Les cahiers de l'Islam
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Dimanche 28 Octobre 2012

La liberté de croire en Islam, Amal Grami


Nous présentons ici un commentaire personnel et une courte analyse réalisés par Youssef Elmhadhbi sur le livre "La liberté de croire" d'Amal Grami, professeur à la faculté de la manouba à Tunis (section arabe), paru en 1997 aux éditions Le Fennec. L'ouvrage traite du sujet délicat de l'apostatsie (ridda) à la fois sous l'angle du Fiqh et celui de la loi positive.



Frappée par des évènements douloureux survenus dans le monde musulman comme l’assassinat de Farj Fouda en Egypte, l’exil de Nasr Hamid Abù Zaid ou celui de Taslima Nesrine en raison de leurs opinions religieuses, l’auteur s’est penchée sur la question de la « ridda » ou apostasie, pour comprendre ses mécanismes et chercher une issue à cet enfermement qui empêche de dépasser les réponses toutes faites dictées ou inspirées des anciennes générations, et trouver des solutions nouvelles et adaptées à notre époque.
La liberté de croire en Islam, Amal Grami

Les points essentiels du livre

  1. Définition de la « ridda »
  2. L’application de la « ridda » entre le Fiqh et la loi positive
  3. La peine de la ridda et le salafisme
  4. Les raisons de la « ridda » de nos jours
  5. La ridda et les auteurs contemporains
  6. Conclusion

 


Définition de la « ridda »

 Les linguistes arabes semblent d’accord pour dire que la « ridda » ou apostasie est « le choix d’une situation par rapport à une autre adoptée précédemment » alors que les jurisconsultes la définissent comme la « sortie de l’islam » c'est-à-dire l’abandon de la religion musulmane pour une autre religion ou pour l’athéisme.

On trouve chez eux d’autres définitions comme « le choix de l’incroyance après l’islam »,
« la désislamisation », « le recul après l’islam » voire le « désengagement ».


Les traditionnistes (ou ahl el hadith) la définissent comme « celui qui renie le message mohammadien et choisit le christianisme, le judaisme ou le brahmanisme, ou renie tout message religieux, toute révélation, tout retour à Dieu. » Ils distinguent entre la « ridda par l’acte », la « riddà par la parole » ou la « riddà par la croyance ». D’autres ont élargi ce concept à l’insulte du prophète ; le reniement des interdits religieux attestés par des preuves formellesle reniement des bases religieuses comme la prière ou le jeûne.

Le célèbre égyptien Mohamed Abdou , évoque quant à lui, deux conditions pour qualifier quelqu’un d’apostat, le refus de croire que l’univers a un créateur et le refus de croire à un monde invisible.

 

Ces multiples définitions de la notion de la « ridda » restent néanmoins "élastiques". Elles peuvent être évoquées à propos d’un avis touchant la croyance, la contestation d’un élément de la chari'a, ou de l’ijmâ des docteurs de la loi (le consensus).

Retenons ici que ce qui intéresse l’auteur, c’est l’abandon de la religion musulmane pour une autre religion.

La « riddà » entre le fiqh et la loi positive


Les États musulmans modernes naviguent entre l’application du fiqh et l’application de la loi positive. On croit généralement que l’Arabie saoudite applique la « loi de Dieu », c'est-à-dire la chari'a , mais en réalité si elle applique certaines peines prévues par les « hudûd » à l’encontre de certains criminels, l’apostasie reste un sujet non traité et peut-être sciemment évité. Certains États ont pratiqué une interprétation de certains versets coraniques et certains hadiths permettant de les concilier avec la « loi des hommes » et de rassurer ainsi les croyants sur la source de la législation qui les concerne. D’autres pays comme la Turquie ont séparé le politique du religieux, et se sont basés uniquement sur la loi positive. Les États arabo-islamiques ont de tout temps essayé de soumettre la religion à leurs objectifs politiques et l’appellation « islamique » a été récupérée par maints pouvoirs.
 
A partir de certains exemples d’apostasie survenus en Egypte dans les années cinquante, l’auteur souligne les contradictions dans lesquelles se trouve le législateur égyptien (et musulman d’une façon générale).
 
La loi égyptienne non seulement ne stipule pas la mort de l’apostat mais elle garantit la liberté de croyance du citoyen, tout en soulignant que l’État égyptien est un État musulman, donc sensé appliquer la chari'a. Que faut-il donc appliquer en cas d’apostasie : la chari'a ou l’article stipulant la liberté de conscience ? Et dans quelle situation se trouve la loi égyptienne par rapport aux différentes chartes des droits de l’homme ratifiées par le gouvernement égyptien ?
 
Cet état de faits a provoqué un débat entre les juristes égyptiens, et ceux qui étaient pour une application littérale des « hudud » ou peines islamiques, et qui accusaient l’état de ne rien faire pour les appliquer, le mettant de fait lui-même dans la posture de l’apostat.
 
Les juristes se sont penchés eux sur la primauté de la loi : doit-elle être attribuée à la loi coranique ou à la loi positive ?
 
L’autre exemple sur lequel se base l’auteur pour aborder le sujet de l’apostasie est celui appelé en Tunisie en 1966 « l’affaire Houria ». L’article 5 du code du statut personnel tunisien stipule que les candidats au mariage doivent être exempts «d'empêchements légaux ». L’auteur se pose la question : qu’est ce qu’un empêchement légal ? Est-ce que le législateur avait visé l’empêchement lié à la religion, ou un empêchement relatif au droit positif ?

L’un des « empêchements légaux » évoqué par la loi viserait le candidat non musulman au mariage avec une musulmane. Est-ce à dire qu’il faut consulter les juristes religieux 
( Fuqahâ' ) à chaque fois qu’il y a ambigüité dans le texte législatif ? Ceux qui avaient appuyé cette tendance considéraient le mariage de Houria avec un non musulman comme «illégal» alors que les défenseurs de la loi positive affirmèrent que le terme «empêchements légaux » vise l’absence de justice et d’égalité envers l’épouse (et donc l’empêchement n’est pas d’ordre religieux), ce qui octroie à Houria le droit d’épouser qui elle voulait.
 
Cette attitude hésitante entre deux modes de pensée, entre deux droits, le religieux et le positif, a mis en porte à faux les pays musulmans face à la modernité et surtout aux conventions internationales sur les droits humains.
 
La non application de la peine relative à l’apostasie est due d’après l’auteur à l’influence qu’exerce la modernité occidentale sur les pays musulmans, et à la pression qu’exercent les réformateurs pour établir des lois conformes, ou en tous cas non contradictoires, avec les chartes des droits de l’Homme.
 
Les fuqahâ' attachés à l’application de la peine relative à l’apostasie ont divisé cette peine en deux catégories :
 
-La peine principale consiste à condamner tout apostat à la peine capitale
 
-Les peines secondaires consistent en la séparation entre l’apostat et son époux ou épouse :

 

  1. La confiscation des biens de l’apostat
  2. Sa privation de l’héritage
  3. Sa privation de tous ses droits civils
  4. Le fait de considérer ses actes comme non valides, tel l’acte de sacrifier une bête.
  5. L’interdiction d’accomplir le rite funéraire lors de sa mort, et de l’inhumer dans les cimetières des musulmans.


Devant la pression de la modernité- nous dit l’auteur- les juristes religieux n’aspirent plus qu’à appliquer les peines secondaires et n’osent plus appeler à l’application de la peine capitale à celui qui est déclaré «apostat».


La peine de la ridda et les salafistes


Avec la montée de l’islamisme radical, les pouvoirs en place dans les pays musulmans se sont trouvés accusés « d’apostasie silencieuse » puisqu’ils n’appliquent pas la loi islamique. Ainsi la loi égyptienne par exemple, d’après Youssef El Qardhaoui, « n’encourage pas les gens à accomplir la prière, ni ne poursuit ceux qui ne la font pas » (1).

Cette difficulté des pouvoirs en place devant la montée de l’islamisme radical vient de leur échec à sortir les pays musulmans de leur sous-développement, ce qui a permis aux islamistes de proposer « la solution islamique », tout en étant en désaccord sur la méthode à suivre pour y arriver : faut-il établir « l’État islamique » puis appliquer la chari'a ou appliquer progressivement celle-ci jusqu’à la réalisation de « l’État islamique ».

L’application des peines est donc pour eux le nœud du problème. Son absence signifie un éloignement du mode de vie islamique, alors que son application prouve que la société s’islamise, et permet de lutter efficacement contre les déviations diverses, y compris l’apostasie, qui n’est pas comprise dans le cadre de la liberté de croire ou ne pas croire, mais prise comme une « trahison » et une façon de prendre « la religion de Dieu à la légère».

Dans l’hypothèse de l’application d’un tel projet (l’Etat dit islamique), nous dit l’auteur, cet État aura-t-il le droit de « s’immiscer dans la croyance des gens, de juger les consciences et de surveiller le comportement quotidien des personnes » ? Cela n’amène-t-il pas fatalement l’État à vouloir tout contrôler et aboutir à une forme de dictature ?

L’État musulman moderne est un mélange de législation positive inspirée des lois occidentales et un héritage de la jurisprudence islamique. Ceci aboutit au fait que ni les tenants de l’État moderne, ni les traditionnalistes ne sont satisfaits de cette situation, amenant les tenants de la ligne radicale à vouloir instituer « l’État islamique » avec comme emblème « l’application de la chari'a », car l’islam pour eux est « religion et État ».

La réaction de certains États a été de se rapprocher, par conviction ou tactique, de ces thèses et à « islamiser » leurs constitutions. L’auteur nous donne trois exemples de pays (Libye, Egypte, Soudan) qui s’étaient engagés dans cette voie. Nous n’évoquerons pas tous les points touchant à ces projets, mais l’aspect qui aborde la question de l’apostasie dans chacun d’eux.


Le projet libyen

La révolution de 1969 a voulu être ( au moins à ses débuts) en conformité avec la chari'a. Tout en se basant sur les différentes écoles juridiques de l’islam, le projet législatif libyen se disait une synthèse « des solutions les plus aisées du fiqh, de l’intérêt général et des coutumes du pays ». L’apostasie n’a pas échappé à la vigilance du législateur libyen puisque « le projet Ali mansour » de 1971 aborde la peine pour apostasie en vue de prévenir « l’athéisme qui risque de submerger la société moderne ». Cette peine d’après Mansour « protègera la religion de Dieu, l’état et les citoyens… ».

Ce projet, d’après Amel Grami, était basé à la fois sur l’avis des juristes anciens et la législation moderne. Le projet détaille la manière avec laquelle il faut procéder avec l’apostat pour l’amener à se repentir. L’apostasie peut être détectée selon ce projet par l’aveu ou par la preuve, tout en excluant le témoignage des femmes. Ainsi le législateur libyen met l’Etat devant ses responsabilités dans l’ « exécution de l’apostat » rendant ainsi aux oulémas leur pouvoir d’antan. L’histoire nous dira que ce projet n’a jamais vu le jour.


Le projet égyptien

Adel Younes, ministre de la justice en Egypte, a proposé au parlement en 1976 un projet en vue de modifier les lois égyptiennes pour les mettre en conformité avec la chari'a. En cette même année, le cheikh d’El Azhar, Abdelhalim Mahmoud crée une haute commission pour la modification de la loi. L’un des membres du parlement, Ismail Maatoug, présentera alors le projet du changement dont le plus frappant fut l’article 160 qui stipule que « sera puni par pendaison quiconque abjure la foi de l’islam, après lui avoir laissé 3 jours pour se repentir ». Il sera par contre demandé à la femme apostat qui refusera de se repentir de quitter le pays.

Abdelhalim Mahmoud ne voulait pas de distinctions entre l’apostasie de la femme et celle de l’homme et insista sur les conséquences de l’acte d’apostasie comme la perte des droits, des biens….

Ce projet égyptien a évoqué même l’apostasie de l’enfant et avait prévu les peines suivantes : 


  1. de 7 à 10 ans : l’enfant sera laissé à ses parents ou confié à un tuteur fiable ou un centre spécialisé.
  2. de 10 à 15 ans : l’enfant subira entre 10 et 15 coups de fouet.
  3. de 15 à 18 ans : l’enfant subira le même sort qu’un adulte.

Le journal « Al Ahram » annonça, en 1977, l’accord du parlement sur ces modifications qui resteront elles aussi lettres mortes et ne seront jamais appliquées.


Le projet soudanais


Le projet soudanais sur la chari'a a connu une certaine application sous Numeiri. Il avait commencé par constituer en 1977 une commission chargée de modifier la constitution, pour qu’elle soit en conformité avec les enseignements de l’islam. Le projet vit le jour en 1983 sous l’appellation de « lois islamiques ». Ces lois s’intéressèrent évidemment à la question de l’apostasie, qui sera détectée d’après ce projet par l’aveu, le témoignage de deux personnes fiables ou par une preuve irréfutable. C’est ainsi que les livres de Mahmoud Taha intellectuel et opposant au régime, devinrent la preuve de son apostasie, et avaient servi à son inculpation et son exécution en 1983, malgré l’article 27 qui interdit l’application de la peine capitale aux personnes âgées. Seulement Taha a eu l’audace, d’après l’auteur, de protester contre le projet de l’application de la chari'a et l’a considéré dès le départ comme « une honte pour le Soudan ». Ce projet qui est toujours appliqué est décrié par des franges entières de la société soudanaise.


(1) Youssef El Qardhaoui : « La solution islamiste » Beyrouth 1974-P184

Les raisons de l’apostasie aujourd’hui


Certains, nous dit l’auteur, pensent que l’indifférence religieuse et la course effrénée derrière la modernité expliquent l’intérêt qu’éprouvent certains musulmans à l’égard d’autres religions.

D’autres pensent que l’apostasie en terre d’islam est le résultat du colonialisme et que l’état moderne ne fait rien pour y remédier. Le musulman ici est bel et bien une victime.


Les nouvelles formes d’apostasie

Les anciens accusaient Iblis d’être derrière l’apostasie du musulman, alors que les modernes l’expliquent par l’angoisse, l’anxiété et toutes sortes de maladies psychiatriques, voire par des ambitions matérielles politiques ou autres.

Rachid Ridha, dans sa revue « El manar » attribuait quant à lui l’apostasie à l’ignorance du contenu coranique, de la tradition prophétique réelle, de la langue arabe et de cette habitude (fâcheuse) chez les musulmans qui consiste à suivre aveuglément les oulémas sans se référer directement ni au livre ni à la sunna.

La crise généralisée du monde musulman peut donc d’après l’auteur expliquer ce penchant vers l’apostasie surtout dans les pays comme l’Inde où les croyances sont multiples. C’est ainsi que s’explique la naissance du Babisme, Bahaisme, Ahmadisme d’après lesquels la révélation mohammadienne n’est pas achevée, et que l’Homme est appelé à poursuivre et assumer la suite du message. Ceci les oppose évidemment à la lecture des islamistes modernes ou néo-salafistes. La parole de Dieu est définitivement parachevée pour les uns, continuellement réactualisée chez les autres car cette parole est dynamique.

Des raisons diverses pourront donc expliquer l’adoption de ces nouvelles « options religieuses » mais il reste très compliqué de connaitre les raisons réelles, personnelles, économiques et psychologiques de chacun. Le fait que les sùnnites qualifient ces nouvelles vues religieuses (comme le Bahaisme) d’apostasie, peut, d’après eux, rassurer le musulman traditionnel sur l’authenticité de sa croyance, et le préserver des « innovations ».(انبدع )

L’auteur pense que devant l’absence d’études sérieuses concernant ce phénomène, le problème de l’apostasie restera entouré de maintes questions.

En voici les essentielles :

- Qui quitte aujourd’hui l’islam ?
- Pourquoi ?
- Comment et par quel moyen ? Et par quel ressort psychologique ?
- Quel est le nombre des adeptes de l’apostasie « silencieuse », c'est-à-dire ceux qui quittent effectivement la religion musulmane sans l’avouer publiquement ?

Certains ont témoigné oralement ou par écrit comme dans les écrits de Jean marie Gaudel et de Pierre Assouline (2).

L’auteur appelle cependant à rester vigilant vis-à-vis des ces témoignages le plus souvent apologétiques, avec des justifications et un fond psychologique pas toujours très clairs.

1- L’éducation : l’existence d’écoles religieuses chrétiennes en terre d’islam a permis à certains d’être attirés par le christianisme, face à la rigueur (musulmane) basée sur l’obéissance.

2- La propagation de l’évangile et sa mise à la disposition des musulmans : les différentes congrégations religieuses ont tenu à traduire les évangiles en arabe pour le faire connaitre aux musulmans. Les évangélistes actifs dans les pays musulmans sont derrière certains cas de conversions à l’exemple de ce qui se passe dans la région de Kabylie en Algérie.

3- La cohabitation avec les chrétiens que ce soit en tant qu’ouvriers immigrés ou sous forme de liaison mixte.

4- La pauvreté en terres d’islam sert les évangélistes, qui ont bien compris l’importance du facteur économique dans les tentatives de conversion.

5- Le développement des moyens de communication : à travers les télés, les radios…les évangélistes peuvent toucher n’importe quelle région du globe. Les musulmans sont donc à portée de leur propagande religieuse.

6- La fascination qu’éprouvent les convertis envers la personne du christ : personne douce et prête à porter le fardeau de l’humanité. Elle garantit le salut pour peu que l’on suive son enseignement.

7- Les raisons personnelles comme un rêve, songe ou voix appelant la personne à changer de religion.

8- La fascination idéologique : ainsi le communisme a été accusé de détourner les musulmans de leur religion.

9- La fascination à l’égard de l’occident, de son mode de vie face à l’intransigeance, voire au fanatisme de certains musulmans

10- L’analphabétisme généralisé a fait que le Coran n’a plus cette attirance d’antan, d’autant plus que l’islam lui-même est réduit à certains rites et que ses fouqahas ont perdu la capacité de s’adapter et d’adapter leur discours au monde moderne.

11- La situation réservée à la femme musulmane a entrainé la « sortie » de certains intellectuels de l’islam sans pour autant embrasser une autre religion.
 


(2) Jean marie Gaudeul « Appelés par le christ, ils viennent de l’islam » Paris 1991, Pierre Assouline « les nouveaux convertis » Paris 1992. 

La ridda et les auteurs contemporains

L’auteur nous dit que devant les changements politico-économiques du monde moderne, les positions vis-à-vis de l’apostasie ont connu une certaine évolution :

Certains ont continué à adopter les anciennes positions des fouqahas et s’y accrochent. Ce sont les tenants de l’islam politique et radical, ou les néo-salafistes. Leurs écrits ne font que reprendre les opinions des anciens en ce qui concerne la ridda, et reprennent à l’envi les arguments s’appuyant sur une lecture circonstanciée du Coran et une utilisation intéressé du hadith et de l’histoire de l’islam. l’évènement de la ridda sous Abù Bakr, par exemple est vu non dans son optique de liberté religieuse mais de trahison à l’égard de la oumma. L’apostat était un révolté qui représentait une menace pour la paix sociale.

« La raison de l’être humain – dit Abù Zahra (3) ne lui appartient, et quand il s’y produit une faille qui laisse émerger un mal, il est du devoir de la société vertueuse d’intervenir pour garantir une raison saine qui est derrière toute production » Ce groupe semble être coincé entre les versets qui appellent au jihàd et les versets qui appellent à la liberté de croire ou de ne pas croire, ce qui les a obligé à parler d’un côté de droits de l’homme en islam « annoncés avant leur découvertes en occident », et de l’autre, de la vision de la sharia qui n’admet pas la « trahison » quand il s’agit de changer de religion.

D’autres ont appelé à l’utilisation de l’ijtihàd pour résoudre cette question : si certains ont pu faire croire qu’Abù Bakr avait lutté contre des « apostats » au sens théologique du terme, il a d’après les tenants d’une nouvelle lecture de ces évènements lutté contre des tribus « révoltées » par l’obligation de payer l’impôt à un état centralisé. Des intellectuels comme Taoufik Sidqui ont défendu dans la revue « Elmanar » en 1907 le fait qu’il n’y a pas eu d’ordre dans le Coran pour tuer quelqu’un parce qu’il a changé de religion. Dans cette même revue, Rachid Ridha et Adelaziz Jaouiche appuyaient cet avis en faisant la différence entre « l’apostat pacifique » et « l’apostat combattant ». La sanction liée à l’apostasie est donc pour eux liée à la sécurité intérieure du pays et non au changement de religion ou de croyance.

Mohamed Cheltout (4) quant à lui a préféré se baser sur la logique des anciens oulémas pour prouver que l’application des peines ( hùdùd) ne peut se baser sur des hadiths singuliers ( ahàd). Or en ce cas qui nous intéresse le hadith souvent cité est « tuez celui qui change sa religion » ne peut servir de base pour les peines, même s’il a été rapporté par Boukhari
Abdelmoutàal Essa’idi pense que le hadith singulier doit être rejeté ou appliqué seulement à l’encontre de « l’apostat combattant » (5).

Un troisième groupe a proposé d’avoir un regard critique sur le patrimoine culturel islamique relatif à la question de l’apostasie, et à revoir les méthodes et les principes qui ont régi les anciennes générations. Ce groupe a tenté de comprendre de l’intérieur les mécanismes de la foi et de l’apostasie. C’est, nous dit Hmida Ennaifer, que « l’apostasie nous révèle la nature de la croyance que nous vivons dans le monde musulman. Elle n’est que l’autre visage de la foi » (6).

Mohamed Talbi dans un article intitulé « liberté religieuse et transmission de la foi » pense que l’apostasie est dans la nature de l’homme puisqu’il se « situe naturellement entre deux pôles : l’incroyance et la foi ou l’animalité et l’humanité. Dieu n’oblige personne à croire, mais met l’homme devant sa responsabilité et devant ses actes » (7).

A partir de ce constat, l’homme est considéré comme une volonté libre, et ses choix doivent être libres. La contrainte est contre la nature de l’homme. La foi doit être un choix et non une contrainte . Talbi appellera à dépasser la notion même de « tolérance » vis-à-vis de ceux qui pensent et croient autrement et la remplacer par la notion de « respect ». Le rôle du musulman selon Talbi est « de témoigner de sa foi, non d’arborer la contrainte comme moyen pour obliger les autres à croire. »

Le développement des moyens de communication et la transformation du monde en village font que la liberté et le respect doivent l’emporter sur la contrainte et le fanatisme.

Abdelmagid Charfi appelle lui à « une nouvelle lecture du texte fondateur, qui sera aussi légitime que la lecture classique » poussant à revoir les hadiths de Boukhari, Mùslim Kouleini car « qui nous dit que le hadith concernant l’apostasie n’est pas un hadith
inventé ?
» (8).

Il est temps pour les musulmans de nos jours d’apprendre à respecter la différence, y compris celle qui veut opter pour une nouvelle foi, car cela reste le propre de l’homme. 


Il est urgent de baser la foi sur la responsabilité et le libre choix de chacun, car il est dans l’intérêt même de la religion de séparer le vrai croyant de celui qui fait semblant.


(3)  "Crimes et châtiments dans le fiqh" : Mohamed Abù Zahra- Dar el fikr El Arabi
(4)  "L'Islam est croyance et législation" : Mohamed Cheltout
(5)  "La liberté de pensée en Islam" : Abdel Mùtaal Saidi
(6) "Apostasie, foi et esprit de contradiction" Hmida Ennaifer, islamo-christiana N° 13-Rome 1987
(7) "Liberté religieuse et transmission de la foi", Mohamed Talbi, Islamo-christianaN°12-1986
(8)  "Islam et modernité", Abdelmagid Charfi, STD-1990



Conclusion de l’auteur


L’homme coranique est essentiellement un homme libre. La pratique à travers l’histoire islamique a dévié de cette noble finalité, surtout avec l’arrêt de l’ijtihàd. La contrainte et la mise sous tutelle de la liberté ont remplacé le choix libre. L’État moderne n’a rien changé à cette réalité. La sociologie moderne a démontré que l’apostat est considéré par la société comme un « enfant illégitime », alors qu’il est en réalité un être comme tout autre, qui veut vivre selon ses propres choix et convictions.

Analyse

L’auteur a le mérite de traiter un sujet qui pose aujourd’hui un problème à la conscience du musulman moderne. C’est celui de la liberté de croire ou en l’occurrence ici celle de ne pas croire ou de changer de religion. Ce sujet n’est en réalité pas le seul qui se pose à la conscience du musulman du 21ème siècle. D’autres sujets comme la polygamie, l’inégalité de l’héritage entre hommes et femmes ou la validité du témoignage de la femme posent de nos jours problème et méritent une réflexion audacieuse, et des solutions originales qui ne rejettent pas notre héritage culturel et religieux, mais le revivifient par un apport nouveau adapté à notre siècle. Les solutions qui ont fait leur preuves en d’autres temps, ne sont plus aujourd’hui satisfaisantes, et nos fùqahas arc-boutés sur un passé glorieux n’ont plus la capacité d’aider les musulmans à vivre en toute bonne conscience leur époque sans rejeter leur patrimoine.

Le problème de l’apostasie est en réalité un problème de liberté. Croire ou ne pas croire a été tranché par le Coran dans de multiples versets, comme « pas de contrainte en religion » ou « celui qui veut croire qu’il croie. Celui qui veut abjurer qu’il abjure ».Il est étonnant devant de telles affirmations de lire sous la plume d’un Ibn Hazm que « l’apostat n’a que le choix entre le retour à l’islam ou l’épée » ou Ibn Taymiyya affirmant que « l’apostat même non combattant doit être mis à mort ».

Les musulmans pourront-ils continuer à tenir ce discours à l’ère des conventions internationales et des droits universels sans porter préjudice à la religion qu’ils défendent ?
Amel Grami pose à mon sens, à travers cet exemple d’apostasie, le problème plus général de la nécessité d’adapter ce qui est mouvant dans une religion sans toucher aux principes fondamentaux.

Mais qu’est-ce qui est mouvant et qu’est-ce qui est fondamental dans une religion ? qu’est-ce qui nécessite une relecture adaptative, et qu’est –ce qui relève de l’immuable ? 
Amel Grami a soulevé un sujet mais le débat reste ouvert car le chantier reste immense.




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