Les cahiers de l'Islam
Les cahiers de l'Islam
Les cahiers de l'Islam


Mercredi 25 Mars 2015

Compte rendu de la conférence du 21 février avec Tareq Oubrou : Islam d'aujourd'hui, clés de lecture


Nous vous proposons un résumé écrit de la conférence de l'imam et théologien Tareq Oubrou qui s'est déroulée le 21 février 2015 dans la salle de l'Iremmo. Cette conférence fut co-organisée par les associations "Les cahiers de l'islam" et "L'Islam de tous les savoirs".



L'imam et théologien Tareq Oubrou.  © Nicolas Tucat / REA
L'imam et théologien Tareq Oubrou. © Nicolas Tucat / REA

Les langages

 
Tareq Oubrou : Il est indispensable d'insister sur l'origine métaphysique, céleste et spirituelle de l'islam. C'est une religion qui a pris forme dans l'histoire à travers le moment coranique et au cours des siècles pour arriver aujourd'hui à notre réalité. Il s'agit à l'origine d'un verbe, d'une parole qui a fait irruption dans l'esprit d'un homme, le prophète Muhammad (saws). Ce point originel est d'une certaine façon paradigmatique car il s'agit d'une rencontre entre une dimension divine et une dimension humaine pour prendre forme dans un langage traduit dans une réalité donnée. Cette question métaphysique ou plutôt théologique est nécessaire car elle explique comment cette religion fonctionne dans l'histoire. Malheureusement l'islam d'aujourd'hui est asphyxié, réduit à une question d'identité et à une norme coupée de ses sources transcendantes et de ses visées universelles. La norme pour la norme, au service peut être d'une identité en quête de stabilité. 

Cette parole est divine mais il ne s'agit pas d'une parole ontologique, puisque la parole ontologique de Dieu est inaccessible, il s'agit d'une traduction d'une pensée divine dans un langage humain. Ce point de départ est très important, notre raison ne peut confisquer Dieu, elle ne peut connaitre Dieu totalement. Il y a une distance qui permet un renouvellement de la pensée et du rapport avec cette transcendance. Le Coran est très précis sur ce sujet car il parle de signes (Ayât). La révélation de l'islam n'est pas un dévoilement, ni une incarnation mais plutôt une religion d'indications. Le suspens n'est jamais totalement levé. La raison est engagée dans la compréhension du signe à travers un langage, lequel langage révélé nous renvoie à d'autres formes de langage divin.

Le langage cosmique car le Coran nous renvoie sans cesse à la sémantique cosmique divine puisque le monde est l'œuvre de Dieu donc il parle de Dieu. Nous connaissons l'auteur à travers son œuvre. Il y a une ouverture vers l'universel. Le Coran ne renferme pas l'esprit dans le texte mais il ouvre sur d'autres formes de connaissances. Dieu ne cesse de communiquer avec l'homme. Il est très important de définir la notion de wahi et de révélation car tout est donné dans ce vocable, une des clés paradigmatiques qui nous permettra de comprendre la vérité de l'islam. Mais elle n'est pas une certitude, ce n'est pas un dévoilement car Dieu ne vient pas par Lui, Il est distant mais fait irruption dans le monde des hommes à travers ses signes. C'est une ontologie de distanciation.

Il y a un autre langage, un autre livre celui qui nous parle de l'intérieur. Dieu nous dit dans le Coran qu'Il nous montre ses signes dans les horizons mais aussi en nous même (41;53). Il y a un livre qui nous parle de l'intérieur : c'est ce que l'on appelle la fitra, la nature première. Une voix qui nous parle de l'intérieur. Encore faudrait-il l'écouter, évacuer le bruit  qui nous empêche de l'entendre. Contrairement à une théologie qui affirme que la découverte de Dieu se fait dans l'avenir, nous nous pensons que tout nous a été donné dès la création. Il n'y a pas de découverte de Dieu et tout le processus de la connaissance de Dieu consiste à se réconcilier avec notre prime nature. Une bonne lecture de l'islam est celle qui nous réconcilie avec notre fitra. Toute lecture qui crée une brisure, une fissure, une tension intérieure n'est pas une bonne interprétation de la religion. L'imam Al Ghazali a résumé le rapport entre la révélation et la raison, il a dit que la révélation est une raison de l'extérieur et la raison de l'homme est une révélation de l'intérieur. Lumière sur lumière, la lumière de la révélation qui s'ajoute à la lumière intérieure, l'immanence et la transcendance. Toute la pensée musulmane a été de réconcilier ce qui nous a été révélé de l'intérieur avec ce qui a été révélé de l'extérieur car l'auteur de la révélation est l'auteur de la raison. Dieu ne peut envoyer un message qui contredit la raison. Tous les savants ont écrit sur ce sujet pour montrer qu'il ne peut y avoir d'antinomie et de contradictions entre ce que Dieu demande à l'homme et ce que la nature de l'homme lui demande. La nature première peut être altérée par la civilisation et la culture. La civilisation nous éloigne de ce que nous sommes, toute la spiritualité consiste à résister à l'oxydation, à l'altération de ce qu'a produit la civilisation sur notre prime nature, notre nature spirituelle.

Cette parole divine se situe sur deux niveaux. Le kalam nafsi, la parole intime de Dieu car Dieu n'est pas arabe, il n'est pas hébreux, le Coran est en arabe mais Lui ne l'est pas. Il vient de Dieu mais n'est pas Dieu. Donc les gens qui lisent le Coran en pensant être dans l'incarnation, et pour qui il n’y a pas de suspens et que tout est dans le Coran, il y a là un problème théologique. Aujourd'hui il n'y a plus de discours métaphysique ou théologique sur la religion. On parle de la loi mais on oublie le législateur. C’est ce que j’appelle la normolatrie, l'adoration de la loi. La loi n'est pas le but, elle est au service de quelque chose. Une loi qui ne conduit pas vers le sens, vers l'auteur renforce notre égo mais pas la transcendance. Cela traduit des enjeux identitaires ou des postures politiques. Cette lecture se sert de Dieu mais ne Le sert pas. Il y a une grande différence entre servir Dieu et s'en servir. L'objectif de la spiritualité est de faire sortir l'individu de son égocentrisme pour se réaliser dans l'altérité absolue afin qu'il puisse vivre avec les autres. C'est pourquoi dans les actes d'adoration (ibadat), le culte vient en premier lieu. Après la foi, il y a la prière puis le jeûne qui est un mouvement vertical vers Dieu. Il y a toujours un lien entre le culte et l'éthique. Chaque fois que le Coran parle de prière (salat), il parle d'aumône (zakat), de la générosité et du don, c'est à dire la sortie de la cupidité et de l'avarice. Le propre de la foi c'est le don, le jeûne : on se prive pour donner. Le culte a une fonction. Respecter la loi pour respecter la loi n’a pas de sens, le Coran ce n'est pas la Torah où il n'y a que la loi et pas de théologie. Il y a Dieu et tout gravite autour de Lui, l'homme se réalise dans l'absoluité de Dieu. Tout doit être ramené à l'origine par deux biais.

Notre rapport à la Révélation

Par le biais de la connaissance spéculative, connaître Dieu avant sa loi. Le Coran parle davantage de Dieu que de sa loi : 150 versets traitant des normes et plus de 6000 versets parlant des choses, en réalité même la loi parle de Dieu. Il ne faut pas couper la loi de sa réalité céleste. La multiplicité des attributs dans l'unité de l'essence de Dieu. Dieu doit être restauré, c'est à dire que le discours de Dieu doit être au cœur du discours sur l'islam. De quel Dieu s'agit t-il ? Il y a plusieurs lectures de Dieu. Certains pensent qu'il faut lire pour comprendre et comprendre pour pratiquer. Ce sont des raccourcis dont souffrent aujourd'hui un certain nombre de courants musulmans. La paresse, la vulnérabilité, la frustration. C'est ce que leur pensée dégradée produit sur la scène nationale et internationale aujourd'hui. Une religion de l'intelligence, de la spiritualité qui a concilié Dieu et l'homme, la raison et la spiritualité, la rationalité et la métaphysique, la spiritualité et la civilisation, cette belle religion confisquée par des insensés et des fous. C'est une religion de continuité, pas de rupture, une continuité entre le ciel et la terre, entre le message et son environnement. L'islam ne rompt jamais, c'est une religion de lien et le lien se négocie. Une parole de Dieu inaccessible mais qui est révélée à travers l'histoire avec ce que l'on appelle la révélation. Ce n'est pas la première fois que Dieu a parlé à l'humanité. Dieu a déjà parlé avant à d'autres prophètes. Toutes les paroles de Dieu ne sont pas dans le Coran. Certains pensent que tout est dans le Coran, que Dieu est parti, plus de significations, puisque le Coran est fini tout est dans le Coran. En réalité ce n'est pas le cas. Et ceux là même pensent que Dieu n'a plus rien à dire à l'humanité et que toute la science de Dieu est dans le Coran. 

En réalité il faut regarder les manifestations de Dieu dans l'histoire. Le Coran est la révélation qui a sa propre définition mais la relation de Dieu avec l'humanité ne s'est pas arrêtée. Elle s'est prolongée par l'inspiration, l'ijtihad. Dieu a impliqué l'homme dans son projet. Il n'a pas parlé de tout, il a laissé l'homme assumé sa liberté et donc sa responsabilité. Comme il n'y a plus de prophète après le prophète Muhammad, l'humanité est désormais mature et peut continuer toute seule sa marche jusqu'à l'éternité par le biais du renouvellement (tajdid). Les musulmans ont compris cela, ils ont développé des sciences comme le fondement de la jurisprudence (usul al fiqh), le discours sur Dieu (ilm al kalam), l'exégèse et autres disciplines car le Coran ne traite pas de toutes les questions. Le Coran parle dans une langue à un peuple donné mais le Coran est venu pour toute l'humanité. La question est de savoir comment traduire ce langage dans toutes les langues de l'humanité. C'est le travail des ulémas. On doit traduire les significations coraniques dans le langage du temps, faire l'exégèse (tafasir). Abou Hassan al Ach'ari a écrit un livre d'exégèse en 500 volumes. Si tout était dans le Coran, si le Coran était aussi clos il n'y aurait plus rien à dire et ces grands savants n'auraient pas produit tous ces travaux colossaux. Aujourd'hui, ce travail intellectuel s'est soudainement arrêté, il n'y a plus d'interprétations, il y a plutôt une mécanicité dans le rapport au Coran. 

Si tout est dans le Coran on n’aurait pas besoin de la Sunna. C’est le "gros morceau" la Sunna. Elle est la deuxième strate d'une même révélation. Le Coran est d'origine divine et d'expression divine et la Sunna est d'inspiration divine et d'expression humaine. Dans la notion de révélation il y a deux définitions distinctes. 

L'islam est la religion de la séparation des ordres depuis sa naissance, c'est la religion la plus sécularisée dans le sens de la séparation des ordres. Le verbe s'est fait écrit, c'est à l'homme d' interpréter, il n'y a pas de confusion, il n’y a pas d’incarnation. Aujourd'hui on confond tout : la logique de la pudeur, les actes d'adorations, les vêtements, tout est devenu un seul et même répertoire, une salade même pas niçoise, c'est comme si on mettait tout dans un même plat, cela n'a aucun goût. On n'arrive plus à séparer plus le discours théologique, du mystique, du cultuel et de l'éthique. Il y a ceux qui parlent de tout avec le même langage, la même méthodologie et la même épistémie. Il n'y a plus de séparation des ordres et on doit mettre de l'ordre dans tout cela. Il faut hiérarchiser le rapport au divin mais le problème est que l'on ne donne pas les clés aux musulmans pour comprendre ce qui se passe. Aujourd'hui certains musulmans commencent par la barbe, la façade, ils n'ont pas fait le gros œuvre que déjà ils cherchent la couleur des fenêtres. Aujourd’hui c'est une religion de vernis sur une substance rouillée car il n'y a pas d'enracinement, pas d’organisation et cela produit une spiritualité déséquilibrée et un rapport à Dieu qui est flou. Je suis musulman et après… ? Aujourd'hui paradoxalement et contrairement au Moyen Âge, les gens ne parlaient pas de l'islam, ils le vivaient tout simplement. Aujourd'hui on trouve le mot islam partout :  patate islamique, boucherie islamique, foulard islamique, barbe islamique... En Europe la seule visibilité que l'on ait trouvé à installer c'est la boucherie islamique, aujourd'hui on parle même de profanation de boucherie islamique, c'est devenu un temple. Le temple du ventre, en réalité nos mosquée c’est dans nos ventres. Tout cela fait le jeu du capitalisme :  là où il y a de l'argent il y a de l'islamique.

Au Moyen Âge, on ne parlait pas de l'islam, on attribuait l'interprétation à son auteur. On ne parlait pas de Dieu et de son prophète, c'est rare, on passait par la médiation de la doctrine, par l'interprétation de l'homme. On n'attribuait pas le pouvoir à l'islam mais à la dynastie qui gouvernait. On ne disait pas lecture de Dieu mais on parlait de la lecture des auteurs qui ont transmis ces lectures. On laissait Dieu et son prophète tranquilles, on assumait la responsabilité dans la narration et dans l'interprétation. Dans la doctrine de la foi on va trouver aujourd'hui beaucoup ouvrages que l'on nomme le dogme islamique (aqîda).

L'interprétation humaine

Au Moyen Âge on attribuait une interprétation du dogme à des savants, à des hommes. Ce sont des auteurs qui ont interprété l'unicité de Dieu, ils ont proposé une interprétation de la dogmatique. Il y avait des hommes mais pas d'islam.  Aujourd'hui, il y a l'islam mais il n'y a pas d'hommes et pas de femmes. 
C'est le brouillard de l'islam. Personne ne veut assumer sa responsabilité. "Chafi’i a dit", "Abou Hanifa a dit" mais mais toi que dis-tu ? Nous sommes incapables d'affronter, de comprendre et d'assumer notre responsabilité. On interprète tout dans le sens de l'esprit assiégé, fragile et incertain. On se cache derrière le bouclier de l’islam, un bouclier identitaire pour se protéger. Au lieu d'être un pont, un lien avec les autres, on interprète tout dans le sens de la protection d’un islam.

Même dans le Coran il y a deux Coran : les versets de nationalité médinoise et des versets mecquois. Le style et la géographie ont changé. Il faut relativiser l’interprétation. On dit que le Coran est la parole de Dieu car il est d’origine divine mais le langage et la prononciation sont humains. Les paroles de Dieu sont infinies, elles ne peuvent être contenues dans un langage humain mais Dieu par sa miséricorde nous a rapproché de la vérité dans notre langage. Tout est relatif, il y a donc des doctrines de l’unicité. Laquelle choisir ? Car nous sommes dans un monde où il y a la question de la philosophie, la question de l'homme, de la femme, la question du genre, la question de la technique qui est en train de modifier l'anthropologie humaine aujourd'hui. Quel discours sur quel Dieu ? Un Dieu au nom de qui on tue aujourd'hui ou bien un Dieu miséricordieux ?
 
Beaucoup de personnes pensent que parce que l'individu est mécréant, il sera châtié le jour du jugement dernier. Cette idée fait souffrir beaucoup de musulmans et c'est une idée complètement fausse. 

Le Coran nous dit que les non musulmans injustes doivent être combattus, abstraction faite du statut théologique et métaphysique de l’autre, nous sommes dans l’éthique universelle. Quand on mélange la promesse eschatologique avec la logique de la charia, on confond tout. Dieu ne châtiera pas un peuple tant que celui ci n'a pas reçu de prophète. Seul est concerné par la colère de Dieu celui qui a rencontré le prophète, ce dernier ayant reçu une révélation, un message avec l’éloquence et l’éclaircissement nécessaires, un prophète capable de produire des miracles. Il y a des musulmans qui se prennent pour des prophètes : il n'a pas cru en ma parole donc c'est un kafir (mécréant) ! Mais qui t'a décrété prophète, toi ? C'est un blasphème de se prendre pour un prophète. Dans la prophétie, il y a deux typologies :

Il y a Rasul (Messager) qui reçoit une révélation et qui a l’obligation de la transmettre et le Nabi (Prophète) qui reçoit la révélation et qui n’a pas l’obligation de la transmettre. Mais le simple croyant n'a pas l'obligation de transmettre, il a seulement l'obligation d'honorer sa foi et sa religion mais pas d'être prophète car nous n'avons pas reçu de révélation et nous ne produisons pas de miracles. Donc le non musulman a un statut dans un contrat éthique qui peut atteindre la fraternité la plus profonde. On peut avoir un rapport d'affection, d’amour envers un non musulman qui ne vous a pas chassé. Ce n'était pas une querelle de religions mais simplement parce que des musulmans étaient combattus. C'est un Dieu miséricordieux et un Dieu qui dit à son prophète qu’il a le devoir de transmettre car le jugement revient à Dieu. Il y a des musulmans qui se prennent pour des prophètes, c'est très grave ! Il est rare que je rencontre dans ma vie des musulmans qui restent à leur place, c'est comme s'ils étaient dotés d'une mission de Messie. C'est une situation théologique grave.

C’est un égo hypertrophié, ils disent que de toute façon les mécréants iront en enfer, mais qu’en savent-ils ? C'est pour se donner bonne conscience, c'est de la psychanalyse élémentaire. Eux, ils ont ce bas monde et nous nous auront l'autre, disent-ils. 

Un jour je faisais une khotba (sermon du vendredi) sur l'enfer et le paradis, j'avais dis que l'enfer disparaitra et seul le paradis restera éternel. Un français convertit s'était mis en colère. Au lieu de se réjouir, il s’est énervé. Comment un être peut vivre avec cette haine ? En vérité ce discours se répand partout à travers des oulémas et des prédicateurs. C'est le discours orthodoxe disponible dans le souk islamique. Cela crée de la folie, c'est de la violence gratuite. Jésus disait : si tu les châties après tout ce sont des serviteurs, si tu leur pardonnes tu seras noble, sage. Pourquoi prendre la place de Dieu ? Tu dois être bon et juste avec tout le monde. L'adl et l'ihsan. Pardonner c'est mieux mais si tu n'y arrives pas tu dois rester dans les limites de la justice. On n'a pas le droit d'être injuste. Et on est bien dans sa peau, on rend à Dieu ce qu'Il Lui appartient, c'est-à-dire l’humanité et je m'occupe de ce qui me concerne. Donc quel Dieu ? Dans quel ordre ? L'altérité, l'autre. Ce que j'appelle la théorie de l'altérité, comment se réaliser avec l'autre qui n'est pas forcement musulman. Lever ces obstacles théologiques et psychologiques qui inhibent le sort des musulmans dans le monde.

Il y a dans le monde une théorie qui développe l'esprit assiégé : le complot est partout ! Et Dieu dans tout cela ? Un déterminisme historique déterminé par les complotistes. Théologiquement parlant c'est très grave de penser ainsi, c'est méconnaitre la réalité des hommes et des systèmes. On se déresponsabilise par ce type de théorie en disant "de toute façon cela ne vient pas de nous". Dieu a dit "Tu ne changeras pas l'état d'un peuple tant que le peuple ne se changera pas lui-même" (8;53). Change-toi et l'histoire changera. On n'est pas dans le système de la révolution. Le révolutionnaire veut changer tout le monde sauf lui même. On doit avant tout réformer son comportement, les autres ce n’est pas de notre ressort. On a besoin de cette lecture de Dieu, les musulmans ont proposé au Moyen Âge différentes lectures de Dieu. Il y a des options. Les gens ne soupçonnent même pas l'existence d'une telle approche. Je suis à l'image de ce que pense de Moi mon serviteur (Hadith Qudsi n°15).Tu auras le Dieu que tu mérites et tu auras la loi que tu mérites. Prends tes responsabilités. Nous devons avoirs des options théologiques sur Dieu, sur l'autre donc sur l’humanité, sur la nature. 

A l'époque médiévale, on ne parlait pas de fiqh islamique et de charia islamique. On parlait de Malikisme, de Chafihisme etc... Ce sont des lois qui étaient interprétées par des hommes, de cette façon si les hommes se trompaient, Dieu est à l'abri.  Un jour je faisais une conférence et quelqu'un me demanda :

- « Mais que dit Dieu pour cela
- « Ce que je peux te dire c'est ce que j'ai compris moi, c'est mon propos, non celui de Dieu ».
- «Non je veux ce que Dieu a dit ! Que dit Dieu ??? »
   Enervé je lui réponds : « Eh bien monte chez Dieu et demande-lui !  Personne n'a rencontré Dieu ».  

L'Islam... l'islam... l'islam !  Moi je n'ai jamais rencontré Monsieur Islam. Il y a uniquement des gens traversés par une religion et qui traduisent. Tout dépend de l'intelligence des musulmans, l'islam n'existe pas, il y a des musulmans avec des qualités différentes. L'homme a disparu complètement dans le dispositif de la religion et je ne parle même pas des femmes. Car il y a encore des théories du genre qui sont complètement déconnectées, on confond tout. On a repris la théorie chrétienne du Moyen Âge et on l'a appliqué. Même les chrétiens ont développé leur théologie sur l'homme avec Vatican 2 etc... 

Un jour dans ma mosquée j'ai dit que les femmes pouvaient accéder à toutes les fonctions religieuses et les premières personnes à avoir été choquées étaient les femmes. Nous ne pouvons tout de même pas être mieux que le prophète Muhammed qui a désigné une femme imam et qui a présidé des prières alors qu'il y avait derrière des hommes et des femmes. Nous avons oublié, Aicha, théologienne, exégèse qui a présidé des prières. Des femmes coranistes, des rapporteuses de la Tradition (Sunna). Les femmes ont contribué dans les limites anthropologiques de leur temps du moment coranique.

L'acculturation du Message coranique

Aujourd’hui il y a un christianisme du Moyen Âge chez les musulmans, c’est pour cela que notre visibilité renvoie les occidentaux au Moyen Âge. Il y a de quoi avoir peur. Quand on voit par exemple les hommes qui ne veulent pas saluer les femmes. 

Il n'y a pas de discours sur l'amour, la mystique etc...c'est uniquement sur la loi ! Nous avons besoin aujourd'hui d’une nouvelle doctrine faite par des hommes datés et situés et non un discours importé. Il faut négocier les valeurs en fonction des réalités du moment. Il y a une démocratisation de l'interprétation et il y a une médiation des hommes. 

Dans le Coran pour le champ normatif de la visibilité, il faut distinguer deux types de versets, de même que dans la Sunna du Prophète Mohammed (pbsl). Les versets principiels qui appellent à la dignité, à l'égalité. Des versets et des Hadiths qui sont des fondements, des invariables et à coté de ces versets et de ces hadiths il y a des hadiths circonstanciels qui traduisent une situation, ces valeurs universelles dans la lecture du moment coranique. Le Coran parlait d'abord au prophète et à son peuple pour parler à toute l’humanité de l’époque et jusqu’à l’éternité. Il parle à toute l'humanité à travers un peuple et transmet des valeurs universelles à partir de la singularité du peuple du prophète. Le Coran n’a pas été révélé au 21ème siècle en France. Cela se voit, nous n'avons pas les mécanismes pour comprendre un autre langage, un autre monde. Méconnaitre les réalités du moment coranique aboutirait à absolutiser ce qui est relatif et à relativiser ce qui est absolu. Donc connaître les réalités du Texte est primordial : les systèmes anthropologiques, les liens, les filiations, la condition de la femme, comment la norme a négocié son universalité à partir de la résistance anthropologique du moment coranique. Car pour changer ce n'était pas facile. Ibn Taymiyya a résumé cette pédagogie coranique et prophétique en disant que Dieu et son prophète ont appliqué la sagesse universelle qui dit « si tu veux être obéit ordonne le possible ». Sans cela les arabes de l’époque auraient refusé complètement le Message. Pourtant Dieu a toute la liberté d’exiger ce qu’Il veut, mais Il parle à l’humanité de l’intérieur. L'accompagnement s’est fait par la douceur. Il ne faut pas croire que les Compagnons du Prophète étaient spirituellement très forts, c'était le Coran qui était doux. A chaque fois qu’il y avait une résistance, le Coran adoucissait les normes. Il y a eu l’abrogeant, l’abrogé, il y a eu une métamorphose dans le Coran.  

Le Coran n'est pas organisé de manière thématique et chronologique. C'est comme une photo, il faut créer une cinétique pour comprendre comment les versets ont été révélés, par dose homéopathique. Le Coran ne précède pas l’évènement, le Coran accompagne la maturité des croyants. Le prophète n'avait pas uniquement une fonction de diction de la révélation, il a purifié son peuple, il l'a rendu perméable et il l'a éduqué pour recevoir la norme. Aujourd'hui c'est un discours normatif, non éducatif. Shatîbî a dit son ouvrage de principologie (Al Muwâfaqât Fî Usûl Ish Sharî'ah) : Jamais le prophète n’a prononcé un ordre avant de s’assurer que ses Compagnons étaient prêt à le recevoir. Il ne faut pas que la norme perturbe, déséquilibre la société, l’individu. C'est une norme soucieuse de la condition sociale de l'individu. C’est pour cela que la prophétie s’est faite en 23 ans, le Coran n’est pas venu en un bloc. Aujourd'hui le discours est une norme sans pédagogie. Dès que l'on s'est convertit c’est 23 années en deux secondes. Il ne fait même pas la prière et il veut déjà mourir en martyr. De la prison à Daesh : un saut dans le vide ! En réalité c'est un suicide déguisé, il est pressé, il veut rencontrer les houris du paradis parce que cinq prières par jour c'est trop dur et compliqué. Derrière ce sont des marchands de Dieu, ils mobilisent des individus pour des guerres géo-politiques, ils jouent de la faiblesse de ces personnes. C’est la religion appliquée non pas pour la transcendance mais pour l’économie et la conquête des territoires et des richesses.   

Chaque discipline a pris une partie des compétences du prophète. On a décliné un ensemble de disciplines. Le Coran n'est pas organisé suivant ces disciplines.  Dans le Coran tout est imbriqué car tout est lié mais les musulmans ont divisé pour mettre de l’ordre afin de créer des outils pour accéder à la révélation car au moment coranique les musulmans vivaient intuitivement.

Quand l'islam a rencontré des civilisations plus complexes et des sociétés avec une certaine rationalité, les musulmans ont formalisé les disciplines, comme la grammaire par exemple car elle était un outil d'accès pour les générations postérieures à celle des Compagnons car elles n'avaient pas le même niveau linguistique que les Compagnons. Il y avait  une médiation entre le Coran et les contemporains par l'intermédiaire des disciplines. 
On n’accédait pas directement au Coran et à la Sunna sans la médiation doctrinale et disciplinaire. Aujourd'hui il n'y a plus ces disciplines ou quand elles existent elles fonctionnement en dehors du temps et de l’espace. On veut reproduire une jurisprudence islamique qui a été élaborée dans une logique d'empire, de dominant alors que nous ne le sommes plus de par la mondialisation qui a imbriqué les peuples, nous sommes dans l'ère des minorités. Il faut donc re-configurer ce rapport avec cet édifice théologique.
 
Il faut changer de paradigme de lecture, de méthodologie de clés de lecture. Les doctrines malikites ou chafi’ite on été élaborées dans un contexte historique particulier qui a favorisé leur émergence. Il ne faut pas reproduire le produit final des Salafs mais reproduire leur méthodologie dans l’interaction entre la pensée révélée et la réalité humaine où se trouvent les musulmans. Nous n'avons pas besoin de fatwa pour ce qui est halal (licite) ou haram (interdit) car on fait du traitement symptomatique, on répond à des urgences. En Europe, en France nous avons besoin d'une nouvelle doctrine qui correspond à la réalité française : nous sommes dans une république démocratique et non dans le régime anglo saxon qui est libéral et démocratique. En France, il y a une Histoire particulière. Donc on n’ajuste pas l'islam en fonction uniquement des lois mais en fonction également de la culture, de la civilisation et des mentalités. 
Il s'agit de la théologie d’acculturation. Le Coran a acculturé son message dans un langage arabe. Faisons la même chose, parlons le langage de nos contemporains. Les principes restent les mêmes mais les normes doivent s'acculturer. La pudeur est un principe qui ne change pas mais les vêtements pour cacher sa pudeur sont différents suivant les peuples, les époques et les cultures. Le Prophète s'habillait comme son peuple. Il y a des musulmans qui portent aujourd'hui des Qamis alors que le Prophète n'a jamais porté ce Qamis là. Ce sont des vêtements saoudiens, pakistanais ou marocains mais non le qamis "islamique".

Il faut cacher sa pudeur, il y a les zones honteuses graves et mineures. Il y a de la nuance dans tout ça. Il n’y a pas d’objet cultuel, le vêtement, le foulard est une éthique qui traduit un rapport au corps et à la pudeur mais ce n’est pas un objet de culte. Dans les années 70, il n'y avait pas de "foulard islamique", il y avait le Haïk au Maroc. Et pourquoi ne parle t-on pas de chapeau islamique ?

C'est une invention des mouvements islamistes dont je faisais parti dans les années 80, nous avions introduit cela car nous voulions moderniser et adapter le Haïk, nous étions les concepteurs de cette époque. On avait négocié la pudeur etc...  C’est une obsession sur la forme. Ce sont les hommes qui parlent, ils veulent se "protéger" contre les femmes. On ne peut décréter sur ces choses là. 

Les valeurs islamiques

La pudeur est une attitude, l'égalité également est un principe mais il varie en fonction des sociétés, la perception de la dignité de l’homme est différente suivant l’être. Chacun définit la dignité. Il y a le principe qui ne change pas mais il y a  les variables culturelles et sociétales qui se déplacent. On sort le principe en l'acculturant. L'adaptation c'est sauver le principe, ce n'est pas un renoncement comme pensent certaines personnes. Si Dieu n'avait pas adapté son Message pour le rendre audible, eh bien il n'y aurait plus de Religions. Dieu l'a adapté pour le rendre intelligible, raison de plus pour que nous le fassions. Nous devons prolonger ce travail d'acculturation. Le principe d’acculturation sauve l'essentiel de la religion.

Il y a des méthodologies universelles qui fonctionnent quelque soit le temps et l'espace. 

La réalité nous informe. Dieu nous parle à travers des réalités. Parmi les signes, la diversité. Il faut prendre le temps, ici en France, de comprendre le monde car se tromper dans la compréhension de ce monde c'est se tromper dans l'interprétation de la religion. On ne peut pas conceptualiser un discours sur le halal, le haram si on ne maitrise pas les réalités politiques, économiques, psychologiques et même psychanalytiques des croyants et des peuples.
 
Pourquoi le musulman se focalise sur certaines pratiques plutôt que d'autres ? Pourquoi ce conditionnement ? Pourquoi on ne s’intéresse pas au don, à la générosité, aux prières ? Regardez nos conférenciers. On ne parle pas de l'art de la prière. Comment se déconnecter de ce monde pour se connecter avec l’au-delà, les mécanisme de la transcendance ! Ce sont des sujets qui n'existent pas. Comment jeuner, ce n'est pas une privation absurde, c’est l’art de la maitrise du corps et de l’esprit. C'est la santé mentale et physique. Le pardon, comment pardonner et comment y accéder ? Car il n'est pas facile de pardonner et c'est une obligation. Comment aimer Dieu ? Comment l'amour ? Quels sont ses symptômes ? Comment faire confiance à Dieu (Tawakkul) ? Pourquoi on oublie les normes du cœur pour ne s'intéresser qu'aux normes du corps car même dans le Coran il y a des obligations intérieures. Il n’y a pas de discours sur ces sujets là. Pourquoi se focalise t-on sur ce qui est rentable, qu’à ce qui fait tourner la machine économique ? Pourquoi le jour de la fête du mouton ? Pourquoi au lieu de s'intéresser à la symbolique du sacrifice du fils d'Abraham on court derrière le mouton, d'autant plus que ce n'est pas une pratique obligatoire. Car là encore quand il y a de la viande à manger cela intéresse des gens. Le calife Omar ne sacrifiait pas de mouton pendant l'aïd el Adha. La prière est plus importante que le sacrifice du mouton. Le but étant d'honorer la mémoire d'Abraham, c'est un retour vers l'origine.

On pense qu’Ibrahim a exécuté l’ordre de manière absurde, c’est l'obéissance avec intelligence. Le récit sur le sacrifice est un récit très pertinent. En islam l'épreuve de l'obéissance n'est pas absurde, elle est au service de l'homme. La prière, la loi est faite pour les hommes et non le contraire. Dieu nous émancipe à travers la loi à condition de la comprendre. Au moment du sacrifice, Dieu se manifesta. Il y a une subtilité de la soumission. Dieu ne commande  pas une soumission bête pour asservir l’individu afin de l’éprouver. Ce n’est pas pour nous embêter. 

Les Hanbalites sont les premiers à avoir développé cet aspect de maslahâ, il faut toujours interpréter la loi dans l'intérêt, l'utilité. L’univers et la loi sont faits pour l’homme. Il faut chercher l'esprit. Il s’agit d’un Dieu Juste, Sage qui laisse place à l'homme pour interpréter. Un Dieu qui laisse une marge à l'homme pour s'assumer.

Pourquoi le musulman laisse place à une certaine visibilité de différenciation ? C'était le cas quand les musulmans étaient dominants. Le Fiqh est né dans une période où il fallait se distinguer des minorités. La France ne doit pas ressembler à ses minorités mais les minorités doivent ressembler à la république. A Médine, le Prophète a cherché les points de ressemblances avec les juifs qui composaient plus de la moitié de la ville, l'autre moitié était des idolâtres. Comme la Torah contenait des lois divines,  il a cherché à trouver les points de ressemblance car les musulmans étaient en minorité. Avec les conflits une démarcation a commencé à se dessiner mais il y avait toujours une continuité mais pas de rupture.  La loi antécédemment révélée les concernait tant que le Coran ne l'avait pas abrogé. Le Message étant universel, à toute l'humanité, la stratégie n'étant pas la même.

L'islam est né avec la logique de l'état, de l’empire, de khalifat donc dans une logique de domination, le fiqh s'est développé dans cette géo théologie. Ibn Taymiyya a résumé cette logique dans son ouvrage qui s'appelle Iqtidhâ`u is-Sirât il-Mustaqîmi Mukhâlafata ash`âb il-Jahîm, toute une théorisation de la différentiation des musulmans par rapport aux juifs et aux chrétiens et dans ce livre à un moment il dit « mais parfois la ressemblance à des non musulmans s'imposent ». La rupture pour la rupture n’a aucun sens. Il faut chercher les points communs. Il faut reconfigurer toute cette théologie de différenciation vers une théologie de ressemblance sauf dans l'aqida et les ibadats. Aujourd’hui on cherche ce qui nous différencie, c’est la visibilité de rupture, on ne salue pas... il faut se démarquer, c’est une logique d'adolescent : on ne veut pas ressembler aux parents etc...

Pour l'instant c'est la rupture qui prédomine. C’est néfaste pour les musulmans et pour la société. On ne peut pas durer comme cela, ce n'est pas possible. Cela va craquer à l'intérieur de la communauté musulmane et dans la société. S'il y a une différence à faire valoir et à cultiver c'est celle de l’excellence, de la bonté, de la vertu, de la moralité et de la responsabilité, non celle de la victimisation. Il y a certaines institutions qui ne vivent que sur la base des conflits, une victimisation obsessionnelle, il n'y a pas "assez" d'actes islamophobes selon eux, au lieu de dire Hamdulilah (Louange à Dieu). C'est une logique mortifère. Il n 'y a pas uniquement les musulmans, il y a également d'autres organisations communautaires qui font de même et qui prennent en otage leur communauté. Attention, je ne suis pas contre le fait de revendiquer ses droits, mais quand cela devient vraiment une obsession, je pense que cette dernière déresponsabilise les musulmans et créé une inhibition dans leur mental.

La vie est très dure, il y a de l'exclusion mais ce n'est pas une raison pour abandonner le combat pour des valeurs d'excellence (adl, ihsan...) que l’islam nous ordonne de cultiver. Voilà la visibilité que nous cherchons. Le fait de ne pas respecter ses rendez-vous, l'échec scolaire etc...Tout ceci est antinomique avec la morale islamique. Aujourd’hui c’est la paresse, la délinquance, nous sommes une religion minoritaire dans la société et majoritaire dans le milieu carcéral français, ce n'est pas normal. 

Certains musulmans n’ont aucun sentiment de culpabilité. Il ne faut pas imaginer les conflits partout. C'est bien d'être naïf car on ne voit pas les interdits. Le Coran dissuadait de ne pas poser trop de questions normatives. Le Prophète dissuadait ses Compagnons de ne pas poser trop de questions. Car en multipliant les interdictions, on multiplie les tentations, en multipliant les tentations, on multiplie les délits, en multipliant les délits, on multiplie le sentiment de culpabilité, en multipliant la culpabilité on est dans le désespoir et c’est la voix de Satan. Déjà avec Adam qui n’avait qu’un seul interdit, Satan ne l’a pas raté ! Alors avec 1000 interdits...Les 5 prières quotidiennes sont déjà un chantier pour certains alors que c'est le deuxième pilier de l'islam. Il faut déjà avoir l'intention. Ce qui compte pour Dieu, ce n'est pas l'arrivée mais la marche, ce n'est pas la victoire mais le combat, le jihad nafs (contre son âme). La victoire revient à Dieu mais le combat tu dois le mener : tu peux te tromper, perdre mais peu importe ! L'essentiel est de marcher, chacun à son rythme, on ne doit pas imposer le même rythme à tout le monde. Il ne faut pas multiplier les interdictions et ne pas vouloir aller trop vite et en faire trop. La plupart des versets coraniques sont ambivalents de façon à laisser une marge de manoeuvre aux gens. 

L'enracinement dans la foi

Généralement ce qui dure dans le temps c'est la modération. Celui qui veut courir le 100 mètres ne veut pas courir le marathon. C’est ça la spiritualité. Les jeunes pensent qu'ils seront toujours jeunes. Avec l'âge on revoit ses pratiques à la baisse. On devient plus responsable, plus sage, on se fatigue tout simplement. Shatîbî a dit que celui qui ne connaît pas les pièges de Satan ne doit pas donner de fatwas aux gens. Satan peut te dire fonce et te faire croire que l'intégration dans le monde est une souillure, te laisser dans les vapeurs du parfum islamique, la gandoura islamique.
Après un certains temps quand les vapeurs se dissipent, on se rend compte qu'on a raté des années et Satan te dit que tu t'es fait avoir. C'est la fin qui compte. Il faut aller doucement. Aujourd’hui il y a une inflation normative qui perturbe non seulement les musulmans mais avec eux toute la société. C'est de l'inconscience, on bouleverse les plaques tectoniques sociétales et cela créé des séismes. Le problème aujourd'hui est que certains individus intégristes d'hier vont aujourd'hui dans des boites de nuit.

Certains jouent avec la religion. Nous sommes otages de gens irresponsables. On ne peut pas conduire l’islam suivant les humeurs des uns et des autres. Durant 35 ans d'engagement islamique en France, j'en ai vu des plaisantins et des plaisantines !
 
Lorsque j'étais étudiant en biologie, j'étais en même temps imam, je me suis battu vers les années 84 pour que des jeunes filles suivent leur scolarité avec leur foulard. Cela m'a demandé deux mois de combat, j'ai laissé mes études, car je trouvais dramatique que des jeunes filles ne puissent pas poursuivre leur cursus. J'étais imam, je me devais de soutenir cette cause. Le Directeur a finit par les accepter dans son établissement avec leurs foulards. Après deux semaines, elles l’avaient enlevé. Depuis j'ai compris que nous avons à faire à des adolescentes, nous ne savons même pas ce qu'il y a dans leur tête. Je ne peux pas embarquer tout l'islam dans ces sauts d'humeurs. 

Il faut rétablir les choses : Oui il faut défendre la liberté mais il faut aussi enseigner aux gens que pour construire sa relation avec Dieu il faut un enracinement dans la foi. Moi je pense que la visibilité des musulmans en Occident n'est pas proportionnel à leur enracinement dans la foi. C'est comme une grande plante avec des racines peu profondes. Le moindre vent l'arrache de sa terre. Le discours sur Dieu, sur la foi, sur la morale, sur le culte avant tout ! Et il faut négocier cette visibilité en fonction de la conjoncture car la réalité nous a déjà alerté plusieurs fois.

L’extrême droite est en hausse partout en Europe, la géopolitique du monde change. Ce qui se passe dans le monde musulman se répercute sur nous. Comment éviter le choc ? Car si nous ne faisons pas d'effort nous irons directement à la guerre civile, nous devons limiter le choc et nous devons faire des efforts dans ce sens tant que nous aurons des musulmans insouciants dans notre communauté. 

L'Occident a son histoire, le peuple français a son histoire. Nous sommes en train de doper un catholicisme identitariste en réaction contre un islam agressif. Donc les gens cherchent dans leur histoire. Nous sommes en train de dé-séculariser le continent le plus sécularisé au monde. Il faut faire attention à cela et ne pas réveiller les vieux démons. Il faut sauver la laïcité car elle nous protège. Il y a des gens qui ignorent cela. L'Eglise post Vatican 2 tient aujourd'hui un discours très ouvert sur toutes les religions mais il y a des chrétiens qui n'acceptent pas ce discours et  se cantonnent à la position d'avant Vatican 2. Les politiques surfent sur cette situation. C'est cela la faiblesse de la Démocratie : il faut accepter le pouvoir et pour accéder au pouvoir il y a des sujets qui fonctionnent systématiquement.

Dans un monde fragile, instable qu'on ne maitrise pas, il faut faire comme l'animal. Quand il arrive dans un environnement qu'il ne connait pas il minimise ses mouvements. C’est la contraction de la charia. Les visibilités extérieures sont négociées et les visibilités intérieures augmentent.

Certains m'ont accusé d'être le théoricien de l'invisibilité de l'islam mais la visibilité se joue d'abord dans les coeurs. Oui pour la visibilité mais quelle visibilité ? Pas une visibilité égocentrique et communautariste. Une visibilité au service de l'islam, au service du collectif ! Pas une visibilité qui renferme l’individu sur lui-même. Il faut rappeler que le Dieu de l’islam c’est le Dieu des mondes. Pas le Dieu des musulmans, encore moins celui des arabes, encore moins celui des maghrébins, des algériens et marocains etc...Laissons Dieu circuler dans le monde. Laissons notre Dieu être aimé par les autres. Nous empêchons aux autres d’accéder à notre Dieu par une certaine visibilité. Pensons à Dieu dans tout cela.

Le 21 février 2015. 




Dans la même rubrique :
< >

Vendredi 10 Juin 2016 - 20:33 Religions et pouvoirs au crible de l'histoire




LinkedIn
Facebook
Twitter
Academia.edu
ResearchGate


Notre newsletter



Nos éditions




Vient de paraître
SANGARE_Penser_couv_France_Dumas-scaled
Omero
Alc
rivet
islam et science
Mino
Sulami
Soler
Maghreb