb sera condamné à mort et exécuté en 1966, sur la base de son opuscule Jalons sur le chemin.

II est pourtant évident que des divergences croissantes se dessinent entre la tendance Hodaybi et la tendance Qotb. Dans des écrits précis et denses, Prêcheurs, pas juges (édité en 1977 seulement), Hodaybi, en 1969, entreprend en effet une critique des principaux thèmes de Qotb le martyr. Il rejette notamment la notion d'excommunication (ou anathème), takfîr (action de déclarer kâfir, incroyant). Notion qui évoque les khârijites mais qui est aussi traditionnelle dans un courant de la pensée sunnite, en particulier chez Ibn Taymiyya (mort en 1328). Bannâ avait déjà abordé ce point, dans le sens, largement traditionnel, de la précaution, comme le fait Hodaybi face à Qotb. Les groupuscules radicaux Libération islamique (Tahrîr), Takfir (Anathème) dans les années 1970 et surtout en 1977 et, en 1981, Jihâd (Guerre sacrée), ne font-ils que suivre les idées et programmes de Qotb? Il faut nuancer la réponse. La pensée musulmane est essentiellement juridique, pratique, et non pas d'abord dogmatique, théorique. Aussi la moindre nuance est de grande conséquence pratique. Les textes que nous avons consultés montrent une grande distance entre la casuistique de Qotb, réfléchie et cultivée, et celle, peu instruite et révoltée, des «illuminés» de Tahrîr, Takfîr, Jihâd, qu'on nomme souvent les «qotbistes». Ceux-ci ne font point non plus partie de l'Association des Frères musulmans, et leur pensée, leurs programmes, leurs actions, n'en relèvent qu'indirectement. L'amal­game entre eux et les Frères historiques, singulièrement Qotb, est voulu et déclaré par les nassériens et les marxistes égyptiens, c'est de bonne guerre en tactique politique, mais ce n'est pas un brevet d'exactitude. Ce qui est exact, c'est que l'idée qotbienne de takfîr actif, esprit d'excommunication générale et ferment d'un jihâd comme action révolutionnaire interne, a inspiré les dissidences extrémistes actuelles. C'est ce que nous allons préciser à propos du combat et de l'Etat dans l'œuvre mère de Sayyid Qotb, A l'ombre du Coran [4].
 
Sayyid Qutb (1906-1966)
Sayyid Qutb (1906-1966)

LE COMBAT-POUR-DIEU

Nous voici sans doute au cœur du message de Qotb et au trait le plus net de sa radicalisation de l'héritage «réformiste». Il ne s'attache guère à la pratique tactique de la guerre. Il ne fournit que quelques aperçus sur le droit international. En revanche, c'est «un esprit de combat» qu'il entend proclamer et, selon lui, faire renaître comme à l'origine. Il s'efforce d'interpréter l'Islam comme un combat, et non pas un combat spirituel et moral seulement, mais militaire et missionnaire, militaire parce que missionnaire. Qotb marque claire­ment ses distances par rapport à Rida [5] et à plusieurs autres apologistes: l'Islam, selon lui, est agressif, intégral, intransigeant, mondial, ou il n'est pas. Le Zilâl refuse de limiter, à partir de 628, au cadre de la Péninsule arabique les versets coraniques les plus radicaux en matière de guerre.
«Un esprit de combat» partout et en permanence.

L'Islam (Z., 3 550:Cor., 61, Saff) [6] est contraint au combat par l'objectif qui est le sien, à savoir la guidance (qiyâda) du genre humain. La guerre est une obligation individuelle contre les obstacles de la prédication, mais sous la forme collective d'un rang serré, solide, organisé et profondément cimenté. Les adversaires sont eux-mêmes des individus groupés en classes, en Etats, en coalitions. Le jihâd, en réaction, est donc absolument nécessaire dans toute son ampleur. C'est (Z., 3 669:Cor., 68, Qalam) un jihâd mondial permanent. Aussi, être musulman, c'est être un guerrier (mujâhid), une communauté (umma) de guerriers sincères en permanence, prêts à être utilisés ou non par Dieu s'il le veut et quand il veut, en vue d'assurer la saine guidance (qiyâda), le leadership des hommes. Le martyre (istishhâd) — qui, pour le Coran, est la mort (apparente selon Qotb) dans la guerre pour Dieu — est, de plus, assuré des meilleures récompenses paradisiaques. Sur ce point, Qotb adhère au hadîth de Ibn Hanbal décrivant les délices spéciales du paradis des martyrs (Z., 3287). Voilà la lecture qotbienne de la sourate 47, Muhammad, que Qotb préfère appeler de son autre titre reçu, qitâl, guerre. Les combattants, dit-il encore en commentant la même sourate, sont dits «soutenir Dieu», non pas par leurs faits d'armes comme tels, mais par leur pratique de la Loi divine (Sharî'a) entière, si bien que le combat pour Dieu — jihâd — ne doit avoir pour but que Dieu et Dieu seul, c'est-à-dire l'ordre de la Loi de Dieu sur la terre entière. Aussi, la victoire n'est-elle pas la cessation des combats, mais cet ordre de vie instauré et quotidiennement appliqué. Et Qotb de remarquer que le sacrifice dans la guerre a été, hélas!, plus fréquent que la pratique intégrale de la Loi après la victoire. Voilà pourquoi, selon lui, le combat pour la vraie victoire de la Sharî'a ne peut avoir de cesse avant le terme dernier de l'histoire humaine. Le jihâd, dit Qotb (Z., 3 280 et suiv. : Cor., 47, Muhammad, v. 1-15), a lieu pour établir sur la terre entière «la vérité ferme de l'œuvre bonne», c'est-à-dire son enracinement dans la vraie foi. Pour Qotb, en effet, aucune œuvre humaine n'est bonne sans la foi, à commencer, bien entendu, par l'œuvre même de combat dans le jihâd.

La guerre effective, quand elle a lieu, sert principalement (Z., 3 298 et suiv.:Cor., 47, Muhammad, v. 16-31) à faire apparaître visiblement les vrais croyants d'une part, les hypocrites d'autre part, dans le camp «musulman» lui-même. Telle paraît être chez Qotb la fonction principale de la guerre pour Dieu, qitâl. Il donne Hussein fils de 'Ali, dans sa résistance armée à un pouvoir «musulman» impie, en exemple de martyr (Z., 3 086:Cor., 40, Ghâfir, v. 56-77): nuance chiite à relever.

Aussi est-il demandé aux croyants (Z., 3 160 et suiv.:Cor., 42, Shûrâ, v. 25-53), dans certaines conjonctures, de croire à la victoire (intisâr), réalité permanente transhistorique, tout en s'abstenant de combattre : la patience alors pratiquée enrichit la communauté de plusieurs vertus. C'est le «temps du Coran mekkois», de préparation intérieure à la guidance (qiyâda) offensive ultérieure du genre humain. Ce qui manque aux impatients, c'est le sens cosmique du combat de l'Islam (Z, 3 065-3 070:Cor., 40, Ghâfir, v. 1-20): entre le Bien et le Mal, la Foi et la Tyrannie, l'Orgueil des despotes et la Puissance divine. Combat permanent, donc, et victoire certaine, d'ordre méta­physique. Victoire exprimée par le martyre, par la foi consolidée, par la gloire indéfiniment multipliée du «parti de Dieu» (Z., 3 288:Cor., 40, Ghâfir, v. 21-55). Victoire réelle à chaque période de l'histoire humaine, malgré les apparences contraires, car il faut bien percevoir (Z., 3 086:Cor., 40, Ghâfir, v. 56-77) qu'elle concerne la foi comme un bloc pour toute la durée de l'être créé.
Aujourd'hui, toutefois, où est-elle, cette victoire d'ici-bas? Sa­chons, répond Qotb, qu'elle a existé claire et nette avant la mort de Muhammad, et que, donc, l'Islam dans toute sa durée est fermement établi, il est victorieux par origine et à tout jamais. D'autre part, à chaque époque, telle forme de victoire: la mise à mort du martyr Hussein était une victoire pour l'Islam sincère et pour son avenir. Qotb dans sa prison, prêt au martyre, s'identifiait probablement lui-même à Hussein, victime d'un tyran «musulman», Yazîd, comme lui-même l'était et le sera de Nasser. Enfin, répond Qotb, les victoires extérieures, matérielles, ne sont que les conséquences des victoires intérieures contre les passions. Et Qotb d'insister sur «la moelle de la prédication» (da'wa), à Médine comme à La Mecque et ultérieure­ment (Z., 2 574:Cor. 25, Furqân, v. 45-62) : c'est l'annonce du message, et l'avertissement. La guerre (qitâl) n'intervient à Médine que pour lever les obstacles matériels à la prédication et protéger les croyants des tentations de séparatisme (fitna).
Ainsi la guerre, après avoir été ajournée par l'ordre divin de s'en abstenir (kuff), devient permise dans le but de préserver (himâya) les croyances et les rites du pèlerinage conquérant (Z., 2 426-2 429:Cor., 22, Hâjj, v. 42-57). Qotb n'évite pas de noter le caractère expressé­ment défensif de la guerre permise dans cette sourate, Hâjj : la guerre n'est pas une fin en soi, explique-t-il, mais la trêve non plus, qui n'est qu'une paix d'hostilité. La vraie paix, c'est l'humanisme vertueux (insâniyya fâdila) dans toutes les institutions. Et Qotb de préciser que cette sourate, typiquement médinoise, annonce à la fois la permission du combat armé et les prescriptions pénales du talion, ordre judiciaire humaniste qui est le but de ce combat (Z., 2 405).

Mais pourquoi, si le but n'est pas contenu dans la guerre elle-même ni même dans la paix au sens ordinaire, pourquoi Dieu impose-t-il ce moyen pénible et, à bien des égards, inhumain? (Z., 2 425:Cor., 22, Hâjj, v. 25-41). La réponse, la voici: «La sagesse de Dieu est suprême, elle a sa preuve en elle-même, sans autre justification». On devine toutefois, à tâtons, dit Qotb, que le message n'est pas une loterie, un gros lot qui tomberait du ciel, mais une affaire sérieuse qui engage le prêcheur corps et âme. Prière, récitation du Coran, méditation ne l'engagent pas assez dans le grand combat, il lui faut aussi «peiner et souffrir dans sa chair, par la guerre sous toutes ses formes». Là encore, Qotb se montre conscient de participer lui-même à la guerre pour Dieu dans sa prison et par ses tortures de la main de Nasser. Autre aspect de la même réponse : le but divin n'est pas la victoire brute (par une destruction cataclysmique comme pour 'Ad, Tâmûd et le peuple de Loth), mais l'éducation (tarbiyya) de la communauté afin qu'elle devienne de plus en plus apte à diriger (qiyâda) le genre humain malgré ses faiblesses, ses ignorances, ses déviations. (Z, l84:Cor., 3, Al-'Umrân, v. 121-179). Il se plaît, en effet, à insister sur «le jihâd de l'âme» (ou: de la vie), «jihâd al-nafs» (Z., 2 718:Cor., 29, 'Ankabût, v. 1-12), caractéristique de la phase mekkoise, mais toujours foncièrement présent à Médine. Ce jihâd fait face à la fitna (séduction-sédition) au sein de la communauté musulmane naissante. Notons combien le Zilâl caractérise le combat comme lutte intestine d'épuration, comme guerre civile, à la limite. Accent qui sera précieusement cultivé et développé par les qotbistes des années 1970. Il s'agit en effet, dit Qotb (Z., 1 941:Cor., 11, Hûd, v. 100-123), de lutter contre toute espèce d'idolâtrie, idolâtrie des croyances, des lois, des coutumes, bref contre toute souveraineté (hâkimiyyd) humaine usurpée. Sacrifier ces idoles, c'est obtenir infiniment davantage. Et si la première étape du «mouvement islamique» (haraka islâmiyya, avec le sens possible de «révolution», «sortie en campagne», du mot haraka), contre l'idolâtrie est la proclamation verbale, le «kérygme» (balâgh), comme à la période mekkoise, il n'en reste pas moins, pour Qotb (Z., 2 071:Cor., 13, Ra'd, v. 19-43), que l'obligation de la guerre, prescrite à une étape ultérieure de la haraka, reste permanente dans son principe, tout au long de la haraka. Qotb s'en prend expressément aux interprètes contemporains qui lient le devoir de jihâd à celui du balâgh, comme si seul ce dernier était fondamental, et le premier secondaire, occasion­nel, circonstanciel, historiquement circonscrit.

Cette doctrine qotbienne de la guerre et, plus généralement, du combat musulman, est systématisée dans sa longue introduction .à la sourate 8, Anfâl, (Z., 1 429-1 469) et dans son introduction, plus longue encore, à la sourate 9, Tawba, v. 93-129 (Z, 1693-1740), ainsi que dans ses commentaires de la sourate 4, Nisâ, v. 15-104 (Z., 701-740), de la sourate 3, Âl-'Umrân, v. 65-179 (Z, 409-499), de la sourate 2, Baqara, v. 104-260 (Z, 108-295), enfin. Il s'agit là, on le voit, des versets coraniques les plus tardifs et, donc, les plus nets en faveur de la guerre. Voici l'idée de Qotb sous la forme synthétique et nuancée que donnent ces textes du Zilâl. Il n'y a pas d'autre système de vie que l'Islam. Aussi la guerre musulmane a-t-elle pour but la conversion de tous les hommes sur toute la terre. Il faut libérer les hommes partout, même et d'abord dans le dâr al-islâm (territoire d'Islam) comme hors de lui, car cette distinction géographique classique ne paraît pas pertinente à Qotb (Z., 1 738 et suiv.). L'Islam est par essence combatif et seuls les combattants perçoivent la foi en vérité, dans la communauté (Z., 1 734 et suiv.). Pour Qotb, en effet (Z, 1 736 et suiv.), les versets 111-129 de la sourate Tawba (Cor., 9), versets des plus tardifs, (au sujet de Tâboûk en 630) sont décisifs et définitifs, ils ne peuvent être adoucis par les versets antérieurement révélés, comme le veulent certains contemporains. Pourquoi? Parce que, dit Qotb, la méthode islamique étant dynamique, harakî, s'il y a «les étapes du combat», tout retour en arrière est exclu. Et les conquêtes islamiques (futûhât) des origines de l'Islam sont conformes, après la mort du prophète, à ces versets définitifs. C'est donc l'esprit de conquête qui cimentait la société islamique, c'est «le pacte du jihâd» et rien d'autre (Z., 1 693 et 1 710 et suiv.) : «II est nécessaire à l'Islam d'avoir un ordre public (nizâm) ; il est donc nécessaire à l'Islam d'user de la force (quwwa) ; le jihâd, donc, est indispensable à l'Islam, il fait partie de sa nature, puisque, sans lui, l'Islam ne serait pas, ne survivrait pas, ne guiderait pas les hommes» (Z., 292:Cor., 2, Baqara, v. 253-257).
De nos jours, sionisme, communisme et «croisade» se coalisent pour «détruire ce roc qu'est l'Islam». Il s'agit bel et bien, signale Qotb, de la même et unique guerre de religion depuis l'origine, même si les communistes, les sionistes, les «croisés» d'aujourd'hui préten­dent ne plus rien avoir affaire avec les guerres de religion. Et même des intellectuels musulmans prétendent qu'il n'y a plus de guerre musulmane au sens de guerre de religion, mais que tout conflit moderne n'est déterminé que par des facteurs économiques, militaires, territoriaux, etc. Sottises que cela! (Z., 100:Cor., 2, Baqara, v. 104 et suiv.).
Voilà l'idée générale de Qotb sur le combat musulman. Combat inséparablement spirituel et militaire, et non l'un sans l'autre, ou l'un pour adoucir ou évacuer l'autre. Combat révolutionnaire mondial — pour instaurer un ordre public et social — et non combat patriotique ou territorial. Guerre idéologique, guerre de religion, guerre de libération, bien plus, guerre pour la liberté religieuse et la libre foi. Qotb prend soin lui-même (Z, 293-294:Cor., 2, Baqara, v. 253-257) d'indiquer qu'il y a une contradiction apparente entre les versets sur l'obligation de combattre pour Dieu, et ceux sur la liberté de croyance, mais c'est que le combat-pour-Dieu instaure les conditions mêmes de la liberté individuelle de croyance. L'ennemi de cette liberté ce ne sont pas des hommes, mais ce sont les traditions qui, mortifères, entravent la liberté de la foi. (Z., 2 384 et suiv.rCor., 21, Anbiyâ', v. 48-92). Rien à voir avec les guerres «modernes» de défense des nationalités ou d'expansions nationalistes [7].
 

H. al-Bannâ
H. al-Bannâ
Une radicalisation patente

Jomier l'avait bien signalé en 1954 [8], les idées de 'Abduh et Rida y prêtaient, en particulier au sujet des cas de guerre (offensive) pour défendre la propagation de la vraie foi sur toute la terre. Les deux accents nouveaux — du moins par leur formulation tranchante — ce sont, dans le Zilâl, primo, l'obligation individuelle urgente de la guerre-pour-Dieu dans la petite minorité musulmane sincère ; secundo, la concentration du combat contre les faux musulmans de l'intérieur plutôt que contre les non-musulmans de l'extérieur. Au fond, cette double radicalisation est plus proche du texte coranique brut ; c'est une démarche « fondamentaliste » au sens propre du retour aujourd'hui au Texte tel quel, et au Texte seul.
En accord foncier avec Rida [9] est Qotb, concernant la priorité de la force spirituelle et morale sur toute autre force. Et c'est la pratique du Coran, et elle seule, qui mettra en mouvement la renaissance politique mondiale de l'Islam et des pays musulmans, et non le laïcisme d'Atatùrk. Très qotbiennes sont déjà ces phrases de Rida: «Nous ne voyons aucun de nous esquisser le moindre mouvement (haraka) » face aux conquêtes coloniales en cours du vivant de Rida (T.M., X, 44); «O peuple du Coran, vous ne serez rien tant que vous ne pratiquerez pas le Coran» (T.M., X, 45-46); «O Turcs, peuple vivant ! l'Islam est la force spirituelle la plus dynamique sur cette terre ... La civilisation ne dure que par la vertu, et la vertu ne se réalise pas sans la religion ... Seul le gouvernement de l'Islam (hukûma islâmiyya) peut réaliser les buts» de la fraternité universelle face au péril bolchevique (T.M., IX, 22-23). «Les musulmans sont aujourd'hui plus ignorants que les Arabes de la jâhiliyya (ignorance anté-islamique)» (T.M., IX, 659). De cette même première prémisse, Qotb tire des conclusions logiquement plus rigoureuses que celles de Rida. Ou plutôt, Rida s'était arrêté en chemin, par souci d'apologétique. Ce souci, Qotb ne l'a plus et il le méprise. C'est qu'il rejette l'autre prémisse chère à Rida: les causalités terrestres, sociologiques, de la victoire musulmane [10], au moins depuis la fin de la mission de Muhammad. Nous avons assez souligné l'importance, chez Qotb, de la causalité divine directe dans la victoire musulmane. Autant Rida est khaldoûnien dans son analyse des décadences internes des sociétés et dans son idée de la fin, après la mort de Muhammad, de la situation miraculeuse, autant Qotb croit fermement à la permanence de cette miraculeuse situation coranique pour ceux qui prennent au sérieux le Coran, ceux qui sont «coraniques», et il tire la leçon des «récits coraniques» des catastrophes collectives non pas pour en dégager des lois sociologiques à la manière d'un Khalafallâh, mais pour en retenir le désastre inéluctable, sans causalité humaine, de toute société corrompue, c'est-à-dire non coranique, non miraculée pour ainsi dire, mais d'errance (jâhiliyya). Des qotbistes ajouteront, dans les années 1980, que, depuis le Coran, ce sont les « guerriers-de-Dieu » qui, au lieu des cataclysmes naturels d'antan, sont désormais responsables de la destruction de toute société corrompue [11]. Les écrits de Qotb, à la fois de critique littéraire et de commentaire politique du Coran, ont, logiquement, conduit ses disciples activistes aux conclusions inverses de celles d'un Khalafallâh ou d'un Aqqâd. Sa disposition d'esprit était mystique, fidéiste et politique, celle des autres apologétique, rationa­liste et éducatrice. Deux écoles apparemment divergentes.

Ainsi, si Qotb reconnaît volontiers avec Rida [12] que la civilisation européenne (et américaine, ajoute-t-il, fort de sa propre expérience) n'est qu'en sursis, et qu'elle est déjà vaincue et déchue dans son principe, en revanche, il interprète tout différemment les leçons de la défaite de Ohod : ce n'est pas une faute militaire qui la provoque, ni même la désobéissance d'une fraction, c'est la volonté divine immé­diate, par pédagogie et pour éprouver et épurer la jeune communauté. Telles sont les leçons qotbiennes de la défaite musulmane archétypique de Ohod. Il les reprend en commentant la sourate Burûj, v. 85, sur les suppliciés du tyran dans leurs fosses (un four?), texte qui constitue peut-être le message le plus virulent de Qotb le prisonnier, le torturé, à l'adresse de Nasser le maître, le tortionnaire, le Yazîd de Qotb [13].
 
Combat-pour-Dieu et Etat islamique

On le voit, le thème de la guerre-pour-Dieu signifie d'abord, chez Qotb, dans la suite logique de ses deux prémisses, le combat permanent de résistance aux tyrans, donc aussi la persécution des croyants, le martyre, quand Dieu le veut.

La doctrine, alors, se démarque assez nettement de celle de Rida. Qotb refuse d'assimiler la guerre-pour-Dieu à la notion de guerre défensive [14]. Rida se facilitait la tâche en entendant finalement, dans le contexte du jihâd-qîtâl, le mot fitna au sens de persécution plutôt que de séduction-sédition ou même, selon Tabari et Baydâwi, de po­lythéisme. Qotb accumule toutes ces significations pour affirmer que l'Islam doit établir son pouvoir et son système social partout et sans trêve, précisément au détriment des autres pouvoirs et ordres qui, séducteurs pour les croyants, créent des séditions entre eux, et persécutent ainsi l'Islam à la fois de l'extérieur et de l'intérieur. La guerre, pour lui, est une guerre de religion, non point pour contraindre à la conversion, mais pour assurer institutionnellement la liberté de conscience, la liberté de conversion, y compris — et même d'abord — dans les rangs musulmans. Le verset de la tolérance («pas de contrainte») incite, selon lui, au combat et non l'inverse. Qotb, au fond, pousse ainsi l'idée même de Rida, selon laquelle la «Fax Islamica» doit être étendue progressivement par des interventions armées contre les «empêchements à la libre propagation de l'Islam» [15]. Certes, comme Rida, Qotb indique bien que, de Médine, il fallait aller sauver les âmes croyantes restées à La Mecque, et qu'il fallait se défaire par la force des Juifs médinois devenus ennemis, mais il ne le fait point pour montrer le caractère défensif de la guerre pour Dieu, mais pour en définir les buts et les cibles permanents [16]. Ainsi, la judéophobie, qui est posée en principe dans la théorie qotbienne de la guerre-pour-Dieu, n'a pas d'équivalent dans le Tafsîr du Manâr. Ce principe est lié à l'idée de la permanence de l'état de guerre contre les non-musulmans, sans distinguer, sinon en un sens spirituel, et, provisoirement, en un sens politique et sociologique, entre dâr al-islâm et dar al-harb.

Sur ce dernier point, Qotb rompt clairement avec Rida en optant sans réserves pour celle des deux opinions d'école qui est la plus dure, la plus offensive. Alors que, pour Rida, on n'a pas le droit de combattre ceux qui, ne répondant pas aux appels de l'Islam, n'engagent pourtant pas les hostilités contre des musulmans [17], pour Qotb, c'est au contraire un droit et un devoir de combattre les non-convertis, et on n'a pas le droit de signer de traité de paix avec eux, sinon par nécessité et provisoirement. L'option de Qotb est plus fidèle à Ibn Taymiyya que celle de Rida qui, sur ce point, ne suit pas son maître à penser hanbalite. En conséquence, l'ennemi, pour Qotb comme pour Ibn Taymiyya, est aussi l'ennemi intérieur, et la fitna signifie et persécution, et schisme ou sédition. Si la doctrine de la guerre de Ibn Taymiyya veut, selon H. Laoust [18], que «toute collectivi­té, qui se refuse à se plier à l'une des prescriptions de l'Islam transmises par tawâtur (continuité) et reconnues par l'accord unanime des savants, doit être combattue afin que la religion tout entière soit à Dieu», Qotb est son disciple. Les qotbistes des années 1970-1980 iront plus loin, dans la même logique. De même que Qotb, fraîchement affilié aux Frères, préconisait la guérilla sur le Canal contre les Anglais en 1951 et contre leurs valets «musulmans» de nom, de même certains groupes activistes préconisent aujourd'hui l'obligation absolue d'une guerre — par exemple par des meurtres politiques — contre les régimes d'impiété à l'intérieur des pays dits musulmans [19]. La tendance khârijite et à la fois chiite de Qotb concernant le jihâd comme l'un des piliers (arkân) de l'Islam, tendance déjà présente chez Bannâ, est exacerbée par les qotbistes actuels, qui concluent à l'obligation du tyrannicide, contre laquelle le guide des Frères, Hodaybi, les mit en garde dès 1969, dans son Du'ât là qudât. Ils reprennent, au fond, l'idée de Afghâni, acceptée du bout des lèvres par Rida, mais on est loin de la simple exhortation de Rida, dans son Tafsîr, aux opportunistes de l'intérieur [20]. Quant à l'idée de 'Abduh, selon laquelle on peut en toute liberté être musulman sous un régime non musulman [21], elle est exclue a priori par Qotb. Ce dernier, en effet, substitue plutôt à la division classique en dâr al-islâm et dur al-harb, celle, non géographique, en islam et jâhiliyya. Et cette dernière est définie comme «toute société qui n'est pas société islamique». Cette vue lui permet de récuser la distinction, tradition­nelle, que fait Rida entre le territoire de la Péninsule arabique et le reste de la terre [22].

Ainsi, pour Qotb et ses disciples, le Coran, tel qu'il est, doit s'appliquer obligatoirement aujourd'hui, face à tout pouvoir et à tout ordre social non islamiques, quels qu'ils soient, où qu'ils soient. Et la petite communauté fervente des Frères sincères et conséquents a l'obligation sacrée et enthousiasmante de reconquérir la terre à la Religion de Dieu, sans contrainte (ikrâh) des consciences, mais en dépit de leurs répugnances (karihd). Ils se savent en prise directe avec le Texte. Leurs censeurs, patentés par les tribunaux, leur reprocheront — conformément à «l'école de 'Abduh», dirait Qotb — de donner par là dans l'orientalisme, en faisant de l'Islam, y compris post­coranique, une religion de la violence, de l'intransigeance et de la conquête [23]. Entendant par fitna à la fois la séduction, la sédition schismatique, et la persécution de l'extérieur et de l'intérieur des pays dits musulmans, ils vouent leur vie et leur mort à ce verset net du Texte: «La fitna est plus grave que de tuer» (les séducteurs-persécuteurs, Cor., 2, Baqara, v. 217). Il est certain que le Zilâl fait du Texte une lecture prégnante concernant le combat-pour-Dieu, en suivant l'évolution pédagogique et politique de la doctrine coranique elle-même, finalement scellée dans les versets des sourates 9 et 5, les plus tardifs du Coran entier [24]. En cela il est, en général, en accord avec l'exégèse de l'orientalisme scientifique, comme, d'ailleurs, avec les grands commentaires musulmans. Les «hérésies» en matière de jihâd ne sont jamais que l'accentuation d'une nuance de la doctrine admise, «orthodoxe». La démarche de Qotb se veut foncièrement fondamentaliste (le Texte brut pour aujourd'hui), hors écoles. Pour lui, pas de casuistique qui consiste à dire qu'hors de la Péninsule arabique seul vaut le verset: «Pas de contrainte en religion». Pas d'apologétique non plus, qui se plaît à prétendre que la guerre légale musulmane n'est que défensive. Il entend prendre à la lettre, et il le fait, le Texte pour l'action présente, à la différence des commentateurs classiques et réformistes. Aussi la première cible est-elle, pour lui comme pour le Coran, les hypocrites (musulmans-traîtres) : la guerre est d'abord une guerre intérieure d'épuration, un combat permanent, une expérience mystique, politique et militaire sui generis, incompa­rable à aucun autre combat, contrairement aux comparaisons aux­quelles se plaisait Rida [25]. Le ton est khârijite, chiite, ismâ'îlite mu'tazilite, etc. indéniablement, mais il rejoint aussi bien toute la tendance «classique» et post-classique de Ghazâlî, de Ibn Hazm et de Ibn Taymiyya sur le «grand jihâd», indissociablement spirituel, moral et policier, voire de rébellion et de subversion. Cette manière qotbienne d'éviter la guerre musulmane offensive avec l'étranger, fût-il colonialiste, sans dénaturer pourtant le Texte coranique, est, au fond, plus cohérente que l'apologétique du Commentaire du Manâr. Surtout si l'on ajoute que, pour Qotb, la situation présente de la communauté musulmane sincère (infime minorité) est en situation de «Coran mekkois», antérieur et préparatoire aux combats armés, autre idée-force (avec celle de jâhiliyyd) de la doctrine qotbienne de la société islamique. Ainsi, le Zilâl, plus littéraliste, se trouve à la fois, somme toute, moins guerrier que le Manâr mais beaucoup plus subversif à terme. De même que l'on reprochait aux idées de Hasan Al-Bannâ les meurtres politiques perpétrés dans les années 1946-1949, de même on reproche aujourd'hui aux idées de Sayyid Qotb la subversion actuelle des groupes islamistes égyptiens et syriens. Pourtant l'un et l'autre — en termes assez différents — prêchaient la préparation, dans une longue patience, même si l'on admet le renseignement fourni par Zaynab Al-Ghazâlî, disciple intime de Qotb, selon laquelle, en 1962-1964, Qotb aurait établi un programme de formation politico-religieuse des masses d'une durée de quinze ans, ce qui nous conduit, de fait, aux événements égyptiens tragiques de 1977 et 1979-198l [26]. Au vrai, la lecture qotbienne, mais non quotbiste, des versets coraniques sur le combat-pour-Dieu lui permettait de faire passer dans l'action politique toute la charge mobilisatrice de cette obligation sacrée, au lieu de l'aseptiser à la manière «moderne» de 'Abduh et de Rida. C'est du grand art.

C'est ainsi que, dans le contexte mondial actuel, la théorie qotbienne du combat-pour-Dieu permanent et subversif se trouve être l'une des variantes du thème à la mode de «la guerre révolutionnai­re», tout comme la théorie du jihâd chez Rida s'accordait avec le thème européen, dans les années 1920, de la «guerre défensive». L'un des qotbistes les plus activistes fera, en effet, référence au Che Guevara [27], comme Rida évoquait la vaillance patriotique des soldats français de 1914. Le pacifisme, c'est-à-dire la non-violence portée en principe, n'est, malheureusement, pas plus suggérée par Qotb ou les qotbistes que par Rida. Au contraire, Qotb souligne la gravité du péché de non-participation à la guerre ou de non-préparation de la guerre-pour-Dieu. L'emblème des Frères musulmans est: «Préparez» (la guerre). Qotb a médité sur l'expérience active des Frères en armes, en Palestine en 1936-1939 et en 1947-1949, sur le Canal de Suez et avec les Officiers libres en 1951-1952 et même, mais en dissidence, lors de la guerre de Suez en octobre-novembre 1956, puis sur l'expérience passive des mêmes Frères mis à mort, ou incarcérés et torturés à partir de novembre 1954, et en a tiré les principes, appelés à un grand avenir, de la «révolution (thawra) islamique» conduite par «la minorité croyante agissante». Les deux expressions sont employées par Qotb (Z., 1 434, repris dans Ma'âlim, chap. 5:Le Jihâd), encore qu'il use plus souvent de haraka islâmiyya que de thawra islâmiyya.

L'ÉTAT ISLAMIQUE QOTBIEN ET LE «DROIT MUSULMAN (FIQH) DYNAMIQUE»

Voici l'image utopique de la société islamique qotbienne dans ses principes mêmes de socialité : les deux grands traits en sont le refus d'une société de classes en conflit posé en principe, et le rejet du nationalisme moderne qui reprendrait l'antique priorité absolue des appartenances primordiales, instinctives, claniques, raciales. Cette image nous paraît a priori rétrograde parce qu'elle se fonde sur l'appartenance religieuse, disons sur l'adhésion active à un credo. La République vertueuse de Platon et de ses commentateurs musulmans (Farâbi) ou chrétiens (Augustin, Eusèbe de Césarée) est ici, comme pour les utopies marxistes, à l'arrière-plan d'une manière ou de l'autre. Le « soufi-combattant-socialement-actif » paraît constituer le membre-type de la classe supérieure en société islamique qotbienne. Aura-t-il également un rôle de contrôle social et moral sur la société entière, et un rôle de direction politique à l'instar du roi-philosophe ou roi-prophète? Certainement, car, qui dit société vertueuse pense, finalement, terreur, comme l'idée qotbienne du jihâd-qitâl y conduisait déjà. Comment sortira Qotb de cette conséquence inévitable en bonne logique? Quels sont pour Qotb l'Etat islamique juste et sa pratique équitable du Droit? Qotb parle d'un «Droit-dynamique» pris en charge par la minorité croyante active. Seul ce fiqh-\à restaurera visiblement la souveraineté absolue de Dieu sur la société et l'Etat.

Le «fiqh dynamique»

Le fiqh haraki, combatif, dynamique, sincère, ne peut être élaboré que par les gens du front, les combattants et les actifs, pas par les scribes de livres desséchés qui, comme les orientalistes, envisagent la répétition du passé, ou alors se livrent aux élucubrations philosophi­ques, théologiques (kalâm) (Z., 2 006:Cor., 12, Yûsuf, v. 53-79; Z., 1 734 et suiv.:Cor., 9, Tawba, v. 111-129; Z., 305:Cor., 2, Baqara, v. 261-274; Z., 231:Cor., 2, Baqara, v. 215-220; Z., 1 204 et suiv.:Cor., 6, An'âm, v. 114-127; Z., 1 239:Cor., 6, An'âm, v. 154-165). Non pas que le nouveau fiqh doive être le produit automatique d'un groupe social en mutation matérielle, comme si la société agraire produisait tel droit, la société industrielle tel autre, etc. Non, il y a des valeurs sûres et permanentes et une morale islamique immuable venue d'en haut, les mutations se font seulement dans les applications à des sociétés qui, en effet, changent énormément. La grande différence entre les «révolutionnaires matérialistes» et Qotb, c'est, dit-il, que pour lui, le fiqh de chaque époque vivante de l'Islam s'enracine dans une expérience spirituelle antérieure. Le fiqh n'est jamais premier, certes, mais ce qui est premier ce n'est pas non plus une situation matérielle et sociale, mais une expérience spirituelle : le dévouement (daynûna) à Dieu seul. Qotb reconnaît toutefois que, normalement, le fiqh sera engendré par toute la société islamique rediviva, pas par un combattant-soufi isolé (Z., 1 196:Cor., 6, An'âm, v. 114-127; et Z., 1 735:Cor., 9, Tawba, v. 111-129). La sourate 49, Hajarât, selon Qotb, montre le fiqh en formation à Médine à partir de l'expérience mystique communautaire et de l'évolution des conditions de vie (Z., 3 337). Cela, c'est l'exemplaire, l'archétype du processus de toute re-naissance du fiqh, lequel est fait pour naître et renaître sans cesse, car la société musulmane primitive, qui fut l'occasion des formulations juridiques du Coran et de la Sunna, n'existe plus: elles valent comme racines, mais le fiqh déduit pour leur application ne vaut plus (Z., 2 009-2 013:Cor., 12, Yûsuf, v. 53-79).
S. Qotb articule donc comme suit le fiqh à renaître, en deux phases, l'une transitoire sous la Jâhiliyya, l'autre ferme mais dynami­que sous l'Etat islamique redivivus. A la base est la 'ibâda (service-adoration) de Dieu seul, qui entraîne le dévouement absolu (daynûnd) à Lui avec toutes les conséquences pratiques qui se présenteront. Cela n'est rien d'autre que l'expression immédiate de la aqîda, foi, dogme. Cela n'a rien — encore — à voir avec la chose publique. Celle-ci sera réglée en conséquence seulement, mais conséquence nécessaire, de l'expérience de la foi dévouée sans réserve. Qotb parle alors de «fiqh nécessaire, fiqh darûrî» (Z., 1 619), chaînon indispensable d'une part, unique et indiscutable d'autre part, entre la foi-dévouement et l'environnement — neutre ou hostile — du moment. Alors advient l'homme complet, total, insân kâmil (Z., 843-846:Cor., 5, Mâ'ida, v. 1-11; Z., 1 6l9:Cor., 9, Tawba, v. 29-35; Z., 1 770 et suiv.:Cor., 10, Yûnas, v. 1-25; Z., 1 901 et suiv. et 1 943:Cor., 11, Hûd, v. 50-68 et 100-123; Z., 2 102 et suiv.:Cor., 14, Ibrahim, v. 1-27; Z., 3 709:Cor., 71, Nûh, v. 1 et suiv.; Z., 3 651:Cor., 68, Qalam, v. 1 et suiv. ; Z., 2 971:Cor., 6, Yâsîn, v. 30-68). En conséquence, idée-force de Qotb, la conviction mekkoise est le préalable nécessaire à l'Etat médinois. Ne pas chercher des adaptations de fortune avant la réforme radicale. Point de programmes aujourd'hui, ce serait pure tactique. Vivons d'abord la foi (Z., 1 010-1 Q15:Cor., 6, Ariâm, introduction, début).

De cette expérience de la loi sortira une révolution, une mutation fondamentale des sociétés actuelles, comme jadis à Médine puis à La Mecque, puis dans le monde musulman entier (ibid. et Z., 1 259:Cor., 7, A'râf, v. 1-9). Autre effet de la conviction ferme de la loi: aucun recours aux traditions, aux coutumes, au 'urf arabe, aux opinions (ra'y), car «c'est se diviniser aux yeux des textes que de décider (tahkîm) dans leurs affaires» (Z, 1 110:Cor., 6, An'âm, v. 56-65). Le Prophète s'était délibérément privé de ce pouvoir-là (qudra) (ibid.). Et pourtant, ailleurs, le Zilâl ne peut éviter de reconnaître la bonté naturelle du droit coutumier ('urf) intégré dans le fiqh, étant entendu que les formulations coraniques n'ont en aucun cas été inspirées par le droit coutumier arabe (Z., 263:Cor., 4, Nisâ', v. 24-35; et comparé à Z., 610 et suiv. et 692:Cor., 4, Nisâ', v. 15-23 et 58-70). Y a-t-il un droit naturel? Uniquement au sens où le droit que Dieu édicté (Z., 610-611:Cor., 4, Nisâ\ v. 15-23), se trouve de fait (et non par raisonnement) convenir éminemment à la nature humaine: le même Créateur crée l'un et l'autre (Z., 692:Cor., 4, Nisâ', v. 58-70). C'est cette harmonie, dans l'origine créatrice, objet de foi qui, seule, rend possible l'interprétation saine et humble grâce au travail de la raison: ijtihâd et fatwa-s, choses légitimes si on ne se prend pas pour Dieu, si on ne s'arroge aucun pouvoir législatif fondateur (Z, 843 et 988-994:Cor., 5, Maida, v. 1-11 et 87-108).
Difficile chemin, certes, toujours contestable, jamais fondamentale­ment vérifiable sinon par les textes sacrés et par l'expérience musulmane fervente dans des conditions de vie changeantes, sur le fond du grand combat entre Islam et non-Islam (Jâhiliyyd). Tâche combien rude pour le futur Etat islamique ! Qui pourra apprécier la correction de la tâche? Qotb répond: «Les avant-garde de la résurrection (ba'th) islamique», expression fréquente du Zilâl, avec la possible connotation du «ba'th arabe» de 'Aflaq en Syrie, le grand adversaire idéologique des Frères musulmans.
Sur la base de ce fiqh dynamique et combatif, voici comment Qotb parle de la souveraineté et du gouvernement.

La «hâkimiyya», souveraineté absolue (de Dieu)
II n'est qu'un seul jugement (hukm), celui de Dieu, car Lui seul, dit Qotb, peut juger des choses sans faire intervenir des intérêts individuels ou de classe. (Z., 2516 et suiv.:C0r., 24, Nûr, v. 46-57). Cette sagesse divine comporte la législation des sociétés humaines, et la puissance contraignante (sultan qâhir} pour la faire respecter, à tel point qu'il n'est pas, en ce monde, d'organisation sociale qui puisse réussir si elle n'est pas pénétrée par cette force (quwwà) divine. Cette force provient, tout naturellement, de l'infaillibité du hukm divin du fait de l'harmonie cosmique générale (Z., 492:Cor., 3, Âl-'Umrân, v. 121-179; et Z., 3 150:Cor., 42, Shûrâ, v. 1-24). Chacun des attributs divins a ses effets propres dans la vue islamique du monde (tasawwur) (Z., 286:Cor., 2, Baqara, v. 253-257). Il s'agit donc, pour l'homme, de vivre intégralement sa confession, son témoignage shahâda dans la vie personnelle, dans la prédication, et aussi dans l'action pour instaurer partout sur la terre le système de Dieu pour gouverner les hommes, car là seulement est «l'homme nouveau», «la nouvelle naissance» (Z., 673:Cor., 4, Nisâ', v. 44 et suiv. ; et aussi Z., 688 et 697:Cor., 4, Nisâ', v. 58-70). La shahâda oblige à instaurer la sharî'a sur terre, par le jihâd s'il le faut, et donc par le martyre (istishhâd) (Z., 387 et 481 et suiv.:Cor., 3, Âl-'Umrân, v. 1-32 et v. 121-179).
L'erreur, la grande erreur (celle des dâllîn de la Fâtihà), consiste à séparer entre la religion et le monde certes, et plus radicalement entre les choses humaines et les choses de l'univers. Seul le nouveau converti — comme Qotb — peut goûter et mesurer la différence entre les deux vues du monde (Z., 25:Cor. 1, Fâtihà; et Z., 200: Cor., 2, Baqara, v. 189-203).
La hâkimiyya impose donc et assure une éthique, essentiellement une éthique, et non d'abord un ordre juridique et institutionnel : on s'en remet absolument à Dieu, dans l'effort et l'action sans compter, avec une sérénité totale concernant les résultats, voilà Y islam, l'éthique musulmane, qui est unique de cette espèce (Z., 2867:Cor., 33, Ahzâb, v. 32-48; Z., 210:Cor., 2, Baqara, v. 204-214; Z., 440:Cor. 3, Al-'Umrân, v. 93-120; Z., 568 et suiv. et 598-601 et 690:Cor., 4, Nisâ', introduction, v. 15-23 et v. 58-70). Cette servitude absolue (ubûdiyya) (Z., 406 et suiv.:Cor., 3, Al-'Umrân, v. 33-36) diffère totalement de l'interprétation païenne, jâhilique, formelle, de la ibâda comme simples rites (Z., 1763:Cor., 10, Yûnas, v. 1-25; cf. aussi Z., 1967:Cor., 12, Yûsuf, introduction).
La hâkimiyya a trois domaines, inséparables : les lois, les cou­tumes, la croyance et la vue du monde (Z., 1940:Cor., 11, v. 100-123). Et pour toute la terre. Donc elle implique nécessairement la qiyâda (leadership) mondiale par les musulmans, leur société et leur Etat, ce qui requiert un dosage d'agressivité et de patiente humiliation (Z., 3 166:Cor., 42, Shûra, v. 25-53) et l'usage, aussi, s'il le faut et si on en dispose, du prestige (jâh) et de la violence, voire de la magie et des forces de la nature (comme Moïse et comme Salomon) : tous ces moyens ne sont, au fond, que des éléments d'un même ensemble soumis à Dieu et à son ordre (amr) (Z., 3 228:Cor., 45, Jâthiyya, v. 1-23; Z., 2245:Cor., 17, Isrâ', v. 73-111; Z., 123 et 258 et suiv.:Cor., 2, Baqara, v. 142-152 et 221-242; Z., 2 674:Cor., 28, Qisas, v. 1-43; Z., 3021:Cor., 38, Sâd, v. 17-48; Z., 689:Cor., 4, Nisâ', v. 58 et suiv.; Z., 16: introduction générale).
La hâkimiyya, génératrice d'une éthique saine et d'une qiyâda mondiale de principe, s'exprime nécessairement, chez les serviteurs ('ibâd), par l'active et incessante exhortation au bien (Amr bi-al-ma'rûf...). Qotb situe cet emblème de l'Islam comme suit: l'exhorta­tion est à la racine, antérieure aux lois elles-mêmes, et, aussi bien, radicale et pas limitée aux branches (furû'). Point de corrections partielles, sinon provisoirement, mais instauration de la reconnaissance de la hâkimiyya en principe par le prince en service, selon ce hadith: «Le jihâd le meilleur est de dire son fait (kalimat al-hâqq) à l'imam en faute» (Z., 948-951:Cor., 5, Mâ'ida, v. 67-81; et aussi Z., 929:Cor, 5, Mâ'ida, v. 51-66). Comme le Coran est «la constitution perpétuelle» des sociétés humaines vraies, et leurs «repères sur la voie» (ma'âlim fi al-tariq) (Z., 29:Cor., 2, Baqara, Introduction), il va de soi que la hâkimiyya active nécessairement et incessamment «une révolution totale» contre toute domination humaine exclusive, une «rébellion (tamarrud) contre les lois positives purement humaines», bref l'instauration «du royaume de Dieu sur la terre» (mamlakat Allah fi al~ard) (Z., 1 433:Cor., 8, Anfâl, introduction). Mais, bien entendu, avant l'action révolutionnaire, il y a la représentation pure et neuve longuement reçue, méditée, expérimentée en petits cercles (Z., 16: introduction générale). La hâkimiyya s'impose d'abord aux cœurs, où a lieu la première révolution contre l'idolâtrie, thème qotbien important abordé, notamment, à propos du «ba'th islamique» au paragraphe précédent.
Enfin, la hâkimiyya, bien entendu, est l'antithèse du tâghût, l'idolâtre dictature humaine. Celle-ci est définie comme étant tout pouvoir (sultan) qui ne s'appuie pas sur le pouvoir de Dieu et sur sa sharî'a, c'est-à-dire qui, en conséquence, s'arroge à lui-même la hâkimiyya (Z., 927:Cor., 5, Mâ'ida, v. 51-66). Il y a alors une tyrannie subtile qui impose des valeurs et des appréciations au service du tyran, en retournant l'accusation de tyrannie et de brigandage contre les opposants à la tyrannie, tel Moïse face au Pharaon : la saine nature est corrompue en masse, avec l'aide du clergé, des mythes et rites, de la mode et du contrôle social, et autour de thèmes mobilisateurs déviants : patrie, richesse, honneur, peuple (qawm), race (jins), classe, productivité, etc. De tout cela découle un «esclavage juridique». Sans compter l'idéologie du pouvoir tyrannique : on le divinise en lui donnant de la rahma (bonté paternelle), du qahr (coercition), de la providence (ihâta), bref, tout ce qui est propre à la seigneurie (rubûbiyya). Et il se trouve, dans le plan de Dieu, que ces pouvoirs tyranniques impies sont une nécessité matérielle, un temps parfois assez long, comme épreuve pour les croyants. Ceux-ci tomberaient dans le kufr s'ils reconnaissaient ne serait-ce que la légitimité d'un tel pouvoir et de ses lois. Or, affirme Qotb franche­ment (Z. 407), ce sont tous les régimes politiques autres que l'islamique, aussi bien les démocratiques que les dictatoriaux : le tâghût ne tient pas à la forme de gouvernement, mais à son fondement ; il se considère comme la racine, asl. Tous ces pouvoirs et leurs fonction­naires divers, — ainsi, de nos jours, les communistes, et, jadis en Europe, l'Eglise de Rome — ont pour tâche importante, pour leur survie, de discuter (jadâl) le message coranique par maintes arguties. A cela on reconnaît l'incroyant foncier (Z., 3 111 et suiv.: Cor., 40, Ghâfir, v. 78-85; Z, 407:Cor., 3, Al-'Umrân, v. 33-64; Z, 2076:Cor., 13, Ra'd, v. 19-43; Z, 1897 et 1941:Cor., 11, Hûd, v. 50-68 et 100-123; Z., 895 et suiv. et 927:Cor., 5, Mâ'ida, v. 41-50 et 51-66; Z., 2 683:Cor., 28, Qasas, v. 1-43 ; et Qotb cite volontiers Mawdûdi).
Voilà les champs variés de la hâkimiyya, qui constituent une manière de conclusion et synthèse de tous les domaines de la théorie sociale et politique du Zilâl. Comme Rida, Qotb refuse fermement — à la différence de la récente secte kadâfiste exprimée dans le Livre vert et les Discours [28] — de séparer l'autorité du Coran de celle, déléguée, de Muhammad (cf. T.M., IV, 31, et V, 181 et suiv.:Jomier, 192-193). Mais il ne distingue pas franchement entre le domaine du service-de-Dieu ('ibâda, qu'il théorise même dans le terme de forme abstraite ubûdiyya, qui appartient au lexique soufi [29]) et celui de la vie en société ; comme le faisait Rida (ibid.). Nous retrouvons ici le mysticisme politique propre à Qotb. Et la légitimité muhammadienne que revendique ce dernier se concrétise bien, comme dans la Siyâsa shar'iyya de Ibn Taymiyya dont s'inspire Rida [30], dans la sharî'a, mais entendue pour tous les secteurs de la vie et tous les secteurs de l'activité sociale. Cela exige, pour Qotb, un nouveau David, un imam califal vraiment sage, doué du hukm, sagesse des messagers historiques — terme coranique que Blachère traduit, dans ce contexte, par «illumination» —, un «illuminé».
 

Le combat-pour-Dieu et l'État islamique chez Sayyid Qotb, l'inspirateur du radicalisme islamique actuel
Imam, allégeance (bay'a) et Conseil (shûrâ)

II nous paraît notable que — conséquence logique — le Zilâl s'attarde sur le pouvoir personnel étendu de Y imam califal idéal et sur la bay'a ou mubâya'a qui lui lie ses sujets, tandis que le Tafsîr du Manâr s'étendait surtout sur la shûrâ et, dans un sens presque équivalent, sur Yijmâ [31] (T.M., IV, 118-119, 178-206; V, 181-188, 203 et suiv. ; VII, 493 et suiv. ; VIII, 103; IX, 264: Jomier, 215-217 et 193). Rida énumérait ceux des «notables» des diverses catégories sociales qui devaient, selon lui, composer le Conseil, shûrâ (T.M.,V, 187: Jomier, 202, où ûlû al amr, détenteurs de l'autorité, sont identifiés à ahl aï-hall wal-'aqd, qui sont les «gens de la shûrâ»}. Qotb évite cela, et se réclame en fait — tout en le niant — de Afghâni et de 'Abduh et de «l'intérêt de la communauté» [32]. Au lieu que Rida — à la différence de 'Abduh — décrivait l'idéale élection démocratique vertueuse des imam-califes des origines par les gens compétents de la communauté entière (T.M., XI, 265: Jomier, 217), Qotb élabore une mystique de la bay'a et de l'obéissance jurée plus forte et plus froide et raisonnée, plus fidéiste, plus proche de la 'ubûdiyya des soufis que ne l'est l'obéissance pratique et fanatique, dit-il, d'un fidâ'i. Sur ce point de \'imâmat-a\\égeance (bay'a), Hasan Hanafi nous paraît avoir raison de souligner chez Qotb et chez les qotbiens (parmi lesquels il se compte) l'héritage de Jamâl Eddine [33]. Par delà Rida et 'Abduh, les qotbistes — c'est-à-dire les « illuminés » activistes et parfois violents — entendront faire effectivement «la révolution islamique» en changeant les têtes.

Remarquable, en parallèle, est l'insistance de l'appareil musulman actuel sur les mêmes deux thèmes : imamat, bay'a, dans leurs grands documents directifs d'actualité [34].

Concernant la shûrâ, le Zilâl — qui la minimise donc, relativement — ajoute au Manâr deux idées remarquables. L'une, c'est l'idée d'une décentralisation locale très large, permettant à la shûrâ de fonctionner à échelle humaine, un peu comme Kadhafi, récemment, a décrit sa démocratie directe [35]. Le Zilâl fait déjà, lui aussi — de manière plus précise que 'Abduh — et bien avant le Livre vert de Kadhafi, une critique vive du parlementarisme partisan des régimes libéraux européens. Il reprend l'héritage de Hasan Al-Bannâ et des Frères musulmans, opposés aux partis, mais non au parlementarisme [36]. L'autre idée propre du Zilâl en matière de shûrâ, c'est celle d'un système électoral fondé sur le mérite moral (et non plus sur la notabilité comme chez Rida), avec une sorte de mesure par sondages d'opinion spontanés réguliers. Qotb esquisse même, sur cette base-là, la procédure électorale d'un régime présidentiel : les élus des shûrâ locales élisent eux-mêmes le meilleur candidat parmi eux à Vimâmat, lequel est alors présenté au référendum, selon un mouvement montant puis descendant. Le point remarquable est la similitude entre cette procédure et celle du régime politique nassérien. Le parti unique de masse avec ses cellules locales y jouait un rôle de shûrâ. L'idée de parti islamique de masse était préconisée par Bannâ, puis par Awda et par Qotb lui-même dans les années 1950 [37].

al-Mawdûdî
al-Mawdûdî
L'on sait, en effet, que Bannâ fut l'un des maîtres à penser de Sadate et de Nasser à partir de 1944, que Awda fut peut-être, en 1954, quelques semaines, l'inspirateur du projet de la Constitution égyptienne future. Enfin Qotb fut, courant 1953, pressenti par Nasser pour établir le règlement du Rally de la Libération et pour en diriger la section idéologique, choses qu'il refusa [38]. Il forma des purs, des actifs, des croyants du front, des «avant-garde du ba'th islamique», parmi lesquels il ne compte pas «l'école de 'Abduh», gens de livres et non d'action. Là intervient sans doute le germe vraiment révolution naire contenu dans la théorie qotbienne des «classes de foi» à l'image de la société musulmane primitive idéalisée : pour justifier sa propre militance d'avant-garde, Qotb reconnaît, à la différence de 'Abduh et, sans doute aussi, de Rida, une autorité active aux compagnons de Muhammad, les premiers croyants, les premières avant-gardes (compa­rer à la définition de Salaf par 'Abduh, dans Jomier [39], et à la position de Rida, plus proche de celle de Qotb, dans T.M., IV, 31 ; V, 181-190:Jomier, 193). Une autre remarque du Tafsîr a pu ensemencer l'idée qotbienne du fiqh dynamique : Rida, en effet, lance l'idée que Yijmâ' de chaque génération n'est valable que pour cette génération (T.M., V, 203-208: Jomier 203-204). L'idée, nullement classique, surprenait 'Abduh. L'idée de Qotb eût surpris, encore davantage, Rida lui-même. L'ijtihâd des origines est, chez Qotb, franchement ouvert à nouveau.

Tous les musulmans sincères se rencontrent dans la conviction absolue — mais, justement, applicable par des voies divergentes ici et maintenant — que les seules sources du droit, en tout temps et en tout lieu, sont le Coran et la sunna authentique. Les mouvements qotbistes, eux, s'empareront du souffle du Zilâl, (absent des écrits habituels et du Tafsîr al-Manâr), qui consiste dans l'application du soufisme au combat politique et dans la recréation du fiqh par les combattants soufis eux-mêmes et non par les docteurs. Ils s'engagent dans ce combat par la violence armée quand ils la jugent indispensable [40].
 

________________________________
1. Hasan Al-Bannâ, Mémoires du message et du messager, (en arabe), Beyrouth, éd. 1970, p. 74.
 2. Hasan AI-'Ashmâwi, Les Frères et la «Révolution» (nassérienne), (en arabe), Le Caire, 1977 (posthume), p. 162.
3. Sayyid Qotb, Jalons sur le chemin (en arabe, Le Caire, 1964), nouvelle édition, Union islamique mondiale, 1980, p. 131, 160. Innombrables impressions, parfois sans nom d'auteur et sans titre général. Cet opuscule rassemble des textes tirés de l'œuvre mère, le Commentaire du Coran (cf. note suivante) : l'introduction à la sourate 6 (An'âm), en trois chapitres, celle à la sourate 8 (Anfâl), celle à la sourate 71 (Nûh), celle à la sourate 3 (Âl-'Umrân), à la sourate 9 (Tawba), et des extraits du commentaire du Zilâl dans les sourates: 8, v. 55-65; 2, v. 104-160; 3, v. 65-179; 4, v. 15 104; 5, 51 66 ; et 85.
4. Fî Zilâl al-qur'ân (A l'ombre du Coran), Beyrouth et Le Caire, Dâr al-shurûq, (30 fascicules d'après les 30 portions (joz') traditionnelles du Coran). La 8e édition, 1978, est brochée en 6 volumes, de 5 fascicules chacun, avec une introduction générale de la plume de Sayyid Qotb, non datée, mais prévoyant sa mort prochaine (1965-1966, en prison?). Traduction du Zilâl dans plusieurs des langues des pays musulmans.
6.C'est-à-dire p. 3 550 du Zilâl, sur la sourate 61 du Coran, intitulée Saff; lorsque l'intitulé de la sourate est suivi de v., il s'agit des versets de la sourate. Nous éviterons de fournir une traduction du titre des sourates car les traductions autorisées varient tellement qu'elles gênent la recherche de la référence textuelle.
5.Rashîd Rida est la dernière figure du Réformisme musulman, après Jamâl Eddine Afghâni et Muhammad 'Abduh. Il est mort en 1935. Hasan Al-Bannâ était l'un de ses disciples et a repris sa revue Manâr jusqu'en 1941. Le commentaire coranique de Rida (et, pour une partie, de 'Abduh), Tafsîr al-Manâr (T.M.), sert de point de référence normal à celui de Qotb, Zilâl (Z.).
7. Référence est faite ici, par l'éditeur peut-être, à l'opuscule de Mawdûdi sur le Jihâd, repris par S. Qotb, Al-salâm al-'âlami wa-al-islâm (La paix mondiale et l'Islam). Cf. les traductions anglaises de Abû-al-'Alâ Mawdûdi (mort en 1979) ; Toward understanding Islam, Lahore, 14e éd., 1974; Fundamental principles of Islamic Constitution, Lahore, 1952 ; Islamic law and constitution, Lahore, 1960 ; Political theory of Islam, Lahore, 1965.
8.Cf. J. Jomier, p. 279-281 (les références bibliographiques complètes se trouvent
dans la bibliographie de référence, à la fin de l'article).
9.J. Jomier, p. 262-263, d'où viennent aussi les citations que nous donnons du
Tafsîr al-Manâr (T.M.) de Rida.
10. Cf. J. Jomier, p. 265, et note 2, qui mentionne la thèse de l'exégète «moderniste» du Coran, M.A. Khalaf-Allâh, 1951.
11.Cf. A.S. Faraj, Farîda ghâ'iba, 1981, ronéo. (Sur: jihâd de Yumma = cataclysmes d'antan). L'auteur fut pendu en avril 1982 sous l'inculpation d'avoir inspiré et aidé les quatre assassins de Sadate le 6 octobre 1981.
12.J. Jomier, p. 266-269; cf. T.M., XI, 345 et VIII, 463; et, sur Ohod: T.M., V, 268-270; IX, 28, 77-78; X, 22-23, 38-39.
13.S. Qotb, Jalons sur le chemin, op. cit., 1964, 13e et dernier chapitre: «Hâdha huwa al-tarîq» (= Z., 3 871-3 876:Cor., 85, Burûj) (Voici la voie). Cette sourate 85, comme l'on sait (cf. R. Blachère, 1949, p. 120, n° 4) s'inspire peut-être à la fois du Livre de Daniel, chap. 3, et de la persécution des Chrétiens de Najrân par Dhoû Nuwâs, roi juif, en 523 : échec apparent de la foi devant la force tyrannique.
14.Comparer J. Jomier, p. 270-271; cf. T.M., II. 211. 314; III, 36-39; IV, 62; X, 85, 203, 309; XI, 255.
15.J. Jomier, p. 272 (T.M., XI, 279-280 et II. 103-104).
16.Comparer J. Jomier, p. 273 (T.M., VI, 437; II, 316; X, 193-194).
17.J. Jomier, p. 276-277, qui expose clairement les deux positions d'école et l'option de Rida.
18.H. Laoust, (1939), p. 365, cité par J. Jomier, p. 278.
19.Article de S. Qotb, dans Al-Da'wa (alors hebdomadaire) du 4 septembre 1951, p. 4, noté par J. Jomier, p. 279, note 1. Et: Guerre obligatoire contre les gouvernants impies, pour les groupes Tahrîr en 1974, Takfir en 1977, Jihâd en 1981. Comparer H. Hodaybi, Prêcheurs, pas juges, (en arabe), Le Caire, 1977 (écrit en 1969): «L'Etat islamique n'est pas nécessaire», p. 74.
20.Sur Jamâl Eddine «tyrannicide» dans sa théorie et dans sa pratique, l'une et l'autre cautionnées par Rida dans son Târikh al-imâm, cf. E. Khedourie, p. 25, et 64, et note 188. Sur Rida dans le Tafsîr, cf. J. Jomier, p. 280 (T.M., VI, 431-432).
21.Cf. J. Jomier, p. 281 (T.M., V. 357, attribué à 'Abduh, non à Rida).
22.J. Jomier, p. 283, note 1.
23.Cf. La Réfutation de «Farîda»..., par le Grand mufti d'Egypte 'Ali Jadd Al-Haqq dans Ahrâm du 8 janvier 1982 (en arabe).
24.Cf. l'annotation du texte coranique par R. Blachère, sur les sourates 60, v. 1, 4, 8 et 9 (rupture avec les siens et haine pour les « expulseurs ») ; 61, v. 14 (les «auxiliaires» de Dieu à l'instar des «apôtres» — même mot — de Jésus); 47, v. 20, 32-35 (obligation individuelle de la guerre, contre les apostats, comme épreuve-épuration, et sans paix) ; 29, v. 6 (combat à la fois normal, de purification collective, de menace et de prédication); 9, v. 5 et suiv., 73-74, 97 et suiv. (les Hypocrites; la « Mosquée-de-nuisance » édifiée en concurrence de celle(s) de Muhammad, comme emblème d'un schisme) ; 8, v. 55-70 (préparation militaire, force d'une minorité croyante agissante) ; 4, v. 71-94 (obligation pour tous, contre les Hypocrites qu'il faut tuer, mais après discrimination soigneuse...); 2, v. 243-257 (obligation de la guerre, et sans «contrainte en religion», base du futur pacifisme de l'empire musulman). Cf. aussi la thèse de A. Morabia qui permet de vérifier à la fois l'orthodoxie «classique» de Qotb, et son ton khârijite et chiite, voire ismâ'îlite, ton qui fait partie, sur ce point, de la synthèse de Ghazâli (mort en 1111) lui-même. Cf. enfin, B. Lewis sur le meurtre politique chez les Ismaïlites extrêmes.
25.Cf. J. Jomier, p. 266 (T.M., X, 22-23 et IX, 28 et 77-78), sur la cohésion des armées européennes lors de la guerre de 1914-1918 par leurs convictions patriotiques.
26.Cf. Zaynab Al-Ghazâli, Jours de ma vie, Le Caire, 1978, p. 35 et suiv. (en arabe).
27. Cf. Tract de S. Sâriyya, le chef de file du groupe Tahrîr, avril 1974, sur Che Guevara, in Al-Ahrâm, 3 mai 1974.
28.Cf. notamment l'article critique de A.E. Mayer, «Le droit musulman en Libye», Maghreb-Machrek-Monde arabe, 93, juin-août 1981, p. 5-22. Le rejet des Hadîth entraîne logiquement le confinement de la Shari'a à la vie religieuse.
29.Sur la notion soufie de 'ubûdiyya, comme service intérieur approfondissant la 'Ibâda, cf. R. Arnaldez, p. 238, 78-79, 43-44: elle est adoptée par le Commentaire de Râzi à propos de Marie mère du Messie.
30.Cf. Rida, dans H. Laoust (1938), p. 101 et suiv. et Ibn Taymiyya, dans H. Laoust (1938), p. 169; et cf. J. Jomier, p. 202-203. Rida élargit nettement le contenu du terme coranique «ulû al-amr», qui, pour Ibn Taymiyya, comprend la classe des émirs et celle des 'Ulama uniquement.
3l. Cf. C. Mansour, dernier chapitre.
32 .O. Amin, Muhammad 'Abduh, Le Caire, 1944, p. 116-117 (cité par J. Jomier, p. 216). Sur la surévaluation de principe du rôle du chef musulman chez Afghâni, cf. N.R. Keddie, p. 226 et suiv. Le Califat de Rida (H. Laoust, 1938, p. 156), nettement antimonarchique omeyyade, s'efforce de faire du pouvoir du chef une émanation de celui de la communauté.
33.H. Hanafi (1979), p. 6-7; et H. Hanafi (1980), passim (sur la «révolution (politique) islamique» chez Qotb et Mawdûdi, héritée de Afghâni et contre «l'école de 'Abduh»).
34.Cf. La Constitution islamique, in Majallat al-Azhar, avril 1979, art. 44-60 (chap. 5) sur l'imam (entendu comme chef politique d'un pays musulman, donc pluriel) et sur la bay'a. Comparer à Déclaration islamique universelle des droits de l'homme, Paris, 1981, IV, e, X, b, et Préambule, g, VII et IX, qui remplace la bay'a par la shûrâ, sans nier expressément la première.
 
35.M. Kadhafi, Le livre vert, première partie ... Démocratie, «Le pouvoir du peuple», (Paris, Cujas, 1976 (bilingue), p. 7-27) critique (d'un ton anarchiste classique et simplifié) de la représentation parlementaire, des partis, du référendum ; et p. 28 et suiv. : éloge de la démocratie directe par les comités de base, etc.
36.Cf. H. Al-Bannâ, «Lettre au Ve Congrès». «Lettre: d'hier à aujourd'hui», «Lettre des enseignements», trois textes de 1943 probablement, et aussi: «Nos problèmes à la lumière de l'Islam» (1946 ou 1948?), respectivement: p. 311-314; 250; 15-17 et 27-28 ; 397-407. Cinq écrits justifiant islamiquement le régime constitutionnel parlementaire, mais attaquant le système des partis et le mode de scrutin, en faveur d'un Rassemblement de masse islamiquement guidé.
37.Cf. H. Al-Bannâ, «Nos problèmes ...», p. 407 et suiv.; A.Q. 'Awda, Al-mâl... («La richesse et le pouvoir en Islam»), Le Caire, 1951, (en arabe), p. 77, 80, 93, 108, 113 et S. Qotb (1953), p. 95 et passim.
38.Cf. H. Al-'Ashmâwi, Les Frères et la «Révolution», op. cit., p. 13-15 et 20-22 (premières rencontres entre Sadate, puis Nasser, et Bannâ) ; p. 31-32 (sur Qotb sollicité par Nasser en 1953 pour le Rally de la Libération) ; p. 87-90 (sur les dernières rencontres entre Nasser et l'auteur et, semble-t-il, 'Awda et quelques juristes, en juin 1954). Cf. A. Al-Sâdât, Les secrets de la révolution, et Mâyo de juillet 1981, sur la coopération entre les officiers libres et Bannâ dans les années 1940.
39.Délimitation de Salaf par Abduh: cf. J. Jomier, p. 194, notes 1, 2, 3, 4.
40.Sur les positions des extrémistes qotbistes, cf. surtout les Minutes du procès de l'affaire Takfir, Le Caire, 1977; et 'Abd al-Salâm Faraj, Al-farîda-al-ghâ'iba, op. cit, passim. Sur la «Constitution islamique» type, position modérée de l'appareil de l'Islam, cf. le commentaire critique (soulignant l'importance donnée au pouvoir judiciaire) de J.J. Donohue, in Cemam Reports 1978-1979, Beyrouth, 1981, p. 108-119 et 139-142. L'article 71 de cette Constitution islamique-modèle énonce la peine des hudûd contre l'apostasie. Et pour une vue synoptique de l'histoire des mouvements «illuminés» violents en réaction «islamiste» aux régimes autocratiques «musulmans» cf., par exemple, B. Lewis, p. 170-186, et la préface qu'en donne M. Rodinson, p. 9-29.






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