Les cahiers de l'Islam
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Vendredi 3 Novembre 2017

Où est l'empathie pour la Somalie ?


Traduction d'un article d'Alexis Okeowo, rédactrice pour le journal The New Yorker, sur l'attentat qui a eu lieu à Mogadiscio le 14 octobre 2017 et faisant près de 300 victimes.



Où est l'empathie pour la Somalie ?

Alexis Okeowo a rejoint The New Yorker en tant que rédactrice en 2015. Elle est l'auteur de "A Moonless, Starless Sky: Ordinary Women and Men Fighting Extremism in Africa " (2017). Ses travaux ont notamment été primés dans "The Best American Sports Writing" (2017) et "The Best American Travel Writing" (2017). Elle a reçu diverses bourses et subventions de la part de New America, de la Fondation Alicia Patterson, du Centre Pulitzer sur les rapports de crise et également de l'International Reporting Project. Elle a déjà collaboré pour le New York Times Magazine, Bloomberg Businessweek et le Financial Times.

Zakariye Abdirisaq, à gauche, dont le père et la tante faisaient partie des centaines de personnes tuées dans l'attentat à la voiture piégée de Mogadiscio, est réconforté par sa cousine. Photographie par Mohamed Sheikh Nor / AP
Zakariye Abdirisaq, à gauche, dont le père et la tante faisaient partie des centaines de personnes tuées dans l'attentat à la voiture piégée de Mogadiscio, est réconforté par sa cousine. Photographie par Mohamed Sheikh Nor / AP

Article publié le 17 octobre 2017 sur le site The New Yorker.

Par Alexis Okeowo


Durant le week end, une énorme bombe a explosé à Mogadiscio, la tentaculaire, autrefois charmante capitale de Somalie. Les explosions se sont déclenchées un samedi après-midi dans un carrefour très fréquenté, lors d’un embouteillage, et tuant près de trois cent personnes, au minimum, et blessé des centaines d’autres. Les premiers intervenants sont arrivés dans un décor apocalyptique : des corps brûlés impossibles à identifier (notamment un bus d’écoliers qui était sur le chemin du retour), des bâtiments réduits en cendres,  des survivants qui s’enfuient, certains cherchant leurs proches, et une zone de dévastation d’une taille équivalente à quelques terrains de football. L’attaque à Mogadiscio a engendré chez ses habitants une horreur qui est devenue terriblement banale, car Al Shabaab, un rameau du groupe Al Qaeda, mène une guerre de domination. Il s’agit de la plus grande attaque terroriste qu’ait connu la Somalie.
Il n'y avait aucun hashtag spontané de solidarité, pas non plus de déluge en matière de couverture télévisuelle.  

Et c’est avec une déception familière que les Somaliens, au sein du pays et à travers la diaspora, ainsi que d’autres observateurs concernés, ont vu les détails de l’attaque échoué dans les titres des journaux de télévisions ou résonné massivement sur les réseaux sociaux. Il n’y avait aucun hashtag spontané de solidarité, pas non plus de déluge en matière de couverture télévisuelle. Comme si l’explosion était un nouvel incident dans la vie quotidienne des Somaliens, un éclat de violence noyé parmi d’autres violences. Le manque d’empathie public était saisissant mais pas surprenant.

Nous nous sommes dit qu’il y a de bonnes raisons pour que nous ressentions plus facilement de la compassion pour des gens qui nous ressemblent, ou qui vivent près de nous, ou qui partagent nos valeurs. Il est plus facile de s’identifier à eux et d’imaginer leur souffrance comme si c’était la nôtre. L’empathie, alors, pour les conflits lointains, particulièrement ceux qui concernent les africains et les musulmans tend à l’élasticité. Mais les histoires qui sont comptées depuis un lieu peuvent permettre ou non l’aptitude d’exprimer son empathie pour les gens qui vivent dans ce dernier. Les informations traitant de la Somalie sont généralement aliénantes, elles véhiculent l’idée selon laquelle les attaques terroristes quasi quotidiennes sont plus normales que celles moins fréquentes qui ont lieues en Occident. Ce qui signifie, en conséquence, que les gens en Somalie pleurent différemment ou avec moins d’intensité.

La plupart des grands organes de presse ont publié des articles sur ce qui s’était passé mais, hormis quelques rares exceptions, la majorité d’entre eux a adopté la même forme : une narration impartiale de l’explosion, similaire à la plupart des articles sur les évènements majeurs. Ce qui manque souvent dans les jours qui suivent les attaques en Somalie, ce sont les histoires intimes des victimes, le sens de la réalité, des personnes qui respiraient ont été affectées, ces attaques ne sont ni normales ni attendues. Avec un lieu comme la Somalie,  défini par des stéréotypes au delà de ses frontières, il est devenu acceptable d’imaginer ce pays comme tenant uniquement de la guerre et de l’extrémisme, oubliant les vies multicouches qui possèdent des préoccupations, des intérêts ainsi que des désirs similaires et universels. « L’empathie exige autant d’investigation que d’imagination » comme l’a écrit Leslie Jamison dans « The Empathy Exams ».  L’empathie exige de savoir que vous ne savez rien.

Les Somaliens ont raconté leurs propres histoires. Certains ont collectivement organisé une campagne de fonds pour aider les premiers secours. D’autres ont recensé et partagé des photos dans l’espoir de retrouver les personnes disparues : 

 

Où est l'empathie pour la Somalie ?
Et beaucoup ont simplement demandé : Où était la vague de sympathie pour un désastre qui s’est déroulé dans l’un des pays les plus marginalisés au monde ? Ces gens étaient-ils trop marginalisés pour les plaindre ?

L’empathie est un point de vue fragile : c’est potentiellement une façon humaine de regarder une personne qui est à la fois différente et lointaine de vous, et potentiellement une façon d’ignorer les complexités qui composent ces  différences dans l’effort d’établir une relation. Si l’empathie ne vous conduit pas à aplanir l’expérience de ces gens pour essayer de les comprendre, elle peut cependant et radicalement être une chance pour contourner les stéréotypes et vous permettre de faire vos propres jugements basés sur la perspicacité et la sensibilité. C’est ce que méritent les gens de Somalie qui pleurent ceux qui sont morts, qui chérissent ceux qui ont survécu et qui trouvent, comme toujours, des moyens de continuer à vivre.

Traduction d'Amine Djebbar pour les cahiers de l'Islam


 





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