Les cahiers de l'Islam
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Mercredi 6 Avril 2016

La Guerre Froide Des “Islamologues”



Derrière cette bataille d'ego un peu cocasse à laquelle se livrent les spécialistes sur l'interprétation du terrorisme djihadiste, ce qui est en jeu, c'est notre rapport avec l'islam français.


C’est une guerre moins sanglante, certes, que le terrorisme mais qui devient inexpiable. Je parle de cette querelle médiatique qui divisent les (vrais ou faux) experts de la question. Elle porte sur l'interprétation qu'on peut donner du terrorisme djihadiste. Est-il le produit pathologique de l'islam, une "maladie" de ce dernier, comme l'écrivait le regretté Abdelwahab Meddeb ? S'agit-il au contraire d'une nouvelle expression de l'extrémisme révolutionnaire (le "radicalisme") qui ressurgit périodiquement dans l'Histoire, comme ce fut le cas en Allemagne et en Italie dans les années 1980 ? L'univers médiatique adorant les petites phrases, ce désaccord interprétatif se ramène à deux formules opposées. Certains assurent, comme Gilles Kepel, qu'on a affaire à une "radicalisation de l'islam" , d'autres estiment, avec Olivier Roy, qu'il est plus pertinent de parler d'une "islamisation de la radicalité" .
Qu'est-ce à dire ? L'un pense que la matrice est d'abord religieuse (le salafisme venu d'Arabie saoudite) ; l'autre explique - exemples à l'appui - que, paradoxalement, le facteur religieux ne joue qu'un rôle assez secondaire dans ces ralliements à Daech et ces départs adolescents pour la Syrie. Il eût été passionnant que soit conduit, avec calme et respect, ce débat interprétatif. Hélas, les hommes étant ce qu'ils sont, c'est déjà l'invective qui prévaut.

L'ouverture des hostilités semble être d'abord venue de Gilles Kepel, qui crut voir son travail de spécialiste ès islam remis en cause par les hypothèses non confessionnelles d'Olivier Roy. Il répliqua dans les médias sur un ton plus vif qu'il n'est d'usage entre chercheurs. Sur France Culture, il se moqua de l'engouement des journalistes pour la formule d'Olivier Roy. Une autre fois, alors qu'il était interrogé sur Molenbeek, en Belgique, il éluda la question pour reprendre sa vindicte, en stigmatisant une fois encore ceux qui "ne parlent pas l'arabe". Dans son dernier livre, Kepel n'est pas plus indulgent pour un autre islamologue, Jean-Pierre Filiu, qui pourtant connaît la langue arabe, y compris le dialectal, et dont les travaux sont partout respectés.

O. Roy; G. Kepel; F. Burgat et J. p. Felliu
O. Roy; G. Kepel; F. Burgat et J. p. Felliu
Un autre chercheur, François Burgat, dont les thèses rejoignent celles de Kepel, s'en prend lui aussi vertement au même Olivier Roy. Il lui reproche, en substance, de désarmer la lutte contre le terrorisme et même de "disculper" nos politiques étrangères. Ce n'est pas rien ! Pour Burgat, les tenants d'Olivier Roy, obsédés par l'islamophobie ambiante, feraient disparaître une composante essentielle du terrorisme. Cette guerre s'envenimant, les médias en sont aujourd'hui réduits à compter les points. C'est dommage ! Dans son numéro daté du 22 mars, "Libération" publiait ainsi (en la commentant) une riche enquête menée par les étudiants en journalisme de Sciences-Po. Après l'examen minutieux des biographies et parcours de 68 des 168 jeunes Français morts en Syrie et en Irak depuis trois ans, cette étude de cas donne clairement raison à Olivier Roy. C'est ce que note Laurent Joffrin dans son commentaire. La plupart de ces apprentis djihadistes, écrit-il, nouveaux convertis ignorant tout de l'islam, "semblent plus participer de cette islamisation de la radicalité dont parle Olivier Roy"


Qu'on ne s'y trompe pas. Derrière cette bataille d'ego un peu cocasse, ce qui est en jeu, c'est notre rapport avec l'islam français. Or, faut-il le rappeler, la France bénéficia dans les années 1980 d'une "école" d'islamologie réputée. Qu'il nous suffise de citer les noms de Jacques Berque, Louis Massignon, Maxime Rodinson, Bruno Etienne, Mohammed Arkoun. Sans oublier - pour le chiisme iranien - l'immense savant que fut Henry Corbin, dont son élève, Christian Jambet, perpétue aujourd'hui la mémoire. Lire la suite.




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